Sécurité chez les fournisseurs : voir au-delà du textile au Bangladesh !
"Il faut désormais que cette prise de conscience se propage dans d'autres secteurs des biens de grande consommation: les produits électroniques, les jouets ou encore l'alimentaire. Un récent rapport de QIMA montre qu'au 1er semestre 2021, 2/3 des usines auditées présentaient des problèmes en matière de sécurité structurelle, incendie et électrique"
Je m'abonneEn 2013 au Bangladesh, l'immeuble du Rana Plaza s'effondrait, tuant 1138 personnes. Ces victimes travaillaient dans des usines de sous-traitants de marques textiles qui ont pignon sur rue dans nos villes occidentales.
Dans la foulée, plus de 300 groupes textiles européens engageaient de manière volontaire leur responsabilité juridique dans ce qui a vite été appelé "L'Accord Bangladesh". Ces entreprises s'engageaient à réaliser des audits de bâtiments (audits de structure, incendie, installations électriques ...) et des conditions de travail dans les usines de leurs fournisseurs, et à leur imposer des mesures correctives nécessaires sous peine de ruptures de relations commerciales. Cette démarche volontaire a été un jalon clé dans la lame de fond du "devoir de vigilance" des entreprises multinationales.
Après des mois d'incertitudes sur son avenir, l'Accord Bangladesh a été reconduit en septembre 2021 pour deux ans, sous l'égide d'une instance locale. Je salue le travail mené par les syndicats et les représentants de la société civile, qui ont oeuvré à la naissance et la prolongation de cet accord crucial, qui a permis des avancées significatives pour la sécurité des travailleurs.
Un bémol est toutefois à noter dans cette bonne nouvelle : seules 80 entreprises sur 300 ont renouvelé leur signature. Certes, le temps et la Covid, sont passés par là ... Mais à l'heure où nos chaînes d'approvisionnement n'ont jamais été aussi mondialisées et complexes qu'aujourd'hui, les marques occidentales doivent se réengager et lutter contre ces non-conformités critiques qui mettent en danger leurs fournisseurs et leurs marchandises.
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Pas seulement au Bangladesh !
En avril 2021, quatre personnes ont trouvé la mort dans un incendie d'une usine électronique au Vietnam. En 2020, pas moins de cinq immeubles de plusieurs étages se sont effondrés au Pakistan, tuant plus de 50 personnes.
Ces drames ne se limitent aux frontières du Bangladesh, et les porteurs de l'Accord ont d'ailleurs bien compris la nécessité d'étendre cette fois-ci sa portée à d'autres pays : il faut s'en féliciter ! L'initiative LABS (Life And Building Safety), dont QIMA est partenaire, rassemble par exemple des marques du textile et de la chaussure qui cherchent à faire bouger les choses dans d'autres pays clés de production : au Vietnam, en Inde, et l'année prochaine au Cambodge.
Et pas seulement dans le textile !
L'attention a été focalisée sur ce secteur du textile à la suite de 2013. Et à raison. Mais il faut désormais que cette prise de conscience se propage dans d'autres secteurs des biens de grande consommation : les produits électroniques, les jouets ou encore l'alimentaire. Toutes les initiatives visant à étendre ces actions au-delà et du textile et du Bangladesh doivent être pleinement encouragées.
Un récent rapport de QIMA montre qu'au 1er semestre 2021, 2/3 des usines auditées présentaient des problèmes en matière de sécurité structurelle, incendie et électrique. La sécurité incendie est devenue un problème particulièrement urgent, car plus de la moitié des usines auditées au 1er semestre 2021 nécessitent des améliorations à court terme. Le phénomène est donc massif.
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Il est désormais urgent que les marques, les importateurs et les détaillants passent à l'action, réalisent des audits de manière proactive, et aillent sur place dans les usines, pour viser une amélioration continue des conditions de production. Seuls des yeux d'auditeurs formés pour déceler les défaillances permettront de mettre à jour ces manquements.
De plus, il faut équiper ces inspecteurs d'outils digitaux à la hauteur de leur mission. En effet, une marque internationale peut avoir des centaines de fournisseurs différents, dans un très grand nombre de pays, et suite aux impacts de la Covid, les marques ont pris le pli de diversifier encore davantage leurs réseaux d'approvisionnement. Dans ce maillage de plus en plus complexe, il faut dépasser la collecte de données dans des fichiers Excel disparates, par email ou sur papier ! Sinon, comment consolider les données d'audits pour avoir une visibilité globale et permettre à la marque de prendre les décisions qui s'imposent ? Ainsi, une enquête menée par QIMA a démontré que les entreprises peu digitalisées sont deux fois plus exposées à des risques qualité et éthiques graves ...
Nous avons désormais des moyens technologiques pour récolter les données qualité et conformité de manière centralisée et homogène, de les comparer, les piloter et les partager en dépit des différences de langues, de normes, et de cultures des différents pays d'implantation.
Précisons ici un point majeur. Dans notre métier, celui du contrôle qualité et conformité, nous rencontrons chaque jour, sur le terrain, des directeurs d'usines dans tous ces pays du monde : l'immense majorité ne sont pas des esclavagistes cyniques et sans scrupules. Face à un défaut ou une non-conformité identifiée, la plupart cherchent à s'améliorer dans la mesure du possible et quand il est encore temps. Charge aux marques et importateurs d'engager la démarche de contrôle, dans une approche constructive et collaborative pour viser à l'amélioration des supply chains sur le long terme. Avant que de nouvelles catastrophes ne surviennent !
Alors, passons de la parole aux actes. Et ne limitons plus nos efforts au textile du Bangladesh.
Par Sébastien Breteau est président fondateur de QIMA, qui réalise des contrôles qualité et des audits RSE fournisseurs pour des marques et importateurs de biens de grande consommation.