L'origine du risque et son impact sur la fonction achats
Le contrôle financier ne s'arrête pas aux frontières de la comptabilité et de la finance mais implique de plus en plus le processus achat dans sa globalité. Qu'est-ce qu'un risque et pourquoi est-il question de pilotage ? Avis d'expert sur les bonnes pratiques à déployer dans son service achats.
Je m'abonneDepuis 2007, des scandales financiers mettent en cause la qualité et la sincérité des résultats d’entreprises de rang mondial, mettant en avant l’incohérence des gouvernances de gestion au sein de ces entreprises. Les pouvoirs publics ont ainsi été amenés à renforcer le cadre règlementaire de la production et de la viabilité des résultats financiers. Enjeu capital, la maîtrise de la qualité du processus d’engagements externes se révèle garantir la solidité des informations produites en identifiant les événements susceptibles de compromettre l’atteinte des objectifs fixés. Cette donne incite de facto les directions opérationnelles à démontrer leur capacité à prendre des mesures actives et correctives permettant d’atténuer les niveaux de risques liés aux activités achats. Le pilotage du risque s’installe donc de manière durable dans l’exercice de la fonction achat.
Selon une approche prosaïque, un risque est la probabilité qu’un événement puisse menacer les activités ou les actifs de l’entreprise (matériels ou immatériels) et l’empêcher de réaliser ses objectifs et sa stratégie à long terme. Le pilotage du risque correspond à la mesure et à la gestion de l’exposition à une perte donnée pour un degré d’incertitude donné. Il importe donc d’identifier l’ensemble des contraintes (économiques, sociales, politiques ou environnementales) qui pourront potentiellement avoir un impact (positif ou négatif) sur la réalisation des objectifs, pour ensuite les classifier en fonction de leur impact potentiel sur la réalisation de l’objectif. Ce qui permettra la mise en place d’indicateurs de surveillance d’éléments et d’événements les plus importants, et donc permettre un suivi quasi-automatique des facteurs d’incertitude.
Au-delà de la bonne gestion des activités conduites par la fonction achat, l’identification et le pilotage du risque permettent d’en comprendre l’origine et la nature afin de mieux la délimiter. Mais aussi de pouvoir rapidement capter les signaux faibles d’événements probables. En résumé, piloter l’ensemble des informations relatives à l’environnement de l’entreprise et aux interactions macro-économique assure une bonne maîtrise des facteurs susceptibles de perturber la réalisation des objectifs. Ce processus dynamique permet aux entreprises et aux entrepreneurs de s’adapter aux évolutions de leur biotope et faire face aux incertitudes de ces variations multiples qui interviennent de façon ponctuelle ou simultanée.
Deux phénomènes façonnent le contexte économique contemporain, et sont source de nouveaux risques :
- La mondialisation : l’ouverture vers les pays à bas coûts crée de nouvelles opportunités pour répondre à des objectifs stratégiques (recherche de compétitivité). Le rôle de la fonction achat est primordial car il intervient à chaque étape de la mise en place de politiques de sourcing vers les pays dits low cost, depuis l’étude de faisabilité qui intègre l’analyse des risques inhérents à cette démarche, jusqu’à la gestion du processus d’approvisionnement et à la maîtrise des coûts.
- L’externalisation stratégique : dans un souci de performance, les entreprises ne se contentent plus d’externaliser des activités non stratégiques, comme ce fut le cas dans les années quatre-vingt-dix. Aujourd’hui, elles cherchent à se spécialiser sur leur cœur de métier et cherchent à capter l’innovation ou le savoir-faire de leurs partenaires, ce qui donne lieu au questionnement stratégique du"make or buy".
Toutes les transactions économiques mêlent l’intérieur (l’entreprise) et l’extérieur (environnement), dans toutes les dimensions variées qui touchent aux aspects sociaux, économiques, politiques et environnementaux. La fonction achat, ayant un rôle d’interface entre les partenaires externes et les services de l’entreprise, voit son métier se complexifier et se voit impliquée de façon plus importante dans les décisions stratégiques de l’entreprise. Sa responsabilité vis-à-vis de l’exposition au risque s’est parallèlement intensifiée. Parce qu’il est de la responsabilité des exécutifs de l’achat de pouvoir démontrer en permanence que les dispositifs opérationnels en place (gouvernance, processus, procédures et tableaux de bord) sont efficaces et que les opérations sont maîtrisées à tous les niveaux de la chaîne de valeur, que les aléas potentiels sont contenus et sous contrôle et que les états financiers (reporting) reflètent une certaine réalité économique.
La performance achat ne peut être uniquement définie par la seule différence entre résultats escomptés et résultats obtenus. Il faut prendre en compte, comme variable de pondération, de tout ce qui a été mis en œuvre pour atteindre le résultat. Que ce soit les données inflationnistes sur les matières ou les services, mais aussi les informations macro-économiques sur l’évolution des taux de change ou des PIB. Sans oublier les données climatiques ou géopolitiques qui auront assurément un impact sur la chaîne de la valeur à un moment ou à un autre.
De notre point de vue, la performance achats revêt des aspects multiples qui méritent d’être abordés dans une logique plus globale que la seule approche financière. Il paraît légitime de s’interroger sur la pertinence d’une méthodologie particulière, qui impliquerait de détecter les dysfonctionnements et les risques, de les analyser, de déterminer leur importance et leur impact sur la performance à venir et de les garder sous contrôle à l’aide d’indicateurs et de tableaux de bord. Ceci afin d’être en capacité de fournir à l’entreprise une assurance raisonnable quant à la réalisation d’objectifs qualitatifs et quantitatifs.
Une méthodologie simple fondée sur des outils reconnus existe. La première étape est naturellement de maîtriser le portefeuille achat fondé sur trois axes : le marché, les contraintes internes et les fournisseurs. Cette première étape suppose une bonne connaissance du marché et du segment à considérer, une vision claire des structures de coûts et des éléments économiques en jeu. De cette étape se dessineront les premiers éléments de contraintes et de risque (interne et externe).
La seconde étape réside dans une veille stratégique. Elle permet aux acheteurs
- de disposer à tout moment de la bonne information qu’elle soit réglementaire ou normative - d’adapter/surveiller l’environnement considéré pour sécuriser les actifs par l’identification des menaces et des risques pays, de disposer d’un panel de partenaires potentiels, à même de vous accompagner dans la réalisation des projets,
- de développer un avantage concurrentiel permettant de soutenir la compétitivité par l’identification des meilleures pratiques opérationnelles,
- de rechercher des informations sur des opportunités d’acquisition (partenaires technologiques ou commerciaux, sourcing, innovation, etc.). Cette action permet d’identifier des niveaux de risques externes, réels et sérieux, tels que la stabilité ou l’instabilité sociale (risque sur les salaires ou sur la fidélisation des ressources) ou économique (risques sur l’accès à l’énergie ou aux matières premières). Le périmètre d’investigation est, dans un premier temps, large et complexe, car il intègre des éléments macro-économiques, sociétaux et légaux. Il sera réduit au fur et à mesure des investigations et de l’évaluation des impacts sur le business de l’entreprise.
La troisième étape est la matrice des contraintes. Son utilisation permet :
- d’inventorier l’ensemble des contraintes, typés et déclinées par segment d’achat,
- de définir un index de pondération pour chacune d’elles (par valeur d’impact sur le business considéré),
- de quantifier chacune des contraintes suivant le segment considéré et d’en évaluer un taux de contrainte globale par typologie d’achat.
Alignée sur la matrice de Kraljic, cette étape permet de visualiser rapidement la posture à tenir et la qualité des ressources à mettre en œuvre. Ces éléments, clairement identifiés et mesurés, constituent à eux seuls des informations pertinentes à suivre de manière régulière sur les tableaux de bord de l’activité achat.
La quatrième étape consiste à réaliser les tableaux de bord, outils de pilotage par excellence, puisqu’ils reprennent de manière synthétique et factuelle l’ensemble des indicateurs majeurs à tenir sous surveillance. La mise à jour régulière et l’observation des variations permettant de dégager des priorités d’action au regard de l’impact probable sur les résultats économiques de l’entreprise. Outre le fait que cette méthode simple est un outil d’identification des aléas et des risques liés à l’activité achat, cette approche permet de :
- documenter et de conforter les orientations engagées,
- expliquer la qualité des résultats dégagés au regard des objectifs précédemment définis,
- évaluer la qualité des taux de criticité des contraintes et des risques,
- communiquer de manière objective et pertinente,
- faire vivre les stratégies mises en place,
- adapter les ressources aux évolutions de l’environnement économique.
Aborder la performance achat en y intégrant les éléments liés aux risques achat donne un autre éclairage plus complet que celui plus traditionnel de la mesure des "savings" (économies d’achats), notamment en mettant l’accent sur l’amélioration de la qualité des engagements externes. L’approche décrite ci-dessus intègre des indicateurs visant à s’assurer au mieux du respect des réglementations et des procédures. On garantit ainsi une meilleure prise en compte de l’efficience de la fonction pour finalement contribuer indirectement à une amélioration de la performance achat.