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Paiement à l'usage: la nouvelle révolution achats ?

Publié par Aude Guesnon le | Mis à jour le
Paiement à l'usage: la nouvelle révolution achats ?
© 3d_kot

Pourquoi le paiement à l'usage va-t-il se développer? Comment envisager la rémunération des fournisseurs dans une logique de partage des gains? Quels sont les freins à ce modèle ? Nos quatre experts font le point sur ce modèle très vertueux.

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A l'occasion d'une Journée des Achats (cliquer sur les sujets pour voir les replay), organisée le 11 mars par votre média, Décision Achats nous avons organisé une table ronde sur un modèle qui tend à se développer : le paiement à l'usage. Un modèle qui présente, tant pour la fonction achats, que pour son écosystème, de nombreuses vertus, ne serait-ce qu'en terme environnemental. Car le "pay for use" permet notamment de lutter contre l'obsolescence programmée, d'abaisser les consommations d'énergie, de favoriser l'économie circulaire... Bref, il s'inscrit pleinement dans une politique d'achats durables et responsables.

Pour en parler, nous avons accueilli Natacha Tréhan, professeur en management des achats et chercheur à l'Université Grenoble Alpes; Franklin Brousse, avocat chez +Avocats; Jérémy Labbe, Head of external services procurement chez Capgemini et Gregory Wanlin, Partner Enabling Procurement. Les échanges:

Le modèle gagne du terrain.... pourquoi?

A quels besoins répond le paiement à l'usage ?

Natacha Tréhan - Je vois quatre grandes raisons qui font que le paiement à l'usage, une transformation qui s'inscrit dans ce que j'appelle la "servicisation" de l'économie, va se développer :

- Une raison économique : transformer les capex en opex

- Une personnalisation de l'offre. Le paiement à l'usage va permettre aux fournisseurs de proposer une expérience client ultra-personnalisée. Ce développement est rendu possible grâce à la digitalisation. Des capteurs sont intégrés aux machines. L'IOT permet de récupérer et d'analyser les données. Grâce à une collecte massive des données, on va pouvoir vite comprendre l'utilisation qui est faite des produits pour personnaliser l'offre et proposer des services auxquels les clients n'ont pas pensé.

- logique environnementale : ce modèle permet d'être au coeur d'une logique environnementale, de valeur durable et d'économie circulaire. L'intérêt, ici, pour le fournisseur, est de faire durer ses machines le plus de temps possible, on lutte contre l'obsolescence programmée, de proposer des services à VA de maintenance, d'économies d'énergies... avec des machines moins énergivores. Toutes les entreprises sont en recherches de solutions face à ces enjeux-là pour diminuer leur empreinte carbone. En outre, ce sont des paramètres pris en compte dans la notation extra-financière des entreprises.

- On va vers une convergence des intérêts. Le fournisseur est capable de mieux satisfaire le besoin du client et le client achète un service à plus haute valeur ajoutée.

Jérémy, en tant qu'acheteur, quel regard portez-vous sur ce modèle ?

Jérémy Labbe - En rebond, je pense que le paiement à l'usage tend à se déployer et ce, au-delà des traditionnelles familles achats de Capex en IT. Cette tendance avait démarré avec les achats de matériels informatiques pour des raisons d'optimisations financières et/ou la volonté de renouveler le matériel mais nous voyons cette même tendance arriver dans certains achats purement indirects comme l'immobilier professionnel. A noter qu'en fonction des typologies d'achats, le paiement à l'usage peut être poussé par le fournisseur (ex : software) ou bien par la société cliente (ex : mobilier de bureaux, téléphonie). Attention toutefois à la durée des engagements associées à de tels modèles.

Justement, côté fournisseur, quel est l'intérêt de ce modèle ? Natacha ?

Natacha Tréhan - Pour le fournisseur, c'est très intéressant puisque, avant, il vendait une machine et faisait rentrer l'argent d'un coup alors qu'avec le paiement à l'usage, il est sur une logique de paiement récurrent et prévisible. En outre, la relation va de fait s'installer dans le temps, avec une interdépendance qui sous-tend des enjeux communs. Le client est moins volatil.

Franklin Brousse - Ce sont effectivement des modèles économiques imposés par les fournisseurs pour des raisons de reconnaissance de revenus et de lisibilité du modèle économique vis-à-vis des investisseurs. C'est ainsi que, en matière de logiciels, les éditeurs ont fait évoluer leur modèle. Un modèle économique qui repose sur un système d'abonnement est plus rassurant

Gregory, vous avez accompagné des clients dans cette démarche. Pouvez-vous nous relater ce qui a été fait ?

Gregory Wanlin - Le paiement à l'usage n'est pas complètement nouveau. Cela a commencé il y a une quinzaine d'années avec les photocopieurs où il s'agissait de payer à la page. Ensuite, ce furent les parcs avec la LLD puis les logiciels ; avec le saas, les entreprises achètent la fonctionnalité et plus les logiciels. Elles payent un abonnement. Ce qui est nouveau, c'est que le paiement à l'usage gagne effectivement des secteurs spécialisés. Nous avons récemment accompagné des clients sur deux modèles différents : l'un est une chaîne de restauration qui a adopté le modèle pour les machines à café, l'autre est un grand retail, qui exerce dans le bricolage, qui l'a adopté pour son éclairage.

Notre client a changé son parc de machine à café, mais au lieu de les acheter, il a fait appel à un fournisseur qui reste propriétaire des machines et il paie le fournisseur au nombre de cafés vendus. A charge pour lui que le café soit bon et toujours délivré. L'approvisionnement est une activité partagée mais avec une implication plus forte du fournisseur qui doit aussi maximiser les ventes, donc orienter l'offre en fonction de ce qui est le plus consommé.

Le second client a opté pour le "lighting as a service". Il voulait remplacer les vieux néons de ses magasins par des LED, mais cela représentait un investissement de dizaine de millions d'euros. LA chaîne, qui n'avait en outre pas vocation à être expert technique, n'a pas acheté le matériel, mais une performance. Ce modèle change la dynamique. Le fournisseur a dû proposer la solution pour diminuer la consommation d'énergie et c'est cette économie d'énergie qui permet de financer la solution mise en place. Le client paie une location mensuelle

Franklin, lorsque nous avons échangé, vous m'avez parlé d'un cas de figure intéressant : du linge intelligent. Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?

Franklin Brousse - Je connais une société qui vend du linge intelligent avec des capteurs pour les hôpitaux ou des hôtels. Aujourd'hui, ils ont un certain nombre d'informations sur le nombre de cycles de lavage et l'usure du linge qui leur permet d'optimiser leur service rendu à leurs clients.

Dans le cas du retailer et de ses led, Gregory, le fournisseur est-il objectivé à l'économie d'énergie ?

Gregory Wanlin - Non. On pourrait l'envisager par la suite, mais l'objectif premier n'était pas celui-là. L'objectif premier était de changer un matériel vieillissant pour une solution moins énergivore et plus intéressante techniquement - adopter les LED permet de faire des choses plus intéressantes en termes de modularité.... Et de maintenance - L'idée était aussi de transformer les capex en opex.

Et comment est alors gérée l'obsolescence des produits ? Au fournisseur de se débrouiller, ou est-ce contractuel ?

Gregory Wanlin - Le modèle économie de l'usage suppose qu'il y ait un marché de la seconde main ou la possibilité de valoriser le produit une fois sa vie terminée chez le premier client. On doit intégrer ce sujet au montage financier car le fournisseur ne doit pas payer toute la vie du produit et sa destruction

Des fabricants de remontées mécaniques qui sont en train de développer ce modèle, prévoient de démonter le matériel, une fois la durée de vie du produit chez le premier client terminé, pour le vendre ailleurs, dans des pays comme la Russie, par exemple.

Jérémy Labbe - C'est Capgemini, nous sommes très attentifs au recyclage des matériels informatiques, Il est important pour nous de savoir ce qu'advient le matériel après nous au regard de nos objectifs RSE, que ce soit pour les téléphones ou les PC. A titre d'exemple, nous travaillons avec des entreprises du secteur adapté afin d'assurer une seconde vie à nos ordinateurs.

Quels autres types d'achats peut on envisager sous cet angle ?

Gregory Wanlin - Je pense qu'il y a de multiples achats qui sont du capex qui peuvent être envisagés sous ce modèle. Il se développe, par exemple sur le mobilier. Pour les entreprises, c'est une baisse des charges fixes et des investissements. Il est plus intéressant de payer au fil de l'eau et de dégager du temps pour se reconcentrer sur son coeur de métier.

Natacha Tréhan - Tous les produits dans lesquels on peut mettre des capteurs ! Michelin facture un nombre d'atterrissages aux compagnies aériennes, Veolia ou Dalkia facturent un niveau de température dans un bâtiment (ils restent propriétaires des chaudières, systèmes de climatisation, etc.), Schneider propose des solutions d'optimisation des énergies, des fluides dans les usines (avec une option lorsque c'est lui qui possède les compresseurs, tours de refroidissement, capteurs, etc.), Roche Diagnostic ne vend pas ses machines mais facture un coût à l'analyse... "Tous les produits seront des services d'ici 2030", voici une des 8 prédictions du WEF pour le B to C. Cette tendance se diffuse en B to B.

Et comment bien faire la différence entre déléguer et abandonner ?

Gregory Wanlin - Externaliser un problème n'est effectivement pas le résoudre. Il faut garder un minimum la main. Il faut être clair sur les objectifs, garder un oeil sur le marché pour continuer de challenger son fournisseur

Lire la suite en page 2 : Logique de partage des gains/Transformer la rémunération des fournisseurs /

et en page 3 : Les freins au développement du paiement à l'usage


Logique de partage des gains/Transformer la rémunération des fournisseurs

Faut-il transformer la façon dont est rémunéré le fournisseur ?

Natacha Tréhan - Je pense qu'il faut effectivement l'envisager autrement, en rémunérant les économies obtenues et la valeur apportée. Prenons l'exemple d'un laboratoire d'analyses dont le fournisseur met des machines d'analyse à disposition et assiste le client dans une meilleure utilisation. Les capteurs, dans les machines permettent de faire de la maintenance prédictive, mais aussi d'apporter des conseils sur comment en faire plus en un minimum de temps, comment économiser des produits, fiabiliser, les tests, etc. Il y a une convergence des intérêts qu'il faut prendre en compte

On doit intégrer des clauses de partages de gains dans les contrats pour que ce modèle puisse de développer.

Jérémy Labbe - Nous n'en sommes pas encore au paiement au résultat. Dans la plupart des cas, les données sont partagées oralement au moment de la construction de l'offre commerciale mais encore rarement contractualisées. On parle des objectifs communs, on les définit en amont pour définir les prix, mais rien n'est écrit. Cela va toutefois dans le bon sens. Pour demain, on peut envisager, sur la téléphonie, par exemple, des objectifs partagés sur le taux de casse, les taux de remplacement, etc. et prévoir un système de bonus et de malus. Reste à convaincre les fournisseurs de s'engager dans cette démarche et de le cadrer contractuellement.

Franklin, que faut-il prévoir, contractuellement, afin d'accompagner ces nouveaux modèles ?

Franklin Brousse - Contractuellement, ce qui change est la logique de service. Ce n'est pas très compliqué, il faut simplement intégrer de nouvelles clauses, prévoir une convention de service, avec des indicateurs tels que, dans le cadre d'un service : je veux pouvoir y accéder 24h/24, en cas de souci, je veux un engagement de rétablissement du service à H quelque chose. On est sur du service et de la qualité de service. Ce n'est pas nouveau, il faut juste détailler les résultats attendus ; des indicateurs pour établir la performance.

Lire la suite en page 3: Les freins au développement du paiement à l'usage


Les freins au développement du paiement à l'usage

Quels sont les freins au développement de ce modèle ? Ce modèle n'est-il pas plus onéreux qu'un achat classique ?

Gregory Wanlin - Certains leviers qui étaient intéressants ne le sont plus en raison d'évolutions juridiques. La location opérationnelle est à présent une immobilisation. L'instabilité juridique est un frein.

La question des coûts est bien évidemment présente, mais puisque l'entreprise donne une partie de sa charge à l'extérieur et qu'elle achète du service, il est logique qu'elle le paie. Mais si on enlève le temps homme qu'il n'y a plus à consacrer au sujet, on arrive à une équation équivalente, sans parler du fait que l'entreprise réduit ainsi les risques, notamment sur la gestion de la fin de vie des produits.

La balance entre risque et coûts est universelle : il appartient à chaque entreprise de faire ses arbitrages. Oui, j'achète du service en plus mais je dois le mettre en regard de la performance accrue, de la création de valeur.

Natacha Tréhan - Il y a effectivement des freins financiers. Toutes les entreprises faisant appel à l'épargne publique, toutes les entreprises cotées sont soumises aux normes comptables internationales, les IFRS. L'IFRS 16 prévoit que pour tous les contrats de location et de prestations de services, il y a une obligation de les requalifier en actifs. Pour éviter cela, l'acheteur doit démontrer que le fournisseur garde le contrôle des actifs et peut faire valoir son droit de substitution sur l'actif.

Une autre limite concerne le fond de roulement énorme que cela demande aux fournisseurs. Ils ne pourront pas tous proposer ce modèle n'ayant pas la capacité d'immobiliser le matériel. C'est pour cela qu'apparaissent des tiers ; des financeurs. On voit alors la naissance de relations tripartites.

Une troisième limite est la peur de l'acheteur. Il craint que le rapport de force bascule du côté du fournisseur. Car c'est lui qui va avoir la data, et, on le sait, la data, c'est le pouvoir. Les acheteurs peuvent craindre que le fournisseur, qui détient l'information, décide demain de proposer sa solution et donc, d'empiéter sur le coeur de métier du client. Les acheteurs peuvent craindre qu'un pouvoir trop important s'installe chez leurs fournisseurs.

Franklin... comment lever ces craintes et que prévoir pour se prémunir de tout risque ?

Franklin Brousse - Tout s'écrit. Les fournisseurs ne peuvent pas faire n'importe quoi avec la data. Ils ne peuvent la traiter que pour votre compte et n'ont pas le droit de les exploiter pour une autre finalité

Dans certains cas, des fournisseurs peuvent proposer à leurs clients de mutualiser leurs données pour améliorer le service. A ce moment-là, les entreprises prévoient de partager la valeur. J'ai fait des contrats de ce type. Criteo, par exemple, a mis cela en place avec des clients qui ont mutualisé leurs datas (" coopérative de données ")

Il y a des warnings, certes, mais il suffit d'établir clairement la règle du jeu, de définir qui apporte quoi. On ne peut pas spolier la propriété. Cela s'encadre.

Mais comment encadrer des risques que l'on n'envisage peut être pas bien quand on se lance dans un nouveau modèle?

Franklin Brousse - Il y a une analyse de risques à faire en amont. Il faut bien envisager l'exploitation des datas et la dimension RGPD. Ensuite, on sait prendre les mesures de gestion des risques dans les contrats.

Lorsque nous avons partagé, sur les réseaux sociaux, le thème de cette table ronde, un acheteur s'est amusé en s'interrogeant sur le nom futur d'une fonction qui n'achètera plus mais qui louera... que lui suggéreriez-vous ?

Voir la réponse de nos intervenants sur le webinar :-) cliquer ici

 
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