[Tribune] Les Business networks fluidifient les relations achats-fournisseurs
Promu par un nombre croissant d'acteurs de la digitalisation des achats, le concept des "Business networks" monte en puissance depuis quelques années et agite l'écosystème des outils de pilotage de la relation acheteurs-fournisseurs.
Je m'abonneAprès avoir optimisé leur système d'information interne, les directions achats visent désormais un optimum global intégrant les différents traitements et acteurs de la chaîne complète d'exécution. Sur cette base, une évolution des modes d'échanges et de collaboration avec les fournisseurs est en train de s'opérer, avec un changement majeur en termes d'outils : le développement des "Business networks". Si les solutions digitales achats restent nécessaires pour un pilotage poussé (analyse des dépenses, mesure de performance, gestion des contrats, etc.), en particulier pour les achats stratégiques ou complexes, ces plateformes facilitent et accélèrent en effet les interactions entre les partenaires commerciaux, bouleversant le schéma de fonctionnement traditionnel. Il s'agit de servir une communauté d'échanges élargie, incluant les équipes achats ainsi que leurs clients internes du côté des donneurs d'ordres, et celles chargées des ventes chez les fournisseurs.
Ce nouveau schéma présente un intérêt à plusieurs niveaux. Les Business networks permettent d'abord de simplifier les échanges d'informations sur toute la chaîne de traitement et d'en réduire le coût selon un modèle de tarification adapté. Surtout, ils garantissent fiabilité, traçabilité, conformité et transparence des interactions suivant des processus et des règles de gestion convenus entre les partenaires. Plus concrètement, sur un plan opérationnel, ces "réseaux Business-to-Business" facilitent en premier lieu la mise en relation dans le cadre des consultations, offrent des solutions de gestion collaborative et en ligne des contenus (documents de référence, contrats, catalogues, etc.) et automatisent en aval les flux sur la chaîne allant de la commande au paiement, notamment pour la facturation électronique. Ils peuvent aussi offrir des espaces de travail partagés, voire des outils participatifs : blogs, réseaux sociaux, etc. Du côté des fournisseurs, passer par un Business network permet d'assurer un routage centralisé des flux (commandes, factures, etc.) avec plusieurs clients.
L'accès à une base d'entreprises mutualisée
L'autre valeur ajoutée des Business networks réside dans la mise à disposition d'une base de données d'entreprises, mutualisée pour tous les utilisateurs. Une valeur ajoutée à la fois pour les acheteurs et pour les fournisseurs. Cette base partagée permet en effet aux équipes achats d'identifier et de qualifier plus facilement de nouveaux partenaires potentiels, et aux vendeurs d'augmenter leur visibilité sur le marché sans attendre d'être sollicités dans le cadre de consultations. L'intérêt est tel que ces bases font l'objet d'une course effrénée à la taille critique : de quelques milliers de références pour les plus modestes ou spécialisées, à plus de 3,5 millions pour l'Ariba Network de SAP.
Outre les acteurs historiques de la dématérialisation de factures (Basware, Cegedim, Esker, Tradeshift, etc.), qui enrichissent progressivement leur outil en ajoutant des fonctionnalités facilitant les approvisionnements, les éditeurs spécialisés procure-to-pay tels que SAP avec Ariba, Proactis ou encore Coupa, donnent une place prépondérante au Business network dans leur stratégie. Plusieurs autres acteurs assurent avoir inscrit le modèle à leur roadmap, mais sans encore proposer un vrai hub d'intermédiation pour fédérer l'ensemble des flux entre un client et un fournisseur. Et encore moins une base partagée. En l'état actuel des offres, Acxias a recensé dans son ouvrage La Digitalisation des Achats une douzaine d'opérateurs de Business networks, dont la moitié proposent un éventail étendu de fonctionnalités, incluant une gestion prévisionnelle des consommations, des livraisons, etc. ou un suivi des stocks.
La mise à disposition d'un tel référentiel mutualisé favorise l'adoption du dispositif par les donneurs d'ordres, en leur permettant d'interagir électroniquement avec un grand nombre de leurs fournisseurs de façon extrêmement rapide. Lors du déploiement de la communauté fournisseurs d'un nouveau client sur un Business network majeur, il n'est pas rare que 15 % à 30 % d'entre eux utilisent d'ores et déjà la plateforme avec d'autres donneurs d'ordres, voire qu'ils y aient déjà raccordé leur propre système d'information commercial et comptable. Une situation qui accélère d'autant le déploiement et réduit les coûts associés au changement, de part et d'autre, grâce notamment aux connecteurs généralement proposés en standard. Pour les éditeurs de logiciels spécialisés en compétition, c'est aussi une question de stratégie visant à occuper le terrain, pour se positionner parmi les leaders des Business networks, alors qu'une concentration s'opérera nécessairement.
L'ajout de données qualitatives en mode participatif
Pour toutes ces raisons, le développement des Business networks constitue l'un des principaux axes de travail des éditeurs, pour décupler la valeur ajoutée, par un travail sur l'étendue des processus supportés électroniquement et de la base mutualisée. Mais pas en référençant de nouveaux fournisseurs, puisque le référentiel se construit souvent par agrégation des partenaires de chaque nouveau client qui choisit la plateforme. Plutôt en s'intéressant à la nature et à la profondeur des informations proposées. L'ajout de données qualitatives, par un enrichissement sur le mode participatif, fait notamment son chemin. Par exemple, donner la possibilité aux clients d'accéder aux commentaires et évaluations d'autres acheteurs concernant la qualité des produits, le respect des délais, etc. à l'instar des vendeurs notés sur les sites d'e-commerce. La difficulté consiste à obtenir des donneurs d'ordres qu'ils acceptent et prennent le temps de partager leurs évaluations fournisseurs. Sans attendre l'introduction d'évaluations communautaires, certains éditeurs ont mis en place leur propres mécanismes de notation, par exemple grâce à un "algorithme intelligent" permettant un scoring sur la base des détails disponibles sur le réseau : traitement des commandes, paiements, services d'assistance, mise à jour des informations, etc.
Mais le nombre de partenaires interconnectés ne doit pas être l'unique critère de sélection d'un Business network. Car les opérateurs explorent bien d'autres voies pour renforcer la valeur ajoutée de leur plateforme. Par exemple : l'ouverture de l'éventail des fonctionnalités proposées à la fois aux donneurs d'ordres et aux fournisseurs, y compris en accueillant des éditeurs tiers ou des "data providers" du marché. Acxias constate ainsi que les outils collaboratifs, pour faciliter les interactions autour du pilotage contractuel, de la gestion des catalogues et de la mesure de performance, ou encore les services financiers (suivi de facturation, etc.) sont désormais d'usage régulier par ses clients. Certains opérateurs proposent même une connexion à des plateformes d'e-commerce, comme SAP Ariba avec eBay et Mercateo, ou Coupa avec Amazon. Autre tendance, plus profonde : l'extension des solutions vers l'ensemble du cycle achats-ventes, et le rapprochement des enjeux de gestion des clients et des fournisseurs, dans le cadre d'une approche commerciale globale.
Une tarification à géométrie variable
Pour se démarquer et développer l'activité sur la plateforme, reste enfin à trouver le bon modèle de tarification. En la matière, l'expérience des places de marché qui se sont développées dans les années 2000 a été riche d'enseignements. Même si elles étaient basées sur la seule mise en relation, la plupart ont échoué essentiellement à cause d'un modèle économique de rétribution inadapté, souvent indexé sur les volumes. Sur la base de cet échec, les opérateurs de Business network mettent aujourd'hui en place des schémas beaucoup plus souples, tenant compte de la diversité des cas (profils des entreprises, catégories d'achats, fréquence des échanges, etc.), et permettant d'attirer à la fois les donneurs d'ordres et les fournisseurs. Car si l'une des catégories d'utilisateur est absente ou sous représentée, le service présente moins intérêt : les fournisseurs ne seront en effet intéressés par ce type de plateforme que s'ils sont assurés d'y rencontrer plusieurs de leurs clients, et inversement. Il s'agit aussi de stimuler les échanges entre les partenaires pour créer le plus de valeur possible.
Dans cet objectif, les éditeurs recourent à des stratégies tarifaires pour lesquels les droits d'accès et d'usage, en particulier les commissions sur les transactions, ne sont pas identiques pour les fournisseurs et les donneurs d'ordres. En plus de ces droits, l'entreprise peut aussi payer davantage pour personnaliser l'environnement, connecter ses sources de données, utiliser des modules optionnels plus poussés, etc. Si les schémas tarifaires aujourd'hui en vigueur sont très variés, le modèle "freemium" a tendance à s'imposer, en particulier pour les fournisseurs afin de créer du volume mais aussi parce qu'ils devront se connecter à plusieurs plateformes pour échanger avec tous leurs clients. Le principe : une inscription gratuite, et des packages permettant d'accéder à des services à valeur ajoutée autour des flux transactionnels, plus ou moins onéreux en fonction des volumes et du mode d'échange. Pour les fournisseurs, dès qu'il s'agit d'échanges en ligne sur Internet ou par mail, le service est généralement gratuit. Mais lorsqu'une intégration avec leur système d'information commercial ou comptable est nécessaire, pour automatiser les flux, un modèle payant est inévitable.
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Vers une concentration des opérateurs de réseaux
Désormais structuré, le marché devrait maintenant connaître un mouvement de concentration. Il ne restera, à terme, que deux ou trois acteurs qui, comme dans la téléphonie, noueront des accords de peering pour assurer l'interopérabilité. Un chantier sur le long terme, avec de fortes résistances et une lutte de pouvoir. En plus d'une interconnexion étendue, les Business networks qui voudront s'imposer devront aussi prolonger leur rayon d'action au-delà du processus achats : en proposant des services à destination des fonctions connexes (finances, logistique, qualité, juridique, etc.), d'une part, en s'ouvrant à d'autres partenaires (sous-traitants, banques, concurrents, transporteurs, transitaires, etc.). Dans une logique d'e-commerce et de supply chain étendue, l'ensemble des acteurs du processus vont être progressivement intégrés à ces plateformes collaboratives et transactionnelles.
Au final, les Business networks devraient devenir le support de tout le processus de collaboration et d'échange inter-entreprise, y compris pour les achats directs. Bien que stratégiques et critiques, ils peuvent aussi entrer dans le dispositif, notamment avec des fonctions d'envoi des prévisions de consommations, de gestion des flux de pièces pour les sous-traitants, de pilotage de la logistique et des transporteurs, etc. L'intégration de technologies de pointe, en particulier l'Intelligence artificielle (IA) pour détecter des anomalies voire suggérer des actions, ou la RPA (Robotic process automation) pour automatiser certaines actions répétitives et à faible valeur ajoutée, est enfin une des grandes tendances des mois et des années à venir.
Par
Bertrand Gabriel, directeur de Acxias, et
Thierry Parisot, analyste marchés & solutions- Acxias.
Acxias est un cabinet de conseil spécialiste de la transformation et de l'optimisation digitale des achats, des approvisionnements et de la comptabilité fournisseurs. Acxias est l'auteur de l'ouvrage "La Digitalisation des Achats - Enjeux, bonnes pratiques et référentiel des solutions" publié fin 2016. Plus d'informations, cliquer ici