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Le plastique n'est plus fantastique

Publié par le | Mis à jour le
Le plastique n'est plus fantastique
© ©Richard Carey - stock.adobe.com

Bien que la crise sanitaire ait fait revenir en force le plastique jetable, la guerre se poursuit. Les entreprises doivent s'adapter pour proposer d'autres matières, ou passer au plastique recyclable. Une évolution qui se fait avec les fournisseurs : les achats sont donc en première ligne.

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La crise sanitaire a fait ressurgir une autre pollution : le plastique jetable. Entre les masques en polypropylène, les gants en latex et la préférence des consommateurs pour les produits emballés (donnant une impression de sécurité sanitaire), le plastique redevient à la mode. Selon Elipso, l'association professionnelle représentant les fabricants d'emballages plastiques en France, la demande a augmenté de 20 à 30 % lors du premier confinement. Est-ce que cela veut dire que la guerre contre le plastique, initiée début 2020 avec l'interdiction de la vaisselle jetable et des cotons-tiges, va s'arrêter en si bon chemin ?

En effet, au 1er janvier 2021, ce devait être au tour des pailles, couverts, touillettes, couvercles de boissons, boîtes en polystyrène expansé, piques à steak et tiges pour ballons de disparaître. Puis, en 2023, des suremballages plastiques pour les fruits et légumes, des sachets de thé en plastique et des jouets en plastique distribués dans les fast-foods. Par ailleurs, dès l'année prochaine, un bonus-malus doit être mis en place pour limiter le suremballage plastique, et l'Europe a imposé la présence d'au moins 25 % de plastique recyclé dans les bouteilles en plastique PET transparent pour 2025, puis 30 % pour toutes les bouteilles pour 2030. Mais les fabricants de plastique peuvent tenter de faire revenir les gouvernements sur ces obligations. En effet, l'émission le Virus au Carré de France Inter rapporte que l'EuPC, l'European Plastics Converters, aurait envoyé un courrier à la Commission européenne arguant que que le plastique à usage unique était un matériau de choix pour assurer l'hygiène et la sécurité des consommateurs face au coronavirus.

Or, des chercheurs de l'Université de Hong-Kong ont prouvé que le virus n'était plus infectieux au bout de 3 heures sur du papier, au bout de 4 jours sur du verre et, dans certains cas, au bout de 7 jours sur du plastique ! Par ailleurs, le confinement a eu un impact sur la prise de conscience des consommateurs. D'après une analyse de Kantar, ils vont stopper leur ruée sur les produits de longue conservation, vont continuer à favoriser les produits locaux et les commerces de proximité, et les préoccupations environnementales des Français vont se confirmer. Les entreprises ne doivent donc pas arrêter leurs efforts vis-à-vis du plastique jetable, mais au contraire les poursuivre.

Cap sur la collaboration !

Ce qui veut dire que les entreprises doivent collaborer avec leurs fournisseurs sur ce sujet du plastique. En cette période chahutée, cela permet, de plus, de renforcer la relation autour d'un autre sujet que la gestion de la crise. Un sujet, de plus, tourné vers l'avenir : celui de la protection de l'environnement. Pourquoi ne pas proposer des "innovation days" autour de l'éco-conception, du plastique ; mais aussi de la biodiversité, de l'eau, etc. ? C'est l'occasion, pour les fournisseurs, de venir présenter des produits innovants dans ces domaines. L'objectif n'est plus de négocier le dernier centime, mais de co-innover. "La stratégie achats va passer d'un modèle transactionnel au partenariat", pense Christophe Durcudoy, associé chez Argon & Co. Un partenariat plus que nécessaire en cette période.

La collaboration est d'ailleurs la raison d'être de la nouvelle structure (RE)SET, créée par Géraldine Poivert, ancienne directrice générale de Citeo (résultat de la fusion d'Ecofolio et Eco-emballages). RE(SET) est une agence de conseil dans le domaine de l'économie circulaire qui fait travailler les entreprises en écosystème, c'est-à-dire avec leurs fournisseurs en amont, mais aussi avec les acteurs en aval, et ce dans une logique de business, décrit Géraldine Poivert, qui souhaite que les idées qui émergent changent l'activité de l'entreprise et ne soient pas cantonnées au domaine de la RSE. Le premier programme suivi par RE(SET) a fait collaborer Carrefour, Système U, Veolia et huit grands fournisseurs (de marques de distributeurs, mais aussi de packagings) sur la recherche d'emballages sans plastique.

Lire la suite en page 2 : Pénurie de plastique recyclé - La question de fin de vie des emballages - et, en page 3: l'interview de Rémi Rocca, directeur achats, environnement, qualité et logistique de McDonald's France: "Nous choisissons la meilleure technologie, en nous préoccupant en priorité de la question de la sécurité alimentaire" -


Le plastique est un matériau pratique, pas cher, qui est une barrière absolue, etc. Si bien qu'il est devenu le standard. Mais est-ce que l'on a toujours besoin d'une barrière à la lumière, d'un packaging qui dure dans le temps, etc. ? "L'objectif de ce programme était de partir des besoins réels pour sourcer ensuite mondialement des innovations pouvant remplacer le plastique", rapporte Géraldine Poivert. Ainsi, une quinzaine d'innovations ont été repérées par RE(SET) qui ont ensuite été disséquées par Carrefour, Système U et leur écosystème à l'occasion d'un bootcamp. "Nous avons parlé des machines, des tests, du modèle économique, des coûts, de la répartition des investissements entre les différents acteurs... ", énumère Géraldine Poivert, soulignant qu'étaient présents aussi bien des chimistes que des personnes du marketing. "En étant tous ensemble, on va plus vite et on donne plus de chances au projet d'aboutir". L'engagement est donc très concret et devrait aboutir à la commercialisation de nouveaux produits avant la fin de l'année.

Laurent Francony, directeur de la qualité de Carrefour, est satisfait de ce groupe de travail mis en place avec RE(SET). "L'innovation collective est nécessaire : les industriels apportent leur savoir-faire en termes de conservation produit et d'emballage, tandis que les start-up nous font découvrir de nouvelles solutions techniques", explique Laurent Francony. Actuellement, une vingtaine de pilotes seraient en cours afin de tester de nouvelles solutions à base de fibres, mais qui ont les mêmes propriétés que le plastique pour s'assurer qu'elles correspondent bien aux besoins et qu'elles sont bien recyclables par la suite.

Carrefour ne se limite pas à ce projet avec RE(SET) ; il est aussi en train de monter une filière de recyclage de PET opaque, pour recycler les bouteilles de lait. "Nous avons trouvé une solution technique pour qu'une bouteille de lait soit recyclée en bouteille de lait. Nous sommes prêts industriellement, des tests consommateurs ont été réalisés car la bouteille est grise et non blanche. Au cours de l'année 2020, nos bouteilles de lait bio de 1 litre entier et écrémé seront produites à partir de bouteilles recyclées, ce qui nous permettra d'économiser 80 tonnes de plastique vierge. Nous élargirons ensuite à l'ensemble des bouteilles de lait, lorsque nous aurons suffisamment de PET opaque", raconte Laurent Francony.

Pénurie de plastique recyclé

En effet, le passage du plastique classique à un autre matériau ou à du plastique recyclé pose un autre problème que le défi technologique : celui du sourcing. La société Rainett, qui compte 65% de plastique recyclé dans ses emballages et qui est en train de passer à 85%, en fait l'expérience :

Benoit Renauld

"Il est difficile d'obtenir de la matière première, pointe Benoît Renauld, directeur général France de Rainett. Nous avons lancé des initiatives afin de fédérer l'amont, l'aval et le latéral". Au-delà de la problématique du sourcing, se pose celle du prix de la matière première : S&P Global Platts rapporte que le plastique recyclé est devenu l'an dernier plus cher que le vierge, la demande ayant bondi en Europe. Une nouvelle hausse de prix est d'ailleurs à attendre, le plastique recyclé n'équivalant pour l'instant qu'à 8% de la production mondiale de PET vierge.

Ainsi, les entreprises s'organisent pour développer leur propre filière de recyclage. Rainett, par exemple, travaille avec l'ensemble de son écosystème, c'est-à-dire les recycleurs, bien sûr, mais aussi les fabricants de machines de tri abouties, les distributeurs et les autres industriels. "C'est une initiative ouverte. Nous ne pouvons pas travailler seuls sur un tel sujet car, pour que nous soyons suivis par les fabricants de machines de recyclage, des débouchés importants doivent exister. Il faut du volume", explique Benoît Renauld. La collaboration ne doit donc pas se limiter aux fournisseurs pour développer des filières de recyclage. "En matière de recyclage, il faut des gros volumes. Il n'est pas possible de faire du sur-mesure", approuve Nathalie Paillon, directrice des opérations et des études de l'Observatoire des achats responsables (ObsAR). Collaborer avec d'autres acteurs permet aussi, nous l'avons vu avec RE(SET), de davantage innover. Par exemple, Nestlé, Mars, Total et Recycling Technologies se sont associés pour développer une filière industrielle innovante de recyclage chimique en France.

Au-delà de l'utilisation de plastique recyclé, Rainett prend d'autres initiatives afin de réduire sa consommation de plastique vierge. Par exemple, les lessives seront désormais plus concentrées et les bidons ne sont donc plus que de 50 ml, contre 66 ml, auparavant. "Nous avons assumé de réduire le facing afin de réduire nos emballages", révèle Benoît Renauld, qui annonce par ailleurs avoir réintroduit les lessives en poudre, qui sont emballées dans du carton. Rainett se penche aujourd'hui sur les recharges : elles utilisent moins de plastiques, mais ne sont pas recyclables car multicouche ; Rainett souhaite lancer une recharge monocouche.

La société a également réfléchi au vrac, mais sans trouver de solution satisfaisante. "Il faut approvisionner les machines qui distribuent la lessive aux consommateurs, avec des bidons de maximum 10 kg pour que l'impact sur la santé du personnel ne soit pas trop important. La réduction des emballages n'est donc pas énorme. Par ailleurs, il faut construire cette machine, la nettoyer et la maintenir. Le bénéfice n'est donc pas significatif", analyse Benoît Renauld. Quant à la consigne, le directeur général France de Rainett n'y croit pas : "Récupérer nos propres bouteilles est trop complexe", pense-t-il.

Carrefour ne se ferme quant à lui aucune porte. Le vrac s'est implanté dans de nombreux magasins de l'enseigne avec succès, et le groupe s'est également lancé dans la consigne avec l'opérateur Loop, un modèle de distribution e-commerce basé sur la consigne. "L'objectif de notre partenariat avec Loop est de créer un modèle permettant aux industriels et aux distributeurs d'expérimenter, avec les consommateurs, un modèle qui élimine l'emballage jetable", livre Laurent Francony. Mais cela n'est pas encore totalement fluide en termes de logistique et de format d'emballage.

Lire la suite en page 3 : La question de fin de vie des emballages - et l'interview de Rémi Rocca, directeur achats, environnement, qualité et logistique de McDonald's France: "Nous choisissons la meilleure technologie, en nous préoccupant en priorité de la question de la sécurité alimentaire"


La question de la fin de vie des emballages

Si la co-construction avec ses fournisseurs existant peut s'avérer fructueuse et aboutir à des innovations, il est parfois nécessaire de travailler avec de nouveaux fournisseurs. "Quand on change de matière première, que l'on passe par exemple du plastique au maïs, on est souvent obligé de changer de fournisseurs. Ce qui veut dire qu'il faut revoir son panel fournisseurs, mais aussi repenser toute sa filière achats afin de s'assurer que ses fournisseurs auront, eux, bien accès à des matériaux autres que le plastique. Car ce n'est pas toujours évident, notamment pour les petits fournisseurs", met en garde Christophe Durcudoy (Argon & Co). Jérôme Tarting, p-dg de Up'n Biz, société qui accompagne les entrepreneurs, conseille, pour changer sa chaîne d'approvisionnement, de découper la chaîne en petits projets au lieu de tout faire en même temps.

Il propose par ailleurs d'alléger les cahiers des charges afin de toucher des petites entreprises de niche innovantes. "Des guides de bonnes pratiques dans lesquels de petites structures peuvent s'insérer sont même préférables à un cahier des charges classique", recommande Jérôme Tarting. Les achats ont donc plus qu'un petit rôle à jouer dans cette révolution autour du plastique : ils doivent mettre en place une toute nouvelle stratégie d'achats. La crise actuelle, qui oblige bien souvent à repenser son sourcing, peut être l'occasion d'inclure dans ses critères la question du plastique.

C'est également à la direction achats qu'incombe le devoir de se poser la question de la fin de vie des emballages, de la gestion des déchets. Cette question doit en effet se poser en amont pour pouvoir être bien traitée en aval. "Si l'on opte pour le recyclage, les emballages doivent pouvoir l'être facilement. Il faut par exemple que les différentes parties puissent être séparées pour être triées", prévient Christophe Durcudoy. C'est ce que fait, par exemple, Rainett pour les recharges de lessive sur lesquelles un film avec le nom de la marque peut se détacher pour faciliter le tri et le recyclage.

Nathalie Paillon (ObsAR) pense d'ailleurs que la démarche de réduction du plastique doit partir des déchets : "Il faut aller voir quels déchets sont produits par l'activité de l'entreprise et remonter toute la chaîne pour comprendre lesquels auraient pu être évités", conseille-t-elle. Ce qui permettra de se poser la question des emballages utilisés, mais aussi de la conception des produits en eux-mêmes pour qu'ils puissent être réparés, réutilisés, recyclés et non plus seulement jetés. Christophe Durcudoy invite aussi à se poser la question des stocks, qu'il s'agit également de ne pas jeter. "Il est préférable de bien prévoir pour acheter au minimum et d'être agile et réactif", pense-t-il. Jeter les invendus devrait d'ailleurs devenir interdit d'ici à fin 2021, selon un souhait du gouvernement.

La réflexion autour du plastique ne doit cependant pas être vue comme une contrainte, mais comme une opportunité. Une opportunité de renouer le dialogue avec ses fournisseurs sur des sujets d'avenir. Une opportunité, aussi, d'innover. Jérôme Tarting (Up'n Biz) cite The Box, une boîte développée par la société nantaise LivingPackets et primée au CES de Las Vegas en janvier dernier : conçue en matériau recyclé, elle est réutilisable 1 000 fois et intègre des technologies pour être géolocalisée et savoir si tout se passe bien en termes de chocs, d'humidité... De quoi révolutionner l'envoi et la réception de colis, tout en préservant l'environnement.

"Nous choisissons la meilleure technologie, en nous préoccupant en priorité de la question de la sécurité alimentaire"

Rémi Rocca

Rémi Rocca, directeur achats, environnement, qualité et logistique de McDonald's France

McDonald's France ne cesse de chercher des solutions alternatives au plastique. Après l'arrêt emblématique des boîtes en polystyrène pour emballer ses sandwichs (qui sont désormais en carton 100% certifié), la chaîne de restauration rapide a remplacé les bols de ses grandes salades (désormais en fibres moulées), a adopté des couverts en bois et supprimé les couvercles de ses glaces McFlurry. "Un de nos fournisseurs a eu l'idée de nous proposer quatre ailettes sur une boîte en carton qui font office de couvercle", décrit Rémi Rocca, directeur achats, environnement, qualité et logistique de McDonald's France.

Dernière innovation en date : la suppression des pailles et des couvercles pour les gobelets de boissons froides, remplacés en novembre 2019 par un couvercle avec paille intégrée. "Les alternatives au plastique existaient pour les pailles, mais pas pour les couvercles. Nous nous sommes inspirés de ce qui existe pour les boissons chaudes, mais en fibres. Il s'agit de la même technologie que la boîte à oeufs", explique Rémi Rocca.

Ces nouvelles innovations sont co-construites avec les fournisseurs du groupe, qui proposent des prototypes en fonction des demandes de McDonald's France. "Nous choisissons la meilleure technologie, en nous préoccupant en priorité de la question de la sécurité alimentaire. Nous nous soucions également de la durabilité du sourcing : nous ne souhaitons pas qu'il y ait davantage d'arbres coupés que plantés. Enfin, la rapidité de la mise à disposition est également importante", indique Rémi Rocca. Les fournisseurs sont également proactifs et proposent parfois eux-mêmes des alternatives efficaces.

Avec de telles innovations, McDonald's France, dont les emballages sont déjà constitués à 90% de fibres naturelles, espère supprimer les 10% restant en 2020. "Nos emballages représentent 1 200 tonnes de plastique par an. Avec l'adoption de ces nouveaux couvercles, nous serons à moins de 4 000 tonnes de plastique par an", rapporte Rémi Rocca. Pour atteindre l'objectif de 0 plastique dans ses emballages, le groupe devra s'attaquer aux gobelets à glace et aux couvercles de boissons chaudes. "Il faudra trouver une technologie permettant de résister à la vapeur et à la chaleur", souligne Rémi Rocca.

 
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