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" Nous demandons à nos fournisseurs de porter notre croissance "

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' Nous demandons à nos fournisseurs de porter notre croissance '

Les achats, chez Michelin, reposent sur une organisation mature et centralisée, comme l'explique Luc Minguet, et sur une relation fournisseurs très cadrée et une démarche RSE portée par le groupe. L'enjeu de demain ? "Le contrôle de notre supply chain, en particulier le respect de nos valeurs RSE."

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> Comment sont organisés les achats chez Michelin ? Combien de personnes ce service regroupe-t-il ? Et comment en suivez-vous les performances achats ?

En ce qui concerne les effectifs, si on parle de l'ensemble des personnes impliquées dans le processus achats, y compris les personnes de la supply chain, c'est 680 personnes. Mais l'équipe coeur comprend 150 personnes basées à Clermont-Ferrand, réparties sur trois domaines achats : matières premières, achats industriels (achats machines et construction d'usines ainsi que tout ce qui sert au fonctionnement des usines, plus l'énergie qui représente environ 700 millions d'euros... une famille non négligeable !) et services (logistique, informatique, digital, formation, consulting, voyage). Enfin, le domaine caoutchouc naturel, basé, lui, à Singapour, est dédié à l'achat de caoutchouc et à ­l'approvisionnement (nous achetons entre 800 et 1 000 containers de caoutchouc par semaine).

Nous avons une organisation très mature - 85 % des achats sont centralisés - et "directive", qui tire sa légitimité d'un système de gouvernances au sommet du groupe. Nous avons huit gouvernances chargées de suivre des catégories précises : énergie, personnel, consulting, marketing et communication, logistique / supply chain, IS / IT, machines, plus une organisation plus complexe matériaux / recherche / achats. Cela permet une approche collaborative, mais quelquefois aussi des approches plus directives. La gouvernance consulting qui, face à une situation difficile où chacun travaillait avec son cabinet et ne voulait pas changer de mode de fonctionnement, a, par exemple, imposé que plus un seul contrat de consulting avec Michelin ne soit signé sans son accord. Ces gouvernances se réunissent deux fois par an pour décider de plans d'action, faire le bilan des avancées, instaurer des plans d'amélioration.

Le directeur des achats, avec les représentants du comex de chacun des secteurs concernés, définit avec les équipes internes les grandes orientations. Par ailleurs, nous avons une gouvernance des gouvernances, organe puissant d'arbitrage, qui comprend cinq membres du comex. Elle se réunit une fois par trimestre.

> Parlons de vos fournisseurs. Vous avez reçu le Label Relations fournisseur responsables pour le groupe. Vous êtes la seule entreprise à être labellisée monde. C'est une belle performance. Comment concevez-vous la relation fournisseur ?

Nous avons, chez Michelin, une relation très étroite avec nos fournisseurs car nous faisons des produits de qualité et, pour ce faire, nous avons impérativement besoin d'ingrédients de qualité. Nous devons donc bien connaître nos fournisseurs et travailler en confiance avec eux. Notre philosophie a toujours été de développer une relation de partenariat avec chacun pour obtenir cette qualité dans la durée, pour s'assurer de la continuité des approvisionnements, en particulier sur les matières premières - nous achetons quelque 200 matières premières différentes.

Nous avons été labellisés en 2014 et effectivement, nous sommes la seule société à avoir le label pour l'activité monde. Nous ne pouvions pas mener cette démarche sur la France uniquement car nos achats sont globalisés. C'était soit l'ensemble, soit rien.

Lire la suite page 2 - L'importance du label

> Pourquoi était-ce important pour Michelin d'obtenir ce label ?

Le groupe faisait déjà beaucoup en la matière. Lorsque la Médiation nous a suggéré de nous inscrire dans cette démarche, nous avons accepté car la Charte, puis le Label étaient, nous semble-t-il, en ligne avec nos valeurs et nos actions. En revanche, cela nous a forcés à mieux formaliser ce que nous faisions et, surtout, à mettre en place des indicateurs pour suivre nos réalisations. C'est dans ce cadre que nous nous sommes aperçus par exemple que nous n'avions pas de médiateur interne. Et même si les conflits avec les fournisseurs sont chose rare chez Michelin, mettre en place un médiateur est intéressant. Il a traité deux dossiers en 2016 qui tenaient plus de l'incompréhension que du conflit.

> Sur ce panel de 60 000 fournisseurs, combien sont considérés comme stratégiques, et comment les gérez-vous ?

Nous avons environ 600 fournisseurs stratégiques. Avec eux, nous développons une relation très normée : nous appliquons le processus Michelin de Supplier Relationship Management. Nous avons des réunions annuelles, des reportings normés, des feed-back réciproques. Nous demandons à nos fournisseurs de porter notre croissance, d'être fiables, au meilleur prix, de respecter notre code d'éthique et plus récemment d'intégrer la démarche d'innovation du groupe. Nous faisons régulièrement des audits chez eux pour nous assurer de la qualité de leurs produits.

> Comment trackez-vous l'innovation ?

La relation de partenariat à long terme dont je parlais tout à l'heure est aussi primordiale pour développer l'innovation. Car notre mission est de créer de la valeur pour le groupe à court et long termes et donc de capturer l'innovation. Les fournisseurs ont ici un rôle-clé. Nous pouvons être amenés à faire de la recherche en commun et du codéveloppement dans différents domaines. Nous cherchons à susciter l'innovation sur l'ensemble de notre scope achats. Nous avons mis en place un vrai processus destiné à capter l'idée, à la développer et à la mettre en oeuvre avec des équipes pluridisciplinaires.

Nous sommes soit sur de l'innovation dirigée - c'est-à-dire que nos recherches portent sur des thèmes précis déterminés en fonction de nos besoins et enjeux - soit sur de l'innovation ouverte, sur tous les domaines qui nous concernent. Nous avons un site internet dédié sur lequel les fournisseurs déposent leurs propositions. Nous nous engageons à répondre à toutes les suggestions. Et si nous retenons des projets, nous nous engageons à les développer en commun dans le cadre de programmes de recherche. En 2016, nous avons enregistré 95 propositions et nous en avons retenu 38. Sur ces 38, 27 font actuellement l'objet de groupes de travail mixtes composés de fournisseurs, de clients internes et de représentants de la R & D. Les sujets sont divers : éclairage, travail temporaire, machines, matériaux, etc. Notre rôle, aux achats, est de guider les fournisseurs, de capter et trier les suggestions au moyen d'outils spécifiques (site web dédié, journée de l'innovation, etc.) de détecter les innovations, puis de gérer les processus dont nous sommes garants. Nous coordonnons aussi l'approche liée à la problématique de la propriété intellectuelle de l'innovation.

Lire la suite page 3 - Un travail de longue haleine

> À vous entendre, on a le sentiment que cette démarche d'innovation a été déployée sereinement. Tranquillement et logiquement. Est-ce que ce fut aussi facile ?

Non. Elle a été difficile à mettre en place. Nous avons beaucoup cherché. Il a vraiment fallu embarquer les clients internes qui sont souvent focalisés sur leurs propres priorités. Ce processus ne tourne vraiment bien que depuis deux ans, alors qu'il a été lancé en 2012. Les fournisseurs apprécient énormément car il est toujours difficile pour eux de trouver les bons interlocuteurs, les bons chemins pour partager leurs idées. C'est maintenant un plein succès.

> En ce qui concerne le codéveloppement, comment abordez-vous la question du partage de valeur ? de la propriété intellectuelle ?

Nous n'avons pas de modèles établis. Nous travaillons au cas par cas, en mode agile, pour s'adapter aux structures. Nous avons un site dédié à la relation avec les PME et les start-up à Clermont-Ferrand.

> Lorsque vous développez un nouveau produit, favorisez-vous les produits sur étagère ou l'innovation pour le fabriquer ?

C'est toujours un mélange des deux. Nous utilisons des briques déjà développées, sur étagère, mais il est impossible de concevoir de nouveaux produits uniquement à partir de l'existant. Il y a forcément une part d'innovation et donc de développement.

> Cette année, vous avez candidaté à nos Trophées dans la catégorie RSE et vous avez remporté l'or, décerné par nos lecteurs et par vos pairs qui ont jugé votre démarche exemplaire. La RSE, on le sait, doit être une démarche d'entreprise. Est-ce le cas de Michelin ?

Notre politique RSE a été définie en 2002 et formalisée dans une charte. La RSE fait partie des valeurs du groupe et elle a été déclinée dans tous nos processus. En 2015, nous, achats, avons publié un guide des principes des achats Michelin qui reprend nos engagements, publié en 14 langues ; ce document est lié à tous nos contrats. La RSE, c'est un état d'esprit et nous demandons à tous nos acheteurs d'être extrêmement vigilants sur ce sujet. Quant à nos fournisseurs, on les force à avoir eux-mêmes des relations avec leurs fournisseurs qui les contraignent à adopter de bonnes pratiques. On travaille tous les jours à rendre notre chaîne d'approvisionnement plus vertueuse. Mais cela est une démarche sur le long terme.

Sur le caoutchouc naturel, qui est vraiment un produit très spécial, nous avons développé une démarche à part. Nous avons été les premiers à demander à nos fournisseurs de s'engager à utiliser les ressources naturelles en les respectant et en protégeant l'environnement, ainsi qu'à avoir publié un engagement spécifique sur ce domaine (concept de zéro déforestation, combattre la corruption, développer les rendements, l'agriculture locale, etc.). Nous sommes aujourd'hui les seuls à avoir introduit le concept d'enquête Ecovadis dans ce domaine, mais nos concurrents nous suivent. Nous travaillons dans ce domaine avec le WWF. Avec eux, nous avons signé un partenariat pour développer des bonnes pratiques caoutchouc dans le monde et entraîner toute l'industrie dans cette démarche. Nous entretenons également des relations suivies avec beaucoup d'ONG, et pas uniquement sur le sujet caoutchouc. Nos partenaires nous aident à comprendre les attentes de la société civile et des parties prenantes et à adapter nos façons de faire.

Lire la suite page 4 - Quelle politique de gestion des risques?

> Quelle politique de gestion des risques avez-vous adoptée ? Et comment abordez-vous, par exemple, le risque de dépendance ?

Nous avons une approche très structurée et avons développé un modèle très formel, le Risk Screening Tool, qui scanne tous les types de risques liés à une activité (risques marchés, fournisseurs et produits). Nous avons cartographié ces risques et nos équipes doivent mettre en place des plans d'action pour les limiter. Nous bâtissons des matrices, des plans de progrès et de suivi des actions menées. La gestion des risques demande de travailler en étroite collaboration avec nos fournisseurs. C'est sans doute un des grands défis des achats de demain.

En ce qui concerne le risque de dépendance, nous évitons, si cela est possible, d'avoir des parts de marché trop importantes concentrées sur un même fournisseur. Nous essayons surtout de faire grandir nos fournisseurs en leur permettant de développer du business avec d'autres groupes. Et si le risque de dépendance est trop important, nous mettons en place des plans d'action.

> Parlons digitalisation. Où en êtes-vous ?

Nous avons la chance d'avoir chez Michelin un ERP standard qui couvre tous les pays. Cet ERP alimente des logiciels spécifiques aux achats ; nous travaillons avec Ivalua dont nous utilisons certaines briques comme suivi fournisseurs, savings, contract management, spent... Notre approche est, là aussi, mondiale, avec un système similaire dans tous les pays.

Nous avons encore de nombreux besoins à couvrir ; nous sommes en train de déployer des portails fournisseurs et des catalogues en ligne. Nos équipes travaillent actuellement sur ces sujets. Ainsi, nous venons de lancer en Europe, pour commencer, un système de réception des factures par PDF qui nous a permis d'abaisser les temps de réception et d'améliorer les délais de paiement. Nous visons 92 % des factures payées à temps car, ne rêvons pas, 100 % est impossible. Il y aura toujours des impondérables.

> Comment abordez-vous la question de la data ? L'utilisez-vous, par exemple, pour connaître la structure des coûts des produits que vous achetez ?

Pour les produits importants, en particulier les matières premières, nous avons une approche qui nous permet, pour chaque produit, de connaître le détail de son coût de fabrication. Connaître la structure des coûts permet de mieux négocier. En particulier, comme nous avons nous-mêmes des usines de produits semi-finis, nous avons une assez bonne idée de la structure du coût de certains produits. Les acheteurs doivent travailler à la fois sur les analyses marchés et les analyses de coût. Mais un bon acheteur doit aussi avoir un bon relationnel, être dans l'empathie, avoir l'intelligence des situations pour comprendre les intérêts de chacun, les déchiffrer, et répondre aux besoins. Le respect des fournisseurs est très important pour moi.

> Quel est votre prochain challenge ?

Certainement le contrôle de notre supply chain, et en particulier le respect par nos fournisseurs de nos valeurs RSE. Sur un autre plan, la direction générale de Michelin nous demande, depuis quelques années, d'aller plus loin sur d'autres sujets comme le challenge des spécifications elles-mêmes si nous jugeons qu'elles conduisent à des surcoûts.

Bio Luc Minguet Group Chief Procurement Officer chez Michelin

Nommé Chief Procurement Officer du groupe Michelin en septembre 2011, il pilote l'ensemble des achats du groupe dans le monde. Il a occupé plusieurs postes de cadre supérieur au sein de Michelin et d'autres entreprises internationales. Depuis septembre 2007, il était président de l'activité génie civil. Précédemment, il était directeur général de l'activité poids lourds de Michelin en Amérique du Nord.

Auparavant, il a travaillé pour le groupe Royal Dutch Shell dans divers pays dont la France, le Royaume-Uni, l'Espagne, les Pays-Bas, les États-Unis, l'Afrique de l'Ouest... Il y a occupé des fonctions de direction générale, des rôles financiers et a été responsable des fusions-acquisitions.

Après ces expériences et avant de rejoindre Michelin, il était membre du comité exécutif du groupe Valeo en charge du marché mondial de l'après-vente et de la distribution.

Diplômé d'une grande école d'ingénieurs, il possède un master en économie, un DESS en droit international et un certificat de corporate finance de la London Business School.

 
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