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Dépendance fournisseurs : je t'aime, moi non plus !

Publié par Anne-Sophie David le - mis à jour à
Dépendance fournisseurs : je t'aime, moi non plus !

Si la dépendance économique avec un ou plusieurs fournisseurs n'est pas un mal en soi, elle constitue un risque réel pour les entreprises si elle n'est pas pilotée correctement. Décryptage.

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L a dépendance économique d'un ou plusieurs fournisseurs est un axe de travail prioritaire pour les directions achats. Mais être en mesure d'identifier et qualifier cette dépendance n'est pas toujours chose aisée dans la mesure où les achats ne disposent pas forcément d'un référentiel fournisseurs fiable, outillé et actualisé.

L'étude réalisée en décembre 2014 par le cabinet de conseil Kurt Salmon, en collaboration avec la CDAF et la Médiation des entreprises, intitulée " Gestion des situations de dépendance des fournisseurs " , rappelle que la définition des situations de dépendance est très hétérogène : parle-t-on de la proportion du CA réalisé avec le client concerné (de 22 % à 30 % selon les cas) ? Du taux de pénétration ? De la dépendance par fournisseur ou par site du fournisseur ? D'une dépendance " déclarée " lorsque le fournisseur communique en toute transparence son niveau de CA réel avec son client ? D'une dépendance " mesurée " que le client est en capacité de mesurer par lui-même ? Ou encore d'une dépendance " réelle " , " bonne " , " voulue " ou " assumée " lorsque la dépendance est connue par chaque partie et assumée sereinement ? D'une dépendance " arrangée " quand la situation de dépendance est cachée par des déclarations inexactes ou des mesures non fiables ? Ou enfin de cas de dépendance " mauvaise " ou " subie " lorsqu'il y a exploitation abusive de la situation dominante ? Un vrai casse-tête pour les directions achats.

N'est pourtant pas dépendant qui veut car cette notion d'état de dépendance économique (EDE) est définie strictement par la jurisprudence : elle est caractérisée dès lors qu'il est établi qu'une entreprise se trouve dans l'impossibilité de substituer à son donneur d'ordre un ou plusieurs autres donneurs d'ordre lui permettant de fonctionner dans des conditions techniques et économiques comparables. L'absence de solution équivalente constitue une condition nécessaire à la qualification de la dépendance économique.

Gare à l'abus de dépendance

Si la dépendance économique n'est pas un mal en soi lorsqu'elle est correctement gérée, ce qui pose problème c'est bien de dépendance.

Ce qui pose problème c'est bien l'abus de dépendance.

Le droit de la concurrence définit cet abus : " Est prohibée dans les conditions prévues à l'article L. 420-1, l'exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d'entreprises d'une position dominante sur le marché intérieur ou une partie substantielle de celui-ci. Ces abus peuvent notamment consister en refus de vente, en ventes liées ou en conditions de vente discriminatoires ainsi que dans la rupture de relations commerciales établies, au seul motif que le partenaire refuse de se soumettre à des conditions commerciales injustifiées. "

Selon Me Nicolas Lisimachio, associé chez Brunswick, société d'avocats et spécialisé dans le contentieux des affaires, " dans la pratique, les actions menées sur le fondement de l'exploitation abusive d'un EDE n'aboutissent que de manière très exceptionnelle. C'est ainsi qu'un fournisseur prétendra plus souvent subir des pratiques abusives (art. L. 442-6 du code de commerce) : avantages disproportionnés, déséquilibre significatif des relations, rupture brutale des relations commerciales, etc. L'EDE est alors considéré comme une circonstance aggravante dont les juges tiennent compte dans leur appréciation tant des fautes commises que des préjudices subis. " Il ajoute ainsi que " la jurisprudence retient que l'EDE de la victime d'une rupture brutale de relations commerciales établies justifie l'octroi d'un délai de préavis plus long et, par voie de conséquence, d'une indemnisation supérieure ".

La peine encourue en cas d'abus avéré est de quatre ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.

A lire en page 2 : comment piloter cette dépendance

Témoignage

Franck Levy, consultant Kurt Salmon

" C'est une véritable problématique d'entreprise qui intéresse de près les Comex car il existe un risque d'image fort "

" L'idée relativement nouvelle qui est ressortie de l'étude que nous avons menée en décembre 2014 est que les directions achats estimaient que la dépendance n'était pas un mal en soi mais qu'elle devait être assumée, connue et partagée entre le donneur d'ordre et le chef d'entreprise. On s'est aperçu que beaucoup d'entreprises et de directions achats avaient une mauvaise vision de cette dépendance, rien que connaître la part de CA était très compliqué quand la base fournisseurs était très importante. On est très loin d'un référentiel fournisseurs fiable dans les grands groupes, donc de pouvoir déterminer ce niveau de dépendance.

Mais les situations de dépendance sont en fait très rares et il y a peu d'actions qui arrivent au tribunal car les deux parties se sont généralement entendues sur un accord amiable ou ont saisi la Médiation des entreprises.

Mais la dépendance n'est pas que de la responsabilité du donneur d'ordres. Le fournisseur doit également avoir une vision sur son développement : souhaite-t-il se développer ? comment ? quel volume d'affaires ? Il doit être transparent avec son client.

Pour limiter la dépendance et donc border le risque, il existe plusieurs leviers, comme le fait d'accompagner son fournisseur sur des salons (aide financière et logistique) et ­l'aider ainsi à élargir son portefeuille clients. Si ce type de démarche est encore embryonnaire, cela constitue un axe important de progrès. Rappelons que la dépendance économique est devenue au fil des années une véritable problématique d'entreprise qui intéresse de près les Comex car il existe un risque d'image fort. Le sujet dépasse donc largement la sphère achats. "

Piloter la dépendance

Pour François Hamy, responsable de l'animation du groupe métier Centraliens Achats, la dépendance économique doit reposer sur "des relations mutuellement bénéfiques de part et d'autre afin que les deux parties aient des intérêts équivalents à réussir le contrat ". L'enjeu réside donc dans la manière dont est pilotée cette relation fournisseurs et sont conclues les conditions du business au départ dans le contrat.

François Hamy estime que "le meilleur contrat est celui qu'on oublie".

François Hamy estime que "le meilleur contrat est celui qu'on oublie". Chaque partie réalise son business sous sa responsabilité sans avoir besoin de "cadrer " son partenaire avec une surveillance coûteuse, puisque les performances ont été définies, et le moyen de les rémunérer en cas de succès ou d'écarts."

Dans son étude, Kurt Salmon énumère quelques plans d'action "classiques" à mettre en oeuvre : envoyer une lettre au fournisseur pour l'informer de son état de dépendance ainsi qu'un questionnaire relatif à sa perception de celle-ci, se focaliser sur les fournisseurs stratégiques (SRM et responsables fournisseurs), investir sur la montée en qualité de la base fournisseurs et analyser les cas de dépendance avérés pour bien comprendre la situation.

Le cabinet de conseil pointe également d'autres actions "unilatérales" plus avancées menées par des directions achats plus matures comme le fait de s'assurer en continu de la qualité et de l'exhaustivité des informations dans le référentiel fournisseurs, de se doter d'outils permettant de bien connaître la dépense et la répartition entre fournisseurs, ou encore d'intégrer l'identification de la situation de dépendance sur une matrice des risques et la communiquer en interne à toutes les parties prenantes.

Plus rares mais préconisées : des actions "collaboratives" entre clients et fournisseurs, comme le fait de définir un plan d'accompagnement visant à surmonter la situation de dépendance sponsorisé par un membre influent du client, idéalement membre du comex, s'engager dans une démarche de performance durable (intégration, engagement contractuel plus long), soutenir les fournisseurs dépendants (financièrement, actions communes) ou encore créer un fonds de soutien destiné à contribuer au financement du développement des fournisseurs dépendants.

Les cinq critères retenus par la jurisprudence pour qualifier l'EDE

Pour que cette qualification soit retenue, ces critères doivent être simultanément présents :

1 - La part du client dans le CA du fournisseur

2 - La notoriété du client

3 - L'importance de la part de marché du client

4 - L'existence ou non de solutions alternatives

5 - Les facteurs qui ont conduit à la situation de dépendance doivent être étrangers à la partie se trouvant en situation de dépendance et ne doivent pas résulter de ses propres choix stratégiques.

A lire en page 3 : "La dépendance économique est un sujet qui intéresse de près le Comex"

 
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