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Loi sur le devoir de vigilance : comment prendre les devants

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Loi sur le devoir de vigilance : comment prendre les devants

"Pour vérifier que le plan de vigilance s'exécute, vous êtes tenus de mettre dans vos contrats de distribution, d'achats, des missions qui vous permettent d'exercer un contrôle inopiné. Vous vous donnez le droit contractuel de venir vérifier à tout moment que les obligations du plan sont respectées"

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Dans l'attente du décret d'application et des premières jurisprudences, les contours de la loi adoptée le 21 février 2017, sur le devoir de vigilance sont encore flous. Décryptage avec deux spécialistes, Maître Stéphane Choisez, avocat au barreau de Paris et Zaiella Aissaoui, présidente de la commission "responsabilité" au sein de l'AMRAE, l'association française des professionnels de la gestion des risques et des assurances.

C'est la question centrale concernant la portée de loi sur le devoir de vigilance des sociétés mères et entreprises donneuses d'ordre : "Comment les juges vont-ils apprécier les mesures mises en place par les entreprises ? Jusqu'où une entreprise concernée doit aller pour vérifier cette qualité". Zaiella Aissaoui, présidente de la Commission risque de l'AMRAE, tente d'y répondre : "L'entreprise doit être en mesure de prouver et de justifier qu'elle a intégré dans son choix de prestataire cette notion et que dans le rapport commercial qu'elle a introduit avec lui, elle a coeur de vérifier, à un rythme prédéfini, une définition de sa qualité". "Pour le reste", admet-elle, "seules les premières jurisprudences donneront le "la" et pourront nous éclairer".

D'ici là, le décret d'application pourrait, lui aussi, apporter des précisions majeures. En règle générale, il est publié dans les six mois qui suivent l'adoption de la loi. Mais, "l'influence de l'élection présidentielle et le changement de majorité à l'Assemblée sur la publication du décret, plus qu'une réalité est un risque", estime Maître Choisez, avocat à la Cour de Paris.

Cela dit, ces incertitudes ne doivent pas empêcher les entreprises concernées par la loi de prendre les devants. La présidente de la commission "responsabilité" de l'AMRAE, estime que les grands groupes internationaux avaient déjà dû mettre en place une organisation dans le cadre de la réforme législatives de la loi Sapin 2(1). Celle-ci va donc leur servir et être renforcée pour répondre à leur nouveau devoir de vigilance. Pour les moyennes entreprises, c'est une autre affaire : elles n'ont bien souvent, pas encore eu le temps d'anticiper les conséquences pragmatiques de la loi vigilance.

Équipes de juristes dédiées

A ce titre, "les grands groupes ne pourront plus répondre à toutes les exigences de la loi avec une direction juridique pluridisciplinaire. Ils vont devoir se doter d'une équipe de juristes dédiée aux questions de "conformité, ethique et compliance, de la même manière que certaines étaient dédiées aux contrats, corporate, social", annonce d'ores et déjà Zaiella Aissaoui. "Ils seront au nombre de deux, trois juristes, jusqu'à quinze pour les plus grands groupes", estime-t-elle. Au sein de la commission qu'elle préside, les membres rapportent que ce besoin n'a pas été anticipé dans les moyennes entreprises. "Il y a un décalage entre la loi et son application, cela va prendre entre un et deux ans". Les moyennes entreprises démarrent donc souvent par de l'externe et recourent aux services de société de cabinets-conseils, comme il est fréquent de le faire en fiscalité, par exemple.

Lire la suite en page 2: Vers une interdiction d'assurer l'amende civile - "Risk manager", nouveau coordonnateur de la gestion des risques


  1. Loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite loi Sapin 2.


Vers une interdiction d'assurer l'amende civile

D'un point de vue juridique, le débat est de savoir si les amendes des délits civils sont assurables, annonce Maître Choisez. "En France, le consensus tend plutôt à l'interdire, et ce, sur le fondement du principe de l'exemplarité de la peine". La sanction doit en effet avoir un sens et frapper l'individu pour qu'il ne recommence pas. S'il peut s'en dispenser en payant, la logique ne fonctionne plus. Ce qui fait dire à l'avocat que "le montant des amendes est colossal, même pour des entreprises ayant une surface financière extrêmement lourde. Qui plus est, au nom d'un manquement extrêmement général, en tout cas peu précis, supporter une amende pouvant être de 10 000 millions d'euros, même pour une multinationale, c'est énorme, d'autant que cette somme n'est pas déductible du résultat fiscal".

"Rappelons d'ailleurs que le terme "amende civile" est une invention", souligne le juriste. Les critiques par lesquelles le Conseil Constitutionnel l'a censurée, dans sa décision du 23 mars 2017, sont celles utilisées pour sanctionner les lois insuffisamment précises, comme ce fut le cas pour le délit de consultation des sites djihadistes. "Ce n'est donc pas une interdiction par principe de l'amende mais l'amende dans cette rédaction là que le Conseil constitutionnel a censuré", nuance Maître Choisez.

"Le législateur ne pouvait, sans méconnaître les exigences découlant de l'article 8 de la Déclaration de 1789 et en dépit de l'objectif d'intérêt général poursuivi par la loi déférée, retenir que peut être soumise au paiement d'une amende d'un montant pouvant atteindre dix millions d'euros la société qui aurait commis un manquement défini en des termes aussi insuffisamment clairs et précis"(2).

"Risk manager", nouveau coordonnateur de la gestion des risques juridiques

La difficulté avec cette loi, poursuit Maître Choisez, "c'est que même en faisant extrêmement attention, son périmètre est tel qu'il est difficile d'être sûr et certain de la respecter. Concrètement, il faut un plan de vigilance et le respect strict de ce qui est indiqué : il faut mettre en place une cartographie, des procédures d'évaluation, des actions adaptées d'atténuation des risques, un mécanisme d'alerte et un suivi. Pour les entreprises qui entrent dans le spectre de la loi, celle-ci va modifier leur approche du risque et mettre en avant la fonction "risk manager".

Ces professionnels vont donc hériter de fonctions supplémentaires. "Le risk manager doit s'emparer de ces questions, estime Zaiella Aissaoui qui y voit plutôt une chance à saisir. En définitive, cette loi, cumulée à celle sur la réforme de la responsabilité sont l'occasion de permettre au risk manager de devenir le coordonnateur de la gestion du risques.

(2) Extrait de la décision n° 2017-750 DC du Conseil Constitutionnel du 23 mars 2017

Lire la suite en page 3: Contrôles aléatoires et inopinés- Intérêt à agir très vaste

Contrôles aléatoires et inopinés

D'un point de vue pratique, Maitre Choisez rappelle que les entreprises concernées vont devoir surveiller contractuellement toute la chaîne de distribution. "Pour vérifier que le plan de vigilance s'exécute, vous êtes tenus de mettre dans vos contrats de distribution, d'achats, des missions qui vous permettent d'exercer un contrôle inopiné. Vous vous donnez le droit contractuel de venir vérifier à tout moment, en fonction d'une charte prédéterminée, que les obligations du plan vigilance sont respectées".

Il ne s'agit plus de clamer des principes mais de les inscrire contractuellement, afin de pouvoir contrôler le sous-traitant et d'exiger de lui qu'il ait la même démarche avec son sous-traitant, à défaut de quoi, le contrat pourrait être dénoncé. C'est une obligation de moyen. "Il faut pouvoir prouver à un juge qui se saisit d'un dossier que non seulement on a un plan de vigilance mais qu'on met en oeuvre les moyens de l'appliquer et de le faire respecter", insiste Maître Choisez.

Intérêt à agir très vaste

L'action devant un tribunal contre la société mère est ouverte à "toute personne ayant intérêt à agir". Or cette définition est extrêmement large. Toute association de défense de l'environnement, toute victime directe, tout héritier, etc. à intérêt à agir. Autre conséquence, "Vous pouvez saisir le juge et demander à ce que la société mère mette en place des procédures de vigilance, y compris sous astreinte. L'astreinte, juridiquement, c'est le prix de la résistance au juge et elle peut être assez lourde", met en garde Maître Choisez qui n'exclut pas que, compte tenu de la largeur du périmètre de l'intérêt à agir, la procédure soit détournée par un concurrent...

 
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