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"Nous avons une vraie responsabilité sur le sujet de la bonne localisation des achats"

Publié par Aude Guesnon le | Mis à jour le
'Nous avons une vraie responsabilité sur le sujet de la bonne localisation des achats'
© GOVIN SOREL

Marc Sauvage, DGA de la Région Île-de-France, en charge des achats positionne la commande publique comme un puissant levier de relance économique et s'engage, aux côtés du CNA, en faveur de la relocalisation des achats, bien qu'il préfère le terme de "bonne localisation des achats".

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Quel a été le rôle des achats de la Région au plus fort de la crise ?

Nous avons été extrêmement sollicités. Toute l'équipe était engagée et nous n'avons pas eu à déplorer de rupture de service. Tous en télétravail ; un mode de fonctionnement mis en place depuis deux ans à la Région Île-de-France, aussi avions-nous les bons outils pour travailler. Achats et opérationnels. Nous avons pu répondre aux besoins des entreprises du territoire dans le cadre de notre compétence développement économique. Le Conseil régional a voté nombre de dispositifs d'aides et de subventions pour aider notre écosystème. Nous avons arrêté des chantiers, mais poursuivi ceux pour lesquels c'était possible, accéléré les paiements afin de limiter la casse au maximum. Nous avons également développé notre centrale d'achats pour pouvoir acquérir et mettre à disposition des dispositifs médicaux.

Avez-vous rencontré des difficultés pour vous approvisionner en matériel médical lors du premier confinement ?

Nous avons anticipé très vite les besoins et nous avons été les premiers à faire du sourcing en Chine. Nous avons mobilisé tous nos réseaux pour trouver les produits nécessaires et nous avons acheté en direct dans les usines. Nous avons fait des "coups", dont deux gros, qui nous ont assuré un approvisionnement de 40 millions de masques chirurgicaux pour le personnel médical, les collectivités et les entreprises. Nous avons développé la centrale d'achats créée en 2019. Nous avons mis à leur disposition des accords-cadres sur la base desquels ils ont pu s'approvisionner.

La centrale a acheté à hauteur de 20 millions de masques et 8 000 acheteurs publics et privés ont pu en bénéficier. Nous avons mis en place une marketplace au service des entreprises du territoire. Nous avons développé une plateforme numérique grâce au support de la Smart Région. Nous avons fait une brique dédiée au sourcing des entreprises et les acheteurs potentiels ont pu se connecter. Ce fut un énorme succès avec 8 000 acheteurs publics. Nous avons aussi permis à des acteurs comme Air France ou la fédération des Transports d'en bénéficier. Je pense que nous avons pleinement joué notre rôle de puissance d'achats et de soutien économique.

Comment avez-vous assuré la continuité d'activité ?

Sur tout ce qui est formation professionnelle, nous avons fait jouer nos marchés de e-learning pour que les formations se poursuivent. Sur la construction, nous avons maintenu tout ce qui pouvait se faire en garantissant la sécurité. Pour les chantier qui ont été stoppés, nous redémarrons progressivement avec des protocoles de reprise. Il faut trouver les bons compromis entre reprises et conditions sanitaires. Nous avons suspendu toutes les pénalités de retard, et en ce qui concerne les surcoûts liés aux mesures de sécurité, nous prenons notre part de responsabilité.

Nous avons positionné les achats comme pivot de toutes les problématiques de sourcing, d'approvisionnement et de paiement. Nous avons bien travaillé avec les prescripteurs, la direction des finances. La pandémie, comme toute crise, a permis de faire émerger des positions de leadership, et nous avons vraiment repositionné la direction achats. La fonction s'est renforcée et a fait valoir tout ce qui est habituellement invisible, le back office. L'approvisionnement, la négociation ont été mis au grand jour.

Quels enseignements tirez-vous de la période que nous avons vécue ?

Globalement, je dirais qu'il faut sécuriser le sourcing. Il faut développer/renforcer la souveraineté, réfléchir à la bonne localisation. Je préfère parler de bonne localisation que de relocalisation, car nous ne pourrons pas toute relocaliser pour des raisons de coût et de savoir-faire. Mais il est certain que nous avons une vraie responsabilité sur ce sujet de la bonne localisation des achats.

Il y a des postures qui ont été prises il y a dix ou quinze ans qui doivent être revues aujourd'hui, mais nous ne devons pas être trop manichéens. Nous avons désindustrialisé la France dans certains secteurs et nous sommes devenus dépendants d'entreprises qui n'ont plus d'approvisionnement en Europe ; ce qui crée des problèmes d'approvisionnements et de surcoûts. Prenons un exemple : les surblouses. L'APHP les achetait auparavant à 10 centimes, et pendant la crise les prix sont devenus délirants, et ont fait minimum fois 20.

Sur les produits de santé, nous allons accompagner la relocalisation. Des entreprises sont venues nous voir car elles sont désireuses de s'implanter sur notre territoire : nous allons les accompagner. J'ai la conviction que sur des secteurs comme le numérique, il convient d'accélérer la digitalisation pour équiper tous les lycées et les collèges dans un délai très court. Nous devons réfléchir à la façon de dynamiser cette filière avec toute la puissance de l'achat public pour que le signal soit donné et que la fabrication soit imaginée en France, de façon pérenne. L'accompagnement peut être économique, bien sûr, mais il est également important que nous donnions de la visibilité aux industriels, car une usine de composants électroniques, par exemple, c'est un investissement de 5 milliards d'euros. Ce type d'investissement ne se fait qu'avec des garanties de business dans le temps.

Comment articuler cette posture avec la nécessité de faire preuve d'agilité pour répondre aux besoins qui se font jour selon le contexte ?

En ce qui concerne le numérique, nous sommes sur un besoin au long terme. C'est un besoin qui s'inscrit dans la durée. Les entreprises et les collectivités doivent acheter de l'électronique et du service, et il en va de même pour la formation. Le e-learning a un impact sur la façon dont nous allons acheter de la construction. Les lycées d'aujourd'hui, tels que nous les concevons... Est-ce que ce type de projet répondra au besoin de demain ?

Une chose est certaine, nous devons être plus responsables en termes d'impact environnemental. À nous de travailler avec les directions opérationnelles et les acteurs du marché, bureaux d'étude, architectes, etc., car nous serons forcément impactés par les nouvelles technologies.

Avec le CNA, nous avons monté des groupes de travail pour réfléchir à la bonne localisation des achats dans les domaines de l'agroalimentaire, de la pharmacie/santé, de la construction, du numérique et des achats publics. Nous travaillons avec le concours de PWC, d'une cinquantaine de directeurs achats, des services de Bercy, du Conseil national de l'industrie. L'idée est d'établir une cartographie de toutes nos dépenses, de cartographier les rangs 2 et 3 des achats afin de voir ce qui pourra être relocalisé. Cette action, je crois, renforce le rôle stratégique de la fonction achats. Les directions générales sont très intéressées par ces travaux et leurs résultats. Lire: Relocalisation: les achats les plus propices ont été identifiés

Le plus difficile est devant nous. La crise est durable. Les achats doivent agir maintenant pour mettre en place un plan de relance et de reconquête. Et la commande publique se doit d'être un levier pour accélérer la reprise économique.

Lire la suite en page 2 : Est-ce qu'être acheteur public était une vocation pour vous ? Et considérez-vous que cette mission prend un nouveau sens aujourd'hui ? / Où en êtes-vous de la digitalisation des achats ? La crise a-t-elle fait apparaître des manques ? / .. programme Smart Région. En quoi consiste la mission des achats sur ce pan, et quels sont les enjeux les plus intéressants ? De quoi demain sera-t-il fait ?, etc.


Est-ce qu'être acheteur public était une vocation pour vous ? Et considérez-vous que cette mission prend un nouveau sens aujourd'hui ?

La mission de l'acheteur public a considérablement évolué depuis 5 à 10 ans, en enrichissant sa palette de compétences au-delà du juridique pour notamment travailler en amont sur le sourcing et le juste besoin, et aller chercher de la performance économique. Nous trouvons en effet désormais un nouveau sens à notre action sur le terrain de la responsabilité sociétale et environnementale, le développement économique et la création de valeur. Un masque acheté en France doit avoir plus de valeur qu'un masque acheté en Asie, car son impact carbone et emplois sera meilleur et il créera des emplois ; à nous d'en faire le mieux disant.

Les masques, surblouses sont une nouvelle source - conséquente - de pollution. Avez-vous mis en place une filière de recyclage ?

Nous avons mis une filière de collecte et de traitement en place pour les masques, mais uniquement sur le périmètre Région Île-de-France.

Où en êtes-vous de la digitalisation des achats ? La crise a-t-elle fait apparaître des manques ?

Nous avions, avant confinement, lancé un appel d'offres pour un SI achats et le marché a été notifié. Son déploiement est lancé. La Covid n'a donc rien accéléré. Nous avons d'ailleurs tenu toutes nos commissions d'appels d'offres prévues dans le planning. Aucune commission d'appel d'offres n'a dérivé, aucun projet n'a pris de retard.

En début de mandat, Valérie Pécresse a montré le cap en fixant un objectif de transformation numérique. La digitalisation de bout en bout est faite. La signature électronique est en cours. Nous l'avons déjà déployée sur l'ensemble des signataires. Tous les appels d'offres sont dématérialisés et c'est un vrai facteur d'attractivité. Les entreprises favorisent ces appels d'offres parce que c'est un gain de temps et des économies.

Nous avons prévu de déployer notre SI achats début janvier 2021. Ce projet réunit les acheteurs, les juristes et les opérationnels. Tout le monde collabore. Nous avons monté des ateliers pour paramétrer l'outil et susciter ainsi l'appropriation par chacun.

Avez-vous des objectifs de réduction des coûts ?

C'est un objectif qui fut là aussi défini par Valérie Pécresse au début de son mandat. En 2015, elle a prévu 100 millions d'euros d'économies. Le plan est atteint, nous allons même faire mieux. Et nous réfléchissons à de nouveaux leviers.

Quels ont été vos axes de travail ? Sur quels leviers avez-vous joué pour parvenir à ce résultat ?

Plus de 50% des gains ont été obtenus en travaillant en amont, sur le besoin avec les prescripteurs.

Comment travaillez-vous avec la finance ?

Avec le DGA en charge des finances, nous avons la même posture : accompagner les métiers, mais se placer aussi en opportunité sur le besoin. C'est ce que nous demande notre directeur général.

Qu'en est-il de votre politique RSE ?

C'est une volonté forte de la Région et nous avons développé plusieurs axes de travail. Les délais de paiements, notamment, sont un véritable facteur d'attractivité et nous en avons besoin. Il y a une vraie concurrence à l'achat, notamment sur la construction. Nous sommes aujourd'hui à 30 jours et nous sommes descendus bien en deçà durant la crise. Nous avons, certaines fois, payé avant d'être livrés. À d'autres occasions, nous étions à 48 heures.

En ce qui concerne la limitation de l'impact carbone, nous en faisons de plus en plus un critère de choix. Prenons l'exemple du transport des denrées alimentaires à destination des 460 lycées du territoire. Notre centrale d'achats, qui est chargée de mutualiser ces achats, est très vigilante sur ce point et favorise les circuits courts. Le Code permettant de privilégier les fournisseurs offrant les meilleurs délais entre la production et le consommateur, nous pouvons le faire.

Les critères sociaux, également, sont très présents et, sur l'aspect environnemental, la Région a un engagement fort sur la lutte contre les perturbateurs endocriniens.

Comment les achats concourent-ils à cette lutte ?

Lorsque nous construisons notre plan opérationnel achats, nous identifions tous les projets dans lesquels des critères sociaux et environnementaux peuvent être intégrés ; et les acheteurs embarquent ces éléments dans les stratégies d'achats.

Qu'en est-il du bio ?

Nous travaillons avec les producteurs et les Chambres d'agriculture pour mobiliser les acteurs. L'objectif fixé par la présidente Valérie Pécresse est d'avoir des denrées 100% local et 50% de bio à la rentrée 2024. Nous leur donnons de la visibilité sur nos besoins et achats afin qu'ils puissent développer le bio. La RSE est portée politiquement. La présidente et le vice-président de la Région sont sponsors de tout ce qui se fait en termes de RSE ; et le bio et le local en sont des axes majeurs.

Avez-vous beaucoup recours au secteur adapté et protégé ?

Nous développons beaucoup le recours au STPA. Pour les masques en tissu, par exemple, nous avons fait appel à des acteurs de ce secteur.

Vous travaillez, je crois, sur le programme Smart Région. En quoi consiste la mission des achats sur ce pan, et quels sont les enjeux les plus intéressants ? De quoi demain sera-t-il fait ?

D'une façon générale, la Région Île-de-France a l'ambition d'être la première Smart Région d'Europe : proposer de nouveaux équipements et services numériques innovants pour améliorer la qualité de vie des citoyens, mais aussi renforcer l'attractivité des territoires et mieux répondre aux besoins des entreprises. Fer de lance de cette Smart Région, la plateforme de données Île-de-France Smart Services, lancée en octobre 2019, offre régulièrement de nouveaux services numériques utiles et concrets. En particulier sur les achats, nous avons créé une plateforme support à la centrale d'achats. D'une part, les entreprises peuvent s'y référencer, et d'autre part les acheteurs peuvent y sourcer les fournisseurs. Pour le futur, nous travaillons d'une part au lancement de nouveaux marchés pour les acheteurs publics, et d'autre part à la mise en place d'une véritable "market place" pour tous les acteurs du territoire.

Biographie express

Après des études d'ingénieur à ENSMA de Poitiers, Marc Sauvage a intégré Bouygues Construction en 1988, avant de rejoindre Bouygues Telecom et le monde de la téléphonie en 1997. En 2013, il s'est tourné vers les collectivités et est devenu directeur achats et juridique de la région Val-de-Loire. Elle lui doit la mise en place de la fonction achats et, notamment, de la centrale d'achats. Une mission qu'il duplique depuis 2016 à la Région Île-de-France, au sein de laquelle il a pris le poste de directeur général adjoint. Marc Sauvage est en charge des achats, de la performance, de la commande publique, du juridique et du numérique. Marc Sauvage a été président du CNA durant six ans. Il en est aujourd'hui vice-président.

Fiche Région Île-de-France

Secteur d'activité : Collectivité territoriale

Budget 2019 : 5 milliards d'euros

Nombre d'employés : 10 000

Budget achats : 1 milliard d'euros

Effectif achats et commande publique : 60 personnes

 
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