Remises de fin d'année: le risque juridique n'est jamais loin
Si les remises de fin d'année (RFA) peuvent être intéressantes, attention à bien verrouiller ses contrats. En effet, le risque que l'administration juge les ristournes accordées par les fournisseurs illégales n'est jamais loin. Attention, donc, à bien définir la période, le montant, les conditions..
Je m'abonne Lors des discussions avec les fournisseurs, négocier une remise de fin d'année (RFA) peut permettre de gagner une baisse de prix supplémentaire. Calculée en fonction du volume des achats sur une période définie, la RFA permet d'ajuster le prix négocié à la consommation réelle, lorsque cette dernière n'est pas connue au moment de la signature du contrat. Les remises de fin d'année sont particulièrement intéressantes lorsque l'on met en place un nouveau contrat et que les fournisseurs ne croient pas aux volumes annoncés, approuve Olivier Wajnsztok, directeur associé chez AgileBuyer. Mais cela permet aussi de profiter d'une baisse de prix supplémentaire une fois les négociations terminées. Olivier Wajnzstok a également vu des directions achats profiter des remises de fin d'année pour financer leur activité grâce à cette enveloppe supplémentaire qui tombe en fin d'année. Autre avantage des remises de fin d'année : l'effet " bonne surprise " qu'elles créent : lorsque les RFA sont reversées aux opérationnels, l'impact psychologique est fort.
"Les RFA sont autant une stratégie vis-à-vis de l'externe que vis-à-vis de l'interne", remarque Olivier Wajnsztok. Les RFA ne doivent donc pas être considérées comme une contrainte administrative supplémentaire, mais bien comme l'occasion de récupérer plusieurs millions d'euros. Même s'il est vrai que les contrats doivent bien être encadrés et les versements des RFA bien suivis.
Au cas par cas
Nous l'avons dit : les remises de fin d'année se négocient lorsque le volume consommé est incertain. Il y a des marchés sur lesquels les RFA ne sont pas intéressantes, "ceux où les achats sont récurrents notamment" , prévient Olivier Wajnsztok. Si, sur la catégorie d'achats, la visibilité est bonne, autant négocier une remise immédiate, ajoute Olivier Audino, président-fondateur de Buy Made Easy. Négocier des RFA doit donc se faire au cas par cas, en fonction des catégories d'achats, des fournisseurs, mais aussi des remises attendues. Il ne s'agit pas de se compliquer la vie au niveau administratif pour 3 euros. Bien prévoir, donc, les volumes de consommation attendus pour calculer les RFA espérées.
Olivier Audino pointe le fait que négocier des RFA doit correspondre à la politique de l'entreprise : les remises de fin d'année ne sont, comme leur nom l'indique, versées qu'à la fin d'une période et cela peut ne pas correspondre à la stratégie financière, par exemple. Le directeur achats doit donc travailler en collaboration avec la direction générale, mais aussi la direction financière pour s'assurer que les remises de fin d'année seront bien intégrées comptablement, mais aussi pour définir quel niveau de versement peut être attendu en fin d'année.
Un contrat bien ficelé
Une fois les RFA négociées, il s'agit de les inscrire de manière minutieuse dans les contrats avec les fournisseurs. "Les RFA doivent obligatoirement être inscrites dans les contrats. Il n'y a pas de RFA s'il n'y a pas de conventions transparentes", insiste Maître Luc-Marie Augagneur, avocat associé chez Fiducial Legal, citant l'article L. 441-7 du code de commerce qui indique que les remises de fin d'année doivent être prévues par une convention écrite conclue entre le fournisseur et le donneur d'ordres précisant les obligations auxquelles les parties se sont engagées. Mais comment formaliser ces RFA ? Maître Jean-Baptiste Gouache conseille tout d'abord de bien déterminer la période qui concerne les remises, en inscrivant précisément son début et sa fin. En effet, les remises rétroactives sont considérées comme illégales.
Il s'agit ensuite de bien inscrire les conditions des remises : à partir de quel volume de consommation une remise est-elle déclenchée ? Quel est son montant ?, etc. Pour définir ces différents points, Olivier Audino conseille de se baser sur ses consommations des trois dernières années afin de définir une moyenne et de créer des paliers autour de cette moyenne. '"Ces paliers ne doivent pas être trop ambitieux ni trop pessimistes", avertit-il. "Si tout ne peut pas être prévu, des principes doivent au moins être définis et des contrats d'application seront signés en cours d'année", ajoute Me Augagneur. Me Gouache met en garde : "Pas de remises inconditionnelles ni d'avances sur des ristournes conditionnelles". En effet, les RFA doivent correspondre à des consommations réelles et se déclencher à partir d'un certain montant de consommation atteint.
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Me Luc-Marie Augagneur rapporte la possibilité de verser des RFA également lorsque le donneur d'ordres rend des services à son fournisseur. "Il peut s'agir par exemple de publicité pour les produits du fournisseur sur le lieu de vente du distributeur ou dans son catalogue. Attention cependant, ces services doivent être justifiés, effectifs et être à la hauteur de la remise : il ne faut pas dire avoir mis en place des services si ce n'est pas le cas ou s'ils sont mineurs", précise-t-il. Les donneurs d'ordres doivent garder une trace des services rendus car l'administration peut procéder à des vérifications.
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Attention au déséquilibre significatif
Ces points d'attention sont d'autant plus importants que le risque juridique est fort en termes de RFA. Nous avons évoqué le risque lié au fait de verser des remises de manière inconditionnelle ou encore de conditionner les RFA à des services du donneur d'ordres qui ne seraient pas réellement significatifs. Tout cela est surveillé de près par la DGCCRF pour éviter tout "déséquilibre significatif". Défini par l'article L442-6, 1,2° du Code de Commerce, il consiste en la soumission ou la tentative de soumettre un partenaire commercial à des obligations et est sévèrement puni d'une amende pouvant aller jusqu'à 5 % du chiffre d'affaires. "La sanction peut être double : à l'amende peut s'ajouter l'obligation de restituer les marges arrières indûment perçues", poursuit Me Augagneur. Pour apprécier ce "déséquilibre significatif", le juge observe les conditions d'attribution de la RFA et son montant. "Un avantage excessif lié à une RFA inconditionnelle ou à une RFA dont le montant est largement supérieur aux pratiques du marché sera considéré comme non librement consenti par le fournisseur", observe Me Jean-Baptiste Gouache, au regard des nombreuses jurisprudences sur le sujet. Me Luc-Marie Augagneur invite à partir des conditions générales de vente (CGV) du fournisseur pour mener les négociations, afin que le donneur d'ordres prouve qu'il n'impose pas ses conditions.
Suivre régulièrement les RFA
Au-delà du risque juridique, le principal risque est de ne jamais se voir verser les RFA par ses fournisseurs. Premier cas : le palier défini n'est jamais atteint et les ristournes ne peuvent donc pas être déclenchées. Pour éviter un tel cas de figure, Olivier Audino conseille de suivre régulièrement les RFA négociées afin de s'assurer de bien dépasser le montant de consommation défini. Parfois, cela se joue à très peu de choses et il est donc dommage de passer à côté d'une belle remise pour une seule petite commande supplémentaire. Un outil e-achats peut, à ce niveau-là, être intéressant : il permet de suivre ses consommations sur l'année et de les réajuster le cas échéant. Attention quand même à ne pas surconsommer pour déclencher une remise !
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Suivre les RFA permet également de s'assurer qu'elles sont bien versées lorsqu'elles sont dues. Mais comment faire lorsque l'on sait qu'il y a un fort turnover chez les acheteurs ? Olivier Audino conseille d'établir la remise de fin d'année chez les fournisseurs, afin qu'elle soit appliquée même s'il y a un changement de poste au niveau des achats. Si les RFA ne peuvent pas être qualifiées de casse-tête administratif, elles exigent cependant d'être vigilant.
Une RFA peut être versée alors que les conditions d'octroi n'ont pas été remplies
En novembre 2017, la Commission d'examen des pratiques commerciales (CEPC) a livré son avis concernant le versement d'une RFA alors que les conditions de versement telles que définies dans la convention annuelle n'avaient pas été remplies : le donneur d'ordres, qui était un distributeur, devait réaliser un certain objectif de ventes qui n'avait pas été atteint, mais de peu. La CEPC considère qu'au titre de la liberté contractuelle, "le fournisseur peut valablement considérer qu'au regard des efforts fournis par le distributeur, ou qu'en raison de conditions de marché défavorables constituant des éléments exogènes, il est libre d'accorder la remise en tout ou partie", bien que les objectifs de vente stipulés dans la convention annuelle n'aient pas été atteints.
La CEPC a cependant rappelé que le fournisseur doit agir en toute liberté, sans contrainte, pression ou menace de la part du distributeur et que la remise convenue ne doit ni constituer un avantage sans contrepartie, ni être disproportionnée, ni caractériser un déséquilibre significatif. La Commission préconise par ailleurs de signer un avenant au contrat stipulant les nouvelles modalités de versement de cette RFA et justifiant les raisons qui ont amené le fournisseur à les faire évoluer.
La cour de cassation confirme la condamnation de Leclerc
Le 25 janvier 2017, la Cour de cassation a approuvé la condamnation de la Cour d'appel de Paris du 1er juillet 2015 à l'encontre de la société Galec (groupement d'achat des centres Leclerc) concernant le versement de RFA. La Cour d'appel avait en effet considéré que les RFA versées ne correspondaient à aucune contrepartie réelle et étaient, de surcroît, réglées dans un délai plus court que le paiement des marchandises.
Ce qui fondait un déséquilibre significatif. Le pourvoi en cassation de Leclerc se justifiait notamment par le principe de libre négociabilité des prix instauré par la loi LME du 4 août 2008. Mais le juge s'est appuyé sur l'article L441-7 du Code de commerce qui impose aux parties de formaliser les négociations dans une convention écrite. Il a considéré par ailleurs que ce n'était pas le niveau des prix consentis qui fondait le déséquilibre , mais bien le mécanisme de mise en oeuvre des remises de fin d'année. La société Galec a donc dû rembourser 61 millions d'euros aux fournisseurs ayant supporté des RFA litigieuses.
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