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Crise sanitaire : la contribution des achats publics à la continuité d'activité

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Crise sanitaire : la contribution des achats publics à la continuité d'activité
© retrostar - Fotolia

Télétravail, dématérialisation, adaptation des règles de la commande publique... Grâce à ces innovations, les acheteurs publics ont contribué et contribuent à la continuité d'activité pendant la crise sanitaire.

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Le confinement est synonyme de télétravail pour beaucoup d'acheteurs publics. "Les achats sont particulièrement bien armés pour résister à ce type de crise grâce à la grande dématérialisation des marchés publics et à la signature électronique", explique Bertrand Delille Levesque, consultant senior chez CKS Public. "?Nous avons mis en place un télétravail massif, témoigne Marc Sauvage, directeur général adjoint des services achats, juridique et numérique, de la Région Île-de-France. Tout le monde étant déjà équipé de PC portables, il a permis une vraie continuité de service". Arielle Feuillas, consultante chez Citia, nuance cependant le succès du télétravail : "Tous les acheteurs publics ne sont pas égaux en termes d'organisation du travail. Certains clients ont fonctionné quasi normalement (NDLR: durant le premier confinement), mais d'autres n'étaient pas du tout préparés à cette situation."

L'approvisionnement en produits de santé a été une priorité de toutes les directions achats. "À l'échelon régional, nous avons fait l'acquisition des masques, de gel hydroalcoolique et d'équipements de protection pour l'ensemble des services de l'État, rapporte Pierre Villeneuve, directeur de la plateforme régionale des achats à la préfecture de la région Bretagne. Nous avons fait du sourcing dans l'urgence. La centrale d'achats régionale d'Île-de-France, née à l'automne 2019 et qui sert près de 3 000 acheteurs publics, a aussi pleinement joué son rôle lors du premier confinement. "Nous avons mis en place une plateforme digitale qui permettait aux acheteurs de signaler leurs besoins, notamment en masques", précise Marc Sauvage.

Un volet achats du plan de continuité d'activité

Pour faire face à la crise sanitaire, certains acheteurs publics ont pu s'appuyer sur un plan de continuité d'activité (PCA). À la préfecture de la région Bretagne, son volet achats a été activé dès le 13 mars. "Il nous a permis d'avoir très rapidement une cartographie des fournisseurs et segments stratégiques", souligne Pierre Villeneuve. "Il a eu pour effet de solliciter l'ensemble de nos fournisseurs pour qu'ils nous informent de leur continuité d'activité." Parmi les marchés stratégiques de cette institution, on trouve notamment la maintenance des ascenseurs, la fourniture des fluides (électricité, gaz, carburant), la maintenance électrique, la sécurité des bâtiments de l'État, la téléphonie mobile, la téléphonie fixe ou le nettoyage des commissariats de police.

Toutes les institutions n'avaient pas de plan de continuité d'activité avant la crise. Mais toutes ont pris des mesures fortes.

"Dans le domaine de la formation professionnelle, en Île-de-France, nous avons activé tout ce que nous pouvions en e-learning", explique Marc Sauvage. "Nous avons maintenu tous les travaux possibles pour permettre la continuité de l'activité économique. Nous n'avons pas appliqué de pénalités pour rallongement des délais."

Lire la suite en page 2 : Un sujet majeur : les chantiers de travaux / L'interview de Me Evangelia Karamitrou, avocate associée au cabinet Landot & associés.

Lire en page 3 : "Permettre une exécution en distanciel des prestations aux demandeurs d'emploi", l'interview de Philippe Maraval, directeur achats de Pôle Emploi


Un sujet majeur : les chantiers de travaux

Lors du premier confinement, "Les chantiers se sont arrêtés très rapidement du fait de la difficulté d'y respecter la distanciation physique, a constaté Aurélie Feuillas, consultante chez Citia. Les acheteurs publics n'ont pas appliqué de pénalités, mais ont reçu des demandes d'indemnisation d'arrêt de chantier. Ils nous ont sollicités pour les aider à négocier des avenants de reprise de chantier."

Les marchés de travaux, comme l'ensemble des marchés publics, ont pu bénéficier de mesures d'adaptation des règles régissant la commande publique. Ce fut l'objet de l'ordonnance n°2020-319, adoptée le 25 mars 2020 pour faire face à la crise sanitaire. Le paragraphe 3 de son article 6 évoque en particulier la délicate question des indemnisations : "Lorsque l'annulation d'un bon de commande ou la résiliation du marché par l'acheteur est la conséquence des mesures prises par les autorités administratives compétentes dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, le titulaire peut être indemnisé, par l'acheteur, des dépenses engagées lorsqu'elles sont directement imputables à l'exécution d'un bon de commande annulé ou d'un marché résilié."

"Ce principe d'indemnisation est conçu à la fois pour les entreprises, afin qu'elles ne mettent pas la clé sous la porte, et pour les acheteurs, afin qu'ils ne soient pas débordés par les demandes, commente Bertrand Delille Levesque. Des dépenses engagées comme la location de matériel ou des prestations de montage et de démontage de grue pouvaient ainsi être indemnisables". Aurélie Feuillas ajoute quant à elle que "l'ordonnance n'a pas réglé toutes les questions" et qu'il pourrait y avoir "pas mal de contentieux. "Toujours à propos des marchés de travaux, Bertrand Delille Levesque s'interroge : "La crise sanitaire va-t-elle déboucher sur de l'innovation ? Par exemple, certains travaux seront-ils à réaliser par une seule personne ?"

Sortis de la première urgence, les acheteurs publics peuvent maintenant anticiper. "Nous avons, dans notre centrale d'achats régionale d'Île-de-France, tous les produits utiles aux lycées: masques, blouses, gels, etc., précise Marc Sauvage. Nous avons mis en place des accords cadres pour pérenniser l'approvisionnement." Pierre Villeneuve complète : "Aujourd'hui nous sommes davantage dans un plan de reprise d'activité. Nous réfléchissons aux éléments que nous pourrions garder, notamment le maintien d'un taux d'avance plus élevé". Le directeur achats pense déjà à l'adaptation du plan de continuité d'activité (PCA) de la préfecture de la région Bretagne : "Nous pourrions par exemple disposer plus rapidement des PCA des fournisseurs stratégiques". Les acheteurs publics seront ainsi bien mieux armés pour faire face aux crises.


Interview

Me Evangelia Karamitrou, avocate associée au cabinet Landot & associés.

Quels sont les principaux textes relatifs à l'adaptation des règles de la commande publique durant la crise sanitaire ?

Il y a tout d'abord l'ordonnance 2020-319 du 25 mars 2020 qui a répondu à beaucoup de préoccupations des praticiens. La Direction des affaires juridiques a aussi écrit sur le sujet et je pense que cela peut être d'une grande aide, même si le juge n'est évidemment pas lié par les interprétations de la doctrine. Il ne faut pas non plus oublier certains articles du code de la commande publique tel que l'article L6 sur l'imprévision. En ce qui concerne la jurisprudence, il est important de bien comprendre les fondements de la théorie de l'imprévision qui sera le fondement probable d'un certain nombre de demandes d'indemnisation de la part des titulaires des marchés publics. Naturellement, il n'y a pas encore de jurisprudence relative à la crise du Covid-19 !

Quels sont les points les plus importants de l'ordonnance du 25 mars 2020 ?

L'article phare, à lire attentivement, est l'article 6. Il concerne les difficultés d'exécution des différents contrats dues à la crise sanitaire et peut être d'une grande aide pour les acheteurs. Il contient à la fois des informations sur l'exécution des marchés publics, mais aussi sur les contrats de concessions. Les dispositions de cette ordonnance sont applicables durant la période courant du 12 mars 2020 jusqu'au 23 juillet prochain.


Témoignage - "Permettre une exécution en distanciel des prestations aux demandeurs d'emploi"

Philippe Maraval, directeur achats de Pôle Emploi

Pôle Emploi, c'est 1 milliard d'euros d'achats, dont la moitié consacrée aux prestations aux demandeurs d'emploi : 200 millions pour leur formation continue et 300 millions pour les prestations d'accompagnement. "Ces 900 marchés de prestations aux demandeurs d'emploi ont été stoppés du jour au lendemain du fait du confinement, rapporte Philippe Maraval. Nous avons alors permis une exécution en distanciel desdites prestations". Dans cette optique, la direction achats a envoyé près d'un millier d'ordres de service aux titulaires de ces marchés. "Le distanciel a été fortement possible pour les prestations d'accompagnement, mais moins pour les formations, certaines portant sur des actes manuels, précise Philippe Maraval. À ceux qui ne pouvaient pas maintenir le parcours pédagogique, nous avons permis de maintenir un lien avec les demandeurs d'emploi."

Au total, d'après une étude de la Dares, ce sont tout de même 48% des formations Pôle Emploi qui ont été transformées en formations à distance en raison du confinement. Entre le 11 mai 2020 et le reconfinement, une partie des formations avait pu reprendre en présentiel, mais l'organisation des examens restait une difficulté. Par ailleurs, au début du premier confinement, la direction achats avait lancé des marchés de formation 100% à distance. "Ces marchés ont connu un grand succès, se réjouit Philippe Maraval. Nous avions un doute sur l'accueil qui leur serait réservé, mais il y a eu une bascule psychologique chez les demandeurs d'emploi."

En vue de la réouverture des agences Pôle Emploi, le 18 mai dernier, la direction des achats s'était également mobilisée dans l'approvisionnement en masques et en gel hydroalcoolique. "Nous avons pu acheter sans avoir à respecter les délais d'appel d'offre européens, précise Philippe Maraval. Plusieurs collaborateurs se sont consacrés à l'approvisionnement et à la logistique de ces produits sanitaires." Pôle Emploi s'est appuyé sur son marché de plateforme logistique pour les acheminer dans ses agences, dans toutes les régions. "Cette crise nous montre qu'il faut conserver une capacité de passage au trading international", souligne Philippe Maraval. Celui-ci nécessite de comprendre les incoterms, de parler anglais, de trouver de nouveaux intermédiaires. C'est de l'approvisionnement en terre inconnue.

 
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