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L'impact des achats sur la digitalisation de l'entreprise

Publié par Aude Guesnon le | Mis à jour le
L'impact des achats sur la digitalisation de l'entreprise

Comment les entreprises pensent-elles leur transformation digitale et quel mandat confient-elles aux achats? Que peut apporter la fonction et comment choisir les outils qui répondront aux besoins? Les regards de Clément Duquerroy (Accor), Raphaël Bellière (Suez) et Pierre Laprée (Per Angusta.)

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La digitalisation était au coeur d'un webinar organisé le 25 septembre par votre média, Décision Achats, qui a réuni Clément Duquerroy, VP procurement innovation Accor, Raphaël Bellière, directeur des achats digitaux, informatiques & prestations intellectuelles, chez Suez et Pierre Laprée, CEO fondateur Per Angusta. Ensemble, ils ont débattu du rôle des achats dans la transformation digitale de l'entreprise (voir le replay).

En préambule, Pierre Laprée, a tenu à faire un distinguo entre numérisation, digitalisation et transformation digitale, qui constituent une graduation dans ce que l'on nomme globalement "digitalisation". "La numérisation c'est transformer les "atomes en octets"; la digitalisation, c'est numériser les processus à l'identique alors que la transformation digitale, c'est mettre à profit la numérisation et la digitalisation pour repenser le business, créer de nouveaux processus, de nouveaux modèles d'affaires".

A quel stade en sont les entreprises, globalement ?

Pierre Laprée - Le gros du peloton en est au stade de la digitalisation. Les plus actifs regardent vers la transformation digitale et repensent la façon dont ils envisagent le business et deviennent centre de profit.

Avant de penser digitalisation, les entreprises ont-elles construit une vision à long terme, en envisageant pourquoi elles veulent cette transformation ? Et qu'en est-il des vôtres?

Raphaël Bellière - Cette réflexion n'est pas suffisamment menée en amont, pour la partie achats mais aussi pour les métiers. La digitalisation est souvent poussée par les outils avant même que ne soit posée la question du cas d'usage. La digitalisation évolue vite et ce phénomène ne fait qu'accélérer avec la crise sanitaire. Elle touche toutes les fonctions de l'entreprise. La vision long terme est souvent compliquée à mettre en oeuvre, de par la diversité des sujets adressés.

Clément Duquerroy- Nous sommes partis d'une roadmap à 5 ans bâtie par notre Group Chief Procurement Officer, et le comité de direction de notre centrale d'achats. Nous avons donc tout d'abord fait, il y a 3 ans, un diagnostic co-construit avec les équipes, qui a souligné certaines limites de notre fonctionnement avec notamment des sous-optimisations d'opportunités achats entre nos organisations locales / régionales et centrales, et nous avons bâti un plan de transformation métier et business, dans lequel le digital s'inscrivait comme une plateforme indispensable, un "enabler" stratégique. C'est une conviction très ancrée au sein de notre leadership, et qui passait donc à l'origine par certains investissements assumés dans le digital, avec un vrai business plan montrant les revenus et gains additionnel générés dans une logique de centre de profit.

Quel mandat avez-vous reçu de la direction ?

Raphaël Bellière - La stratégie de digitalisation doit servir deux axes stratégiques : le développement du chiffre d'affaires et la performance opérationnelle. Ce sont les deux jambes qui doivent être actionnées en parallèle et systématiquement pour tout projet de digitalisation. Digitalisation pour une amélioration de l'operating model de nos services ou digitalisation pour mieux servir nos clients, industriels et collectivités. Les collectivités, par exemple, demandent plus d'inter-actions avec les leurs administrés. Nous devons apporter des services digitaux qui améliorent la qualité de service et la satisfaction du client final. Et digitalisation pour développer le business ; les marketplaces nous permettent de délivrer des services à des cibles de clients que nous n'avions pas : les PME et ETI, en jouant le rôle d'intermédiaire.

Clément Duquerroy - Nous avons construit, chez Accor, une vision structurée autour de deux axes:

1) Ré-orienter les fonctions coeur de notre centrale d'achats vers des tâches à forte valeur ajoutée : category management de nos offres aux hôteliers, lien avec les clients. Cela passe par plus d'automatisation notamment et la montée en puissance d'un "Back-office Achats" centralisé, ce qui n'est possible qu'avec des outils.

2) Faciliter les processus opérationnels de nos clients hôteliers sur l'ensemble du processus achats, depuis la prise de commandes jusqu'au paiement, y compris sur les processus connexes (gestion d'inventaire, optimisation des marges de restauration) - L'idée est de s'appuyer sur une expérience utilisateur inspirée du B2C (notamment avec la marketplace MIRAKL) pour créer une adhésion sur nos offres (exemple de Amazon, où tout est simple de bout en bout, ce qui crée d'une certaine façon une "addiction" client).

La digitalisation permet-elle de mieux répondre aux enjeux RSE?

Clément Duquerroy - La RSE est clairement un enjeu majeur pour Accor, mis en avant encore récemment par le CEO du groupe. Nous avons une approche avec 3 trois niveaux de risque : niveau 1 on signe la Charte Fournisseur Planet 21 et des clauses contractuelles ; Niveau 2 on demande une auto-évaluation en ligne réalisée sur la plateforme de notre partenaire Ecovadis ; Niveau 3 on requiert des audits sur site réalisé par des partenaires externes.

L'enjeu du digital est de penser ces démarches avec une approche 'expérience utilisateur' autant pour les internes que pour les fournisseurs. Mes équipes essayent d'apporter une réponse digitale pour accompagner la mise en place de nouvelles pratiques autour de due diligence, d'audit et de veille, en lien avec des acteurs majeurs du secteur.

L'autre enjeu digital sur la compliance c'est de permettre la mise en place d'un Cockpit Achats qui permette de piloter la réalisation de ces différentes démarches - fournisseur par fournisseur- et de faciliter le reporting associé. C'est un enjeu passionnant mais complexe.

Comment les achats peuvent-ils initier le changement ?

Pierre Laprée - Les achats sont un métier d'interface entre les besoins internes et l'offre du marché. Les acheteurs doivent avoir cette capacité à influencer et être dotés d'une bonne capacité de veille pour être conseil, apporteur de solutions aux métiers. Ce rôle passe, à mon sens, par une remise en question des pratiques achats. Il faut commencer par se demander ce qui est nécessaire, estimer le besoin, les délais, les risques. Surtout questionner le besoin. Raisonner en termes d'enjeux entreprise. L'approche achats doit découler des objectifs stratégiques.

Raphaël Bellière - C'est avant tout un état d'esprit et une compétence stratégique pour l'acheteur. L'apport des marchés fournisseurs au travers de leurs offres est un vecteur de changement sur lequel l'acheteur doit s'appuyer. L'acheteur devient donc un "vendeur" de solutions en interne. C'est un vrai axe de développement pour la fonction.

Clément Duquerroy - Les achats sont au coeur de la transformation digitale des entreprises. Tout d'abord, parce qu'ils ne réussissent pas seuls, en silo et que la transformation digitale s'appuie sur des sociétés externes qui vont les aider à co-innover. Et les achats sont au premier front pour identifier et sécuriser le lien avec les acteurs de changements qui vont être décisifs: start-ups, SSN, consultants externes, plateformes de freelancers.

Ensuite parce qu'ils peuvent jouer un rôle de locomotive de "role model" pour faire réussir les projets transverses de digitalisation des entreprises. Par exemple, sur le front du Procure-to-Pay, sur notre Projet Coupa, qui touche à l'efficacité du processus d'achats, toutes mes équipes sont parties prenantes pour co-piloter le projet et le faire réussir un jouant un rôle de facilitateur. Un rôle de formateur entre les demandeurs internes et les fournisseurs.

Un autre point est basé sur l'axe digital pour faire avancer des sujets de collaboration et de valorisation de la fonction achats au sein de l'entreprise. C'est dans ce but que nous avons mis en place Per Angusta, pour valoriser le portefeuille de projets achats et les gains financiers en co-validation avec la finance.

Lire la suite en page 2 : La digitalisation de la fonction achats


La digitalisation de la fonction achats

Pierre Laprée - Lorsque l'on considère la chaîne de valeur des achats (stratégie, déclinaisons en plans opérationnels, exécution, transaction), on constate que la digitalisation s'est faite en partant de la fin : on a commencé par digitaliser les aspects transactionnels (P2P, dans les années 2000), puis l'exécution (eSourcing, Contract Management... dans les années 2010). On s'attaque maintenant aux aspects plus "nobles" ou stratégiques de la fonction (plans d'actions, mesure de la performance, stratégie)... mais aussi les plus difficiles à digitaliser.

Les solutions ne sont que des outils dont l'objectif est de raccourcir le temps passé sur des tâches qui n'ont pas de valeur ajoutée. L'objectif étant de redonner aux achats du temps de cerveau disponible. Il faut utiliser les outils pour fluidifier les processus. Il ne faut pas acheter de la technologie pour acheter de la technologie. Les outils doivent supporter une ambition

Pour moi, la théorie achats n'est pas posée. Il n'y a pas de doctrine achats, on n'en est pas à ce stade du système de pensée. Dans d'autres métiers, ces doctrines sont posées. C'est ce qui rend plus difficile la digitalisation des strates amont de la chaine de valeur achats.

Mais... la transformation est permanente. Comment concilier long terme et agilité?

Pierre Laprée - Il faut construire de manière itérative. C'est la clé. La transformation digitale passe par un modèle hybride. Se doter d'une épine dorsale PtoP et ensuite brancher dessus des solutions satellites qui amènent de la valeur sur des sujets particuliers. Je pense qu'il faut envisager une digitalisation à la carte, avec une communication entre les systèmes pour constituer une constellation.

Et comment choisir les bons outils en fonction des besoins ?

Clément Duquerroy - Les outils dont nous avons besoin sont différents, selon que nous nous adressions à la fonction siège ou aux hôteliers. Nous partons d'une analyse fine de nos besoins et du marché digital afin d'identifier les meilleurs outils sur chacun des processus (logique best-of-breed). Afin d'unifier notre écosystème digital, nous bâtissons au coeur de notre architecture une véritable colonne vertébrale, avec un référentiel commun et des interfaces permettant de faire dialoguer les applications entre elles.

Sur des processus mâtures et standards, comme par exemple le processus Procure-to-Pay du siège Accor où l'objectif est l'harmonisation des pratiques, on est parti sur un acteur majeur comme Coupa, un des grands acteurs du marché. En addition, conscient des limites de Coupa sur certaines briques fonctionnelles critiques pour les Achats, nous avons complété notre écosystème en faisant appel à des start-ups spécialisées comme Per Angusta cité précédemment pour la valorisation collaborative des gains Achats, ou Scanmarket une société danoise qui nous accompagne sur les modules de Source-to-Contrat.

Lorsque nous ne trouvons pas sur le marché une solution répondant à nos attentes, nous sommes aussi capables de mettre en oeuvre une approche Digital Factory pour bâtir du "sur-mesure". C'est ce que nous avons fait sur des processus stratégiques autour de la gestion des clauses contractuelles générant des revenus au Groupe sous la forme de commissions de service. Nous nous sommes appuyés sur une plateforme de développement logicielle (Faveod) et un partenaire intégrateur (Hexagonal) pour bâtir une solution sur-mesure adaptée à notre business de centrale d'achats hôteliers.

Quelles sont les prochaines étapes ? L'intelligence artificielle, la blockchain, etc. ?

Pierre Laprée - Ceux qui sont les plus avancés aujourd'hui dans la transformation vont vers l'IA et la blockchain pour les parties aval de la chaîne de valeur (notamment pour les aspects transactionnels). Mais ce sont souvent des buzzwords, des solutions en recherche de vrais problèmes. A mon sens, l'approche la plus rationnelle serait d'abord, avant de remplacer l'acheteur, de l'augmenter. Il y a une phase de 5 à 15 ans sur laquelle on va trouver les bons modèles pour trouver les bonnes applications de ces technos et seulement à ce moment-là, on pourra en tirer de la valeur, notamment sur les maillons amont de la chaîne de valeur.

Raphaël Bellière - C'est toujours un problème de maturité. Les organisations les plus matures sur la partie digitale, tel le retail, sont celles qui s'y sont intéressées le plus vite. Elles ont des road map digitales à court et moyen terme.

Les solutions ne sont pas arrivées à maturité et pour la plupart, répondent à des cas d'usage bien précis. Il y a beaucoup d'initiatives, mais pas de standards du marché. Ce marché est en plein essor. Sur la partie blockchain, robotisation et big data, le champ des possibles est immense. La question de la data me semble d'ailleurs primordiale, ne serait-ce que sur ces trois sujets majeurs : la gestion des risques, la décomposition des coûts et la veille marché.

Si on ne structure pas en amont une stratégie sur la data, cela va être compliqué. Aujourd'hui, il nous faut beaucoup de temps pour obtenir... des données qui ne sont pas fiables. Avec la data science, on va pouvoir faire mieux. Les datas seront des outils d'aides à la décision. Il y a beaucoup d'initiatives en la matière. Il est important de bâtir une stratégie DATA d'entreprise dans laquelle la fonction achats doit s'inscrire.

Clément Duquerroy - Nous investissons généralement un peu moins de 5% de notre budget achats sur des innovations du type "paris sur l'avenir" pour couvrir des fonctions en devenir chez nous. On investit notamment sur l'AI principalement et la gestion des données autour de trois thèmes assez variés:

1) AI comme techno prédictive en lien avec l'équipe Data Science d'Argon Consulting pour nous aider à mieux estimer et prédire les comportements d'achats de nos hôteliers et comprendre comment on peut influencer le taux de pénétration de nos solutions référencées auprès de ces clients.

2) AI comme outil pour faciliter le travail de nos équipes commerciales : nous avons lancé un pilote pour automatiser les démarches de conquête de nouveaux clients pour faciliter les analyses d'écarts de prix entre les articles achetés par nos prospects et des produits comparables dans nos catalogues. L'idée est de les aider à faciliter ces tâches qui peuvent être très consommatrices de temps.

3) Price Benchmark pour s'assurer en monitoring continu que les prix de nos fournisseurs référencés sont compétitifs par rapport à la concurrence.

 
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