Recherche
Mag Décision Achats
S'abonner à la newsletter S'abonner au magazine
En ce moment En ce moment

Cap sur la relocalisation des achats

Publié par le | Mis à jour le
Cap sur la relocalisation des achats
© ©phonlamaiphoto - stock.adobe.com

Le Made in France n'aura jamais été aussi tendance. Les achats doivent en profiter pour montrer leurs compétences en la matière. Au programme : consolidation des relations avec les fournisseurs français et ouverture aux fournisseurs locaux innovants.

Je m'abonne
  • Imprimer

La crise du Covid-19 a mis en exergue la dépendance de la France aux producteurs étrangers, et notamment asiatiques. Les exemples les plus médiatisés sont les masques et les médicaments. Mais d'autres secteurs sont touchés : les industries qui utilisent des composants électroniques ou des métaux lourds, les entreprises de textile, etc. Au programme : rupture des chaînes d'approvisionnement et hausse des prix. Face à ce constat, le gouvernement a rapidement parlé de la relocalisation de certaines productions "critiques". Différentes mesures en ce sens ont été prises, comme un projet de relocalisation de la production de paracétamol d'ici à trois ans, mais aussi une baisse des impôts de production à destination des industries. Sur ce sujet de la relocalisation, les directions achats ont clairement un rôle à jouer.

L'étude AgileBuyer/CNA sur les tendances et priorités des départements achats suite au Covid-19 révélait que 25% des entreprises envisagaient de relocaliser une partie de leurs achats, contre 16% tout début 2020. Une accélération de ce sujet est en effet à prévoir, notamment impulsée par la direction générale et/ou les actionnaires. Les achats doivent d'ailleurs se saisir de cet effet de mode pour davantage travailler avec des fournisseurs français : c'est le moment ou jamais !

Éviter délais et ruptures d'approvisionnement

Car la relocalisation des achats est intéressante à plusieurs points de vue. Et elle n'est d'ailleurs pas nouvelle pour les directions achats. "Le sujet de la relocalisation des achats a débuté il y a environ 5 ans, lorsque le prix de la main d'oeuvre a augmenté en Chine et que le TCO des produits chinois devenait de moins en moins intéressant", rapporte Christophe Durcudoy, associé chez Argon & Co. Autre élément qui a poussé à se poser la question de la relocalisation des achats : une meilleure réactivité des fournisseurs de proximité. "Les entreprises ont du mal à prévoir le comportement des consommateurs et une chaîne d'approvisionnement agile, réactive, est de plus en plus nécessaire. Ce qui est impossible avec les pays d'Asie qui exigent de commander plusieurs mois à l'avance de grandes quantités de produits", constate Christophe Durcudoy. Ce point s'est exacerbé avec la crise du Covid, les délais d'approvisionnement s'étant allongés. Des ruptures d'approvisionnement ont également eu lieu, ce qui a incité les directions achats à réfléchir encore plus sérieusement à se fournir localement. L'étude AgileBuyer/CNA révélait que, pour les entreprises, relocaliser en France ou en Europe permet avant tout de sécuriser les approvisionnements (92%). "Les entreprises ne souhaitent pas relocaliser par patriotisme économique, mais parce que cela leur permet d'éviter des ruptures d'approvisionnement et d'améliorer le time to market. Cela leur permet également de faire plaisir à deux types de clientèle : la ménagère et les clients publics", observe Olivier Wajnsztok, directeur associé d'AgileBuyer.

En effet, les consommateurs sont de plus en plus sensibles au Made in France. D'après une étude Insign/Opinionway de juillet 2020, le confinement a poussé les Français à acheter local : 69% des consommateurs ayant l'habitude d'acheter de temps en temps des denrées alimentaires produites en France ont davantage consommé français durant le confinement, et 58% de ceux qui en achètent rarement ou jamais s'y sont mis. Surtout, 92% envisagent de poursuivre ces nouvelles habitudes d'achat. À noter que cet attrait pour le "Made in France" se concentre sur trois secteurs : l'alimentation (91% envisagent d'acheter des aliments français), la beauté et l'hygiène (83%) et l'habillement (76%). Les motivations des consommateurs pour acheter français : soutenir les entreprises françaises, contribuer à la préservation de l'emploi, mais aussi privilégier les circuits courts.

Car derrière la relocalisation des achats se cachent aussi des enjeux RSE. L'étude AgileBuyer/CNA rapporte d'ailleurs que 64% des directions achats souhaitent relocaliser pour réduire l'impact environnemental. En effet, aller chercher des produits très loin a des impacts négatifs sur les bilans carbone. Annie Sorel, fondatrice et présidente de l'agence d'éco-achats ASEA et vice-présidente de l'ObsAR, rappelle quant à elle qu'acheter local permet de contribuer à créer des emplois locaux : "Un des enjeux des achats responsables est de développer son territoire", souligne-t-elle.

Christophe Jan, directeur achats France d'Orange, rapporte avoir mené des études pour mesurer le ruissellement sur l'économie locale des achats réalisés. "Les effets sont significatifs, notamment concernant les travaux réseaux", rapporte-t-il. Développer des emplois sur son territoire permet parallèlement d'éviter d'avoir recours à des emplois précaires à l'autre bout du monde et de se prémunir contre des risques tels que le Rana Plaza.

Christine Larsen

"Aujourd'hui, la gestion des risques fournisseurs est un impératif pour les donneurs d'ordres. S'approvisionner dans des pays lointains peut parfois induire des risques opérationnels et RSE additionnels", note Christine Larsen, associée Grant Thornton. Autre risque : celui de la qualité. Pour les fibres, par exemple, Christophe Jan a préféré acheter européen plutôt que chinois. "Les fibres sont installées pour au moins dix ans, nous devons être vigilants : les produits chinois n'ont pas passé les tests de qualité."

Lire la suite en page 2 : Consolider sa relation avec ses fournisseurs locaux / Des compétences et savoir-faire méconnus - et en page 3: Du temps et de l'argent / Focus - La région Grand Est a mis en place un Pacte de relocalisation

Consolider sa relation avec ses fournisseurs locaux

Au terme de "relocalisation", Claude Cham, président de la FIEV (Fédération des industries des équipements pour véhicules), préfère le terme de "souveraineté" : "Il est important de protéger notre souveraineté, notamment avec les évolutions vers l'électrique et l'hydrogène", pense-t-il. La Fédération a appelé à la mise en place d'un "Pacte de relocalisation" afin de profiter de cette situation difficile pour davantage produire en France.

Claude Cham

"Nous ne pourrons pas rapatrier ce qu'on a exporté dans les pays asiatiques, c'est un leurre. Mais sur les technologies nouvelles, les projets nouveaux, une réflexion en amont peut mener à analyser chaque brique technologique nécessaire et à trouver des entreprises françaises susceptibles de proposer aux constructeurs un pluri-sourcing avec ancrage local plutôt qu'un mono-sourcing lointain", imagine Claude Cham qui exhorte à ce que ces questions soient posées dès maintenant, avant que des engagements soient pris.

En effet, une fois persuadées des avantages de la relocalisation, les directions achats doivent rendre concrètes leurs intentions d'acheter local. Et ce rapidement. Première étape : mener un audit approfondi de ses achats. "Il s'agit d'analyser comment on achète et comment on s'approvisionne, par catégorie de produits et par fournisseur. Il faut notamment s'assurer de diversifier suffisamment son sourcing en termes de fournisseurs et de localisation, en incluant plusieurs fournisseurs, et si possible des fournisseurs de proximité", décrit Christine Larsen, précisant que cette réflexion doit s'appliquer à l'ensemble de la chaîne de valeur, et notamment aux différents composants d'un produit pour maîtriser au mieux le risque global quand matières premières, composants, et assemblage, par exemple, sont faits dans des lieux multiples et éloignés. Lors de cette analyse, Fanny Bénard, directrice associée de BuyYourWay, invite à réinterroger ses besoins. "Il faut les redéfinir, les challenger, afin de voir si on ne peut pas utiliser d'autres matières premières, d'autres services, d'autres emballages, etc.", a-t-elle proposé à l'occasion d'un webinaire sur la localisation organisé par le CNA en juillet dernier.

Des compétences et savoir-faire méconnus

Il faut ensuite partir à la recherche de la perle rare, du fournisseur français qui peut répondre aux besoins. "Il existe des compétences sur notre territoire, mais que les acheteurs ne connaissent pas", pointe Annie Sorel, qui invite à regarder autour de soi. Marc Pradal, président de l'UFIMH (Union française des industries mode et habillement), souligne qu'il y a encore un savoir-faire industriel textile en France, "et il y a des projets autour du lin, du chanvre et de la laine qu'on va reproduire et retisser en France", ajoute-t-il. Fanny Bénard conseille de s'adresser aux CCI ou à des réseaux comme le CNA pour dénicher des TPE et PME méconnues. Chez Sanofi, les achats ont profité du dispositif PAQTE (Pacte avec les quartiers pour toutes les entreprises), dans lequel le groupe s'est engagé afin d'oeuvrer en faveur des habitants des Quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV), pour capter des fournisseurs innovants dans les quartiers prioritaires.

Avant de chercher de nouveaux fournisseurs, les directions achats ont intérêt à consolider les relation avec les entreprises françaises avec lesquelles elles travaillent déjà. Elles peuvent notamment leur passer davantage de commandes pour que ces dernières investissent dans leurs outils de production. Chantal Pain, directrice de l'enseigne Carrément Fleurs, réfléchit à s'engager sur des quantités auprès de ses fournisseurs. Mais elle sait qu'une telle stratégie va prendre du temps. "Une relocalisation est une opération complexe et ne se fait pas en claquant des doigts, indique Christine Larsen. Il est essentiel de travailler en partenariat avec ses fournisseurs, pour construire des plans de transfert d'activité, mais aussi pour introduire de nouveaux fournisseurs et toujours avoir une approche en coûts complets sur le cycle de vie complet des produits." Un travail de longue haleine qui peut être celui d'une filière, pour davantage d'efficacité. "Les fournisseurs peuvent être réticents à investir pour un seul client", explique Fanny Bénard, donnant l'exemple d'une maison d'édition qui a du mal à faire produire les livres pop-up et tactiles en France, les fournisseurs ne souhaitant pas investir dans les moyens de production nécessaires sans ROI assuré.

Pour Laurent Delarbre, associé chez TNP Consultants, c'est tout son pilotage fournisseurs qu'il faut revoir afin de rendre ses fournisseurs plus performants et ne plus avoir de raisons d'aller acheter loin. "Les fournisseurs n'ont pas toujours la structure pour bien acheter, être productifs, innovants. Les clients peuvent les épauler dans la réalisation de diagnostics, leur délivrer des conseils en matière de productivité et de performance achats, les aider à structurer un bureau d'étude, etc.", explique-t-il. Fanny Bénard invite à mettre à disposition des experts internes au donneur d'ordres pour faire monter en compétences les fournisseurs. "Cette collaboration est également bénéfique pour développer de nouveaux produits", observe-t-elle. Retravailler son pilotage fournisseurs, c'est aussi revoir sa manière d'acheter. "Il ne faut, par exemple, pas modifier sans arrêt les spécifications, ce qui a un impact sur les délais", explique Laurent Delarbre. Il faut mener un travail sur la manière de collaborer entre clients et fournisseurs afin que ce soit fluide, qu'il n'y ait pas de blocages. Fanny Bénard invite à adopter des contrats cadres pour laisser place à l'innovation.

Lire la suite en page 3 : Du temps et de l'argent / Focus - La région Grand Est a mis en place un Pacte de relocalisation


Du temps et de l'argent

Mais pour relocaliser les achats, les acheteurs ne sont pas les seuls à devoir faire des efforts. Une étude sur la relocalisation des achats menée par PWC et le CNA soulignait que le succès d'une relocalisation dépend de la combinaison de plusieurs facteurs, et notamment les coûts de production, les compétences disponibles, l'écosystème de fournisseurs, l'environnement réglementaire, le financement de l'investissement. "Les acheteurs sont prêts à prendre leurs responsabilités, à prendre des engagements auprès des fournisseurs français, mais le processus de relocalisation doit aussi demander l'engagement des industriels qui doivent investir, des financeurs qui doivent apporter des capitaux, des pouvoirs publics qui doivent faciliter, des régions qui doivent se montrer accueillantes", précise Jean-Luc Baras, président du CNA.

Il reste en effet des freins à la relocalisation des achats. Et si les directeurs achats sont centraux dans le fait de relocaliser leurs approvisionnements, ils ne sont pas les seuls maillons de la chaîne. Ne serait-ce qu'au sein de leur entreprise : ce n'est pas la direction achats qui est décisionnaire, elle doit être autorisée à acheter local. "Le souhait d'acheter local doit venir des acheteurs, mais aussi de leur direction. Heureusement, la prise de conscience est en train de se faire et ce n'est pas uniquement un effet de mode", constate Annie Sorel. Les directeurs achats doivent aider les directions générales dans leur prise de conscience en leur montrant les avantages d'acheter local. C'est donc collectivement que des solutions doivent être trouvées pour relocaliser les achats. L'UFIMH a rédigé un rapport fin juin dernier, dressant des propositions pour réussir la localisation de la production textile française. Parmi les solutions avancées : la mise en place d'une plateforme collaborative pour mettre en relation fabricants de tissu, confectionneurs et distributeurs, ou encore la suppression de la mesure de performance financière imposée de -3% par an à tous les acheteurs publics, qui incite à la délocalisation de plus en plus lointaine.

Autre frein, et pas des moindres : le fait que le tissu industriel français va avoir des difficultés à répondre aux demandes de toutes les entreprises françaises. L'étude AgileBuyer/CNA révélait que 31% des entreprises se disaient contraintes par le manque de disponibilité des produits Made In France. La barrière liée aux coûts des achats Made In France grandit aussi, passant de 13% à 18% en moins de 6 mois. Chantal Pain le confirme : "Il est assez difficile d'alimenter un réseau comme le nôtre avec des fournisseurs français. Or, il est impossible de créer des entreprises de zéro et faire grandir une petite entreprise prend plusieurs années." Olivier Wajnsztok invite à trouver des solutions du côté des fournisseurs européens. L'étude pointait d'ailleurs que la relocalisation des achats aura lieu très essentiellement vers la France (98%), mais aussi vers l'Europe (62%). C'est par exemple le choix qu'a fait Sanofi : "Avant même la crise du Covid, nous avons mis en place un projet de création d'un fleuron européen pour les principes actifs pour être moins dépendants des pays low cost et notamment asiatiques", a partagé Jean-Marc Nazaret, directeur des achats responsables chez Sanofi, lors du webinaire du CNA consacré à la relocalisation.

Quoi qu'il en soit, il faut être conscient que relocaliser ou ne pas délocaliser les achats va demander des efforts pour soutenir les fournisseurs et les aider à évoluer. Ce qui veut dire des investissements. Des investissements qui doivent être rentables. "Est-ce que les consommateurs, qui vivent une crise économique, souhaiteront acheter français ou au contraire à bas coût ? Est-ce que l'Asie va casser les prix pour séduire les entreprises européennes ?", questionne Christophe Durcudoy pour lequel la relocalisation est un pari pour les entreprises, où règnent de nombreuses incertitudes. "Les directions achats sont prêtes à relocaliser car cela apporte réellement de la valeur. Mais pas à n'importe quel coût", conclut Jean-Luc Baras.

La région Grand Est a mis en place un Pacte de relocalisation

Et si la relocalisation des achats passait par les régions ? La région Grand Est a lancé un "Pacte de relocalisation" afin d'accompagner les entreprises de production présentes sur son territoire, et notamment les sous-traitants du secteur automobile. "Ce pacte avait été imaginé avant la crise. L'objectif est d'accompagner les sous-traitants pour les rendre plus modernes et compétitifs, mais aussi les aider à diversifier leur clientèle pour qu'ils ne se cantonnent pas au secteur automobile", explique Lilla Merabet, vice-présidente déléguée à la thématique Compétitivité, Innovation et Numérique à la région Grand Est.

Avec la crise du Covid-19 et les ruptures d'approvisionnement, le pacte de relocalisation s'est légèrement modifié : en plus d'accompagner les entreprises industrielles, il s'attache à définir avec les grands acheteurs du territoire une stratégie d'approvisionnement local. Un audit de leur stratégie d'achats est menée et des outils, comme une cartographie des sous-traitants, sont proposés. "Des dirigeants sont venus nous voir spontanément : ils ont à coeur de penser différemment leur stratégie d'achat, notamment vis-à-vis de l'impact carbone", raconte Lilla Merabet. Le pacte de relocalisation est actuellement à sa phase pilote, avec une dizaine de collaborations engagées.


 
Je m'abonne

NEWSLETTER | Abonnez-vous pour recevoir nos meilleurs articles

La rédaction vous recommande

Retour haut de page