Risque achats versus risque fournisseurs, vertus et méthodes
La gestion des risques dans les achats se limite souvent au risque fournisseurs. Entretien avec Frédéric Thielen, Managing Director chez Masaï Consulting qui cultive une approche plus globale du risque qui se base à la fois sur l'intelligence économique, et sur la capacité à en tirer parti et ainsi créer de nouvelles opportunités stratégiques dans les achats.

Selon Frédéric Thielen, Managing Director chez Masaï Consulting, "il est essentiel de ne pas confondre le risque achats et le risque fournisseur. Il importe de développer une vision large du risque qui intègre de l'intelligence économique et l'analyse des opportunités". Une pratique encore peu répandue d'autant que la gestion des risques fournisseurs demeure la paire de lunettes la plus utilisée quand il s'agit de cartographier les risques aux achats. Cette manière de faire n'est pas sans qualités. Elle repose sur des évaluations systématiques de la santé financière et des capacités de production. Des référentiels tels que celui de la Coface ou d'EcoVadis permettent de dresser un ranking synthétique des risques financiers et capacitaires. Et lorsque le niveau de risque d'un fournisseur dépasse un seuil critique, des plans d'action sont déployés : alternatives de sourcing ou ajustements stratégiques. Toutefois, selon Frédéric Thielen, « cette approche, bien qu'essentielle, est insuffisante car elle ne prend pas en compte les risques systémiques liés aux tendances de marché ».
Risques achats : une approche globale et prospective
La gestion des risques achats va bien au-delà de la simple somme des risques fournisseurs. Elle implique d'identifier des tendances de marché souvent invisibles dans les modèles traditionnels. Le transport routier est ici un exemple probant de cette approche. Car dans le cas présent, le risque achat est lié à un déficit structurel de main-d'oeuvre (manque de chauffeurs), une problématique qui ne peut être captée par les outils de notation des fournisseurs. Autre exemple frappant : celui de la crise des semi-conducteurs. Ce risque n'est pas lié à la santé financière des fournisseurs mais aux fluctuations des tendances du marché. À titre illustratif, l'électronique grand public opère sur des cycles courts de six mois tandis que le secteur automobile est confronté à des cycles plus longs de deux à trois ans. Ces décalages rendent la gestion des approvisionnements extrêmement complexe.
L'importance de l'intelligence économique et de la prospective
Pour Frédéric Thielen, il est crucial de remettre l'intelligence économique au coeur des stratégies d'achats. Cela implique une analyse systémique des risques, non formatée, pour détecter les signaux faibles et anticiper les évolutions de marché. « Les fournisseurs sont souvent déjà filtrés et présentent des taux de défaillance faibles. Pourtant, cela ne préserve pas les entreprises des crises systémiques, comme celle des semi-conducteurs ou des déficits de main-d'oeuvre », explique-t-il. D'un point de vue opérationnel, c'est à l'échelon du commodity management que la business intelligence revêt un caractère stratégique. Des outils comme des guides de lecture ou des ateliers collaboratifs peuvent structurer cette démarche et aider les entreprises à traduire les données en actions concrètes. Il s'agit d'aller au-delà de l'évaluation des fournisseurs et de construire des scénarios prospectifs pour éclairer les décisions stratégiques.
Allier gestion des risques et opportunités
L'analyse des opportunités constitue un pilier sous-exploité de la gestion des achats. « Il ne s'agit pas seulement de prévoir les pires scénarios, mais également de cultiver une culture des opportunités », vulgarise Frédéric Thielen. Par exemple, une nouvelle technologie prometteuse mais encore immature peut représenter une opportunité à long terme si un fournisseur du panel est accompagné pour la maîtriser. Une approche inspirée de la cybersécurité, avec des équipes « red team » et « blue team », peut s'avérer utile. Les « red teams » analysent les scénarios de crise, tandis que les « blue teams » élaborent des opportunités basées sur ces analyses. Cette dualité permet une vision équilibrée et proactive des risques et opportunités. Intégrer pleinement les risques achats passe par une collaboration renforcée avec les comités des risques, qui peuvent devenir de véritables leviers stratégiques.. Frédéric Thielen insiste, « la gestion des risques achats et de leurs opportunités permet de transformer des contraintes en avantage concurrentiel. »
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