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[Tribune] La facturation électronique obligatoire en France, contrainte ou opportunité

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[Tribune] La facturation électronique obligatoire en France, contrainte ou opportunité

Progressivement, les entreprises auront pour obligation d'accepter les factures électroniques de leurs fournisseurs, et d'être en mesure de les traiter. Au-delà des contraintes techniques, cette évolution permettra d'accélérer la digitalisation des processus procure-to-pay et de gagner en performance.

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Malgré le nouveau report de sa généralisation, en France, sur la sphère professionnelle, la facturation électronique reste un sujet stratégique pour les directions achats et financières. Initialement prévue au début de 2023 puis mi-2024, l'entrée en vigueur de cette réforme obligera les 4 millions d'entreprises assujetties à la TVA à recevoir et à accepter les factures dématérialisées de leurs fournisseurs. Ces derniers, selon un calendrier échelonné en fonction de leur taille, auront aussi pour obligation de transmettre leurs factures au format électronique à leurs clients, ainsi que les données de transaction associées à l'administration fiscale.

Cette généralisation, qui concerne plus de 2 milliards de factures échangées chaque année, vise quatre objectifs principaux : faciliter les déclarations de TVA (préremplissage), améliorer la connaissance en temps réel de l'activité des entreprises, lutter contre la fraude fiscale, accroître la compétitivité (sécurisation des transactions, diminution de la charge administrative). Sur ce dernier point, les gains seront « substantiels », avec à minima 4,5 milliards d'euros par an tant au niveau de l'administration centrale que des entreprises elles-mêmes, grâce à une réduction des coûts de traitement et un raccourcissement des délais de paiement, selon la direction générale des finances publiques (DGFiP) du ministère de l'Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique.

Une accélération de la digitalisation

Malgré la contrainte que beaucoup d'entreprises perçoivent, du fait notamment de la nécessaire adaptation de leurs systèmes d'information et de leurs processus financiers, le passage à la facture électronique constitue une formidable opportunité avec de nombreux bénéfices attendus. Le projet permet d'abord d'accélérer la digitalisation de la chaîne procure-to-pay couvrant les achats, les approvisionnements et la comptabilité fournisseurs, et ainsi d'optimiser les traitements : renforcement de la transparence et de la traçabilité des échanges, amélioration de la productivité, facilité et rapidité d'accès aux documents, réduction des erreurs et des litiges, etc.

En effet, du fait de son caractère obligatoire, de son format quasi standardisé et de son rôle clé dans le processus procure-to-pay, la facture est particulièrement concernée par la dématérialisation et le déclencheur d'un mouvement de transformation digitale plus large. En lien avec les autres documents commerciaux (documents légaux, devis, contrats, commandes, bons de livraison et de réception, etc.), qui s'y rattachent de près ou de loin, le passage à l'e-facturation amorce souvent un cercle vertueux pour digitaliser la totalité des processus.

La facturation électronique est aussi un moyen de fiabiliser le processus et d'accélérer les traitements, permettant ainsi de respecter les délais de règlement convenus. De ce fait, la réforme contribue aussi à réduire le risque de défaillance des fournisseurs tout en améliorant les relations commerciales. Les écarts temporels entre le paiement des charges (salaires, charges sociales, assurances, frais généraux, etc.) et le règlement des produits et services par les clients constituent en effet l'une des premières causes de faillite des entreprises. Toutefois, les mauvais élèves n'auraient pas forcément de mauvaises intentions. Souvent lorsqu'une entreprise ne paie pas ses fournisseurs dans les délais, ce n'est pas par choix délibéré mais plutôt par incapacité de le faire en raison de l'inadéquation de ses systèmes d'information procure-to-pay, de la durée et des problèmes de fiabilité de l'acheminement des factures papier jusqu'à la comptabilité, et de la charge administrative des activités manuelles à réaliser pour l'enregistrement, le traitement, la validation, etc.

Une réduction des coûts de traitement

Le principal intérêt du passage à la facturation électronique reste toutefois son coût très avantageux par rapport aux factures papier. Des études montrent que les services comptables consacrent près d'un tiers de leur temps à la saisie manuelle des factures fournisseurs, et que leur dématérialisation permet une économie de l'ordre de 50 à 75 % par rapport à un traitement papier, pour une réduction de coût de traitement d'environ 30 %. Or, on estime de 10 à 20 euros le coût du traitement manuel d'une facture papier entrante, auquel s'ajoute son stockage, son archivage et, le cas échéant, sa recherche pour consultation, soit plus de 3 euros en moyenne en tenant compte des coûts directs (temps passé, surfaces de stockage, etc.) et indirects (pertes, retards occasionnés, etc.). En dématérialisant les factures, la réduction globale des coûts peut donc dépasser 50 %. Mieux, en automatisant l'ensemble du processus procure-to-pay suivant les bonnes pratiques avec une solution digitale spécialisée, il est possible de décupler les gains et d'accélérer le retour sur investissement.

Ces bénéfices, de plus en plus d'entreprises en ont déjà fait une réalité au quotidien. Mais pour déployer la facturation électronique dans les meilleures conditions, encore faut-il comprendre l'architecture du futur dispositif global imaginé par l'administration, et s'y plier. Si la dynamique mondiale remonte à plus de vingt ans, d'abord au Chili en 2001 puis dans plusieurs pays d'Amérique latine, d'Asie et d'Europe, la France a choisi de miser sur l'innovation avec un « modèle hybride » basé sur une régulation des transactions de facturation, selon un schéma dit « en Y ». Ce modèle qui évitera que la défaillance d'un des acteurs bloque la chaîne, impose aux entreprises de recourir aux services d'une plateforme de dématérialisation : soit une - voire plusieurs - plateforme partenaire (PDP) de leur choix, certifiée par l'administration, soit directement le portail public de facturation (PPF), basé sur une « version étendue » sur Chorus Pro qui apparaissait comme le meilleur candidat d'un point de vue économique et pour respecter les échéances et le planning. Jusqu'à ce que le projet de migration se révèle plus compliqué que prévu...

Un enjeu critique d'interopérabilité

Le PPF aura pour fonction de gérer un annuaire, de concentrer les données à destination de l'administration, et de proposer un service minimum d'échange. Cela, selon trois modes d'accès : Portail (saisie/dépôt de la facture, téléchargement sur la plateforme), API (ou mode « Service ») et EDI. Et dans l'un des trois formats structurés autorisés, à savoir CII, UBL et Factur-X, un format mixte regroupant au sein d'un même fichier une facture lisible sous format PDF et des données de facture présentées sous forme structurées. Dans ce schéma, un autre enjeu de taille ne doit pas être oublié : celui de l'interopérabilité. Au-delà des seules questions de format, pour que les parties prenantes puissent échanger les factures électroniques et les autres informations exigées, sous une forme conforme et facilement exploitable, quels que soient leurs environnements informatiques, cet enjeu doit être appréhendé à plusieurs niveaux : transmission, adressage, suivi, portabilité, etc.

En attendant que le volet technique s'éclaircisse davantage et que des solutions soient trouvées pour résorber les retards, la DGFiP a d'ores et déjà planifié un nouveau calendrier « en trois temps » pour éviter la démobilisation des entreprises alors que beaucoup d'investissements ont déjà été faits. Après la livraison du Portail public de facturation, fin 2024, une mise à l'essai sur une base volontaire sera menée en 2025, avant une mise en place définitive de la réforme au cours de l'année 2026. Pour les équipes techniques, le premier enjeu consiste donc à finaliser la migration de Chorus Pro vers le PPF, à le tester puis à valider son fonctionnement sur l'année à venir, pour pouvoir enclencher la phase pilote et le démarrage dans les temps. Puis enfin envisager une montée en puissance du dispositif sur 2027, avec l'obligation progressive d'émettre des factures au format électronique pour les fournisseurs.

À propos de l'auteur Bertrand Gabriel est dirigeant et fondateur d'Acxias, agence spécialisée dans l'optimisation et la transformation digitale des achats, des approvisionnements et de la comptabilité fournisseurs.

 
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