[Juridique] Un acheteur peut aussi être un lanceur d'alerte
Par une ordonnance de référé datée du 17 avril 2019, le conseil des Prud'hommes de Lyon reconnaît pour la première fois la qualité de lanceur d'alerte à un acheteur public de la SNCF en faisant application de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016, dite Loi Sapin II.
Je m'abonne1/ Rappel du contexte
Entre 2008 et 2012, un salarié occupant le poste d'acheteur public au sein de la direction des achats d'une filiale de la SNCF a constaté des procédés et des irrégularités portant notamment sur l'attribution de marchés publics. Il a ainsi décidé d'en faire immédiatement part à ses supérieurs hiérarchiques. Compte tenu de l'inertie tant de sa hiérarchie que de l'autorité judiciaire1, le requérant a saisi la Commission des Communautés Européennes avant que l'affaire ne devienne publique et fasse l'objet de plusieurs articles de presse. L'objet du signalement visait à dénoncer des pratiques visant à détourner les règles de la commande publique par le biais de création de sociétés écrans.
Par un courrier en date du 26 décembre 2018, cet acheteur a été informé de sa radiation des cadres et ainsi de la rupture immédiate de son contrat de travail. C'est dans ces conditions qu'il a saisi le juge afin que le statut de lanceur d'alerte lui soit reconnu et que la nullité de la mesure de radiation soit prononcée pour qu'il réintègre l'entreprise dans un service autre que celui des achats.
2/ Signalement d'alerte : les manquements aux règles de la commande publique sont concernés
La loi Sapin 2 prévoit que le lanceur d'alerte est celui qui agit de manière "désintéressée" et de "bonne foi" pour signaler un crime ou un délit2 selon la procédure de signalement spécifique3.
Sur l'appréciation de la bonne foi, le juge considère que les éléments de preuve apportés, pour témoigner de l'existence d'irrégularités touchant les règles de la commande publique, notamment l'attribution des marchés, sont suffisants. Le juge s'appuie notamment sur les suites de la saisine de la Commission des Communautés Européennes par le requérant qui ont abouti, en 2016, par un signalement à l'État français des procédés utilisés par la SNCF dans le but d'échapper à l'application du droit de la commande publique.
Sur la procédure de signalement, il convient de rappeler que trois étapes sont nécessaires :
Dans la présente affaire, l'ensemble des trois étapes avait été respectées, l'alerte avait d'abord été portée par le salarié à sa hiérarchie puis aux autorités judiciaires avant d'être rendue publique. C'est ainsi que le juge retient logiquement qu'un salarié occupant les fonctions d'acheteur peut bénéficier du statut protecteur de "lanceur d'alerte" en dénonçant des manquements aux règles de la commande publique selon la procédure établie par la loi.
3/ Les conséquences de la reconnaissance du statut de lanceur d'alerte
Le Code du travail établit le régime de protection des lanceurs d'alertes salariés et notamment l'interdiction pour l'employeur de licencier un salarié qui signale une alerte4. Un régime similaire est prévu pour les fonctionnaires à l'article 6 ter A de la loi n° 86-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires qui prévoit l'interdiction de sanctionner un fonctionnaire qui signale une alerte selon la procédure prévue par loirelative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite loi Sapin 2.
Dans cette affaire la rupture du contrat était justifiée selon l'employeur par les nombreux refus que l'acheteur avait opposé aux propositions d'affectation à un autre poste ainsi que par ses absences. Toutefois, le juge (Conseil des prud'hommes de Lyon) retient bien au bénéfice du salarié un lien entre les différentes déclarations de l'acheteur et sa radiation, permettant ainsi de requalifier et d'invalider la procédure disciplinaire engagée à l'encontre de l'acheteur.
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(1) Dépôt de deux plaintes
(2) Article 6 de la loi Sapin 2
(3) Article 8 de la loi Sapin 2
(4) L. 1132-3-3 alinéa 2 du Code du travail
Par Raphaël Apelbaum, avocat associé du cabinet LexCase (Paris - Lyon - Marseille). Spécialiste de l'achat public, il intervient depuis 20 ans dans le domaine des marchés publics et de la commande publique en France et à l'international tant du côté acheteurs publics que du côté opérateurs privés.