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Le plastique s'éteint, les idées s'éveillent

Publié par Céline Tridon le | Mis à jour le
Le plastique s'éteint, les idées s'éveillent

Le plastique, ce n'est plus si fantastique. Depuis quelque temps, les consciences s'éveillent pour dénoncer ce matériau, véritable fléau pour l'environnement. Aussi, face au plastic bashing, les entreprises doivent s'adapter et inventer d'autres usages.

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La mer Méditerranée est l'une des plus polluées du globe. Ce triste constat est celui réalisé par l'association Expédition MED. Chaque année, son bateau sillonne les mers et les océans pour prélever des échantillons et mesurer la quantité de plastique présente. Le niveau relevé dans la Méditerranée est alarmant : près de 250 milliards de micro-particules ont été recensés en surface. Après un usage effréné du plastique pendant des décennies, l'heure est à la prise de conscience, jusque dans les hautes sphères de l'Union européenne. Cette dernière a voté l'interdiction des plastiques à usage unique à l'horizon 2021.

De quoi sonner le glas des entreprises du secteur ? "Forcément, cela aura un impact, répond Emmanuelle Perdrix, p-dg de l'entreprise de plasturgie Rovip. Le contexte actuel crée des inquiétudes au niveau du business, avec des donneurs d'ordres qui changeront leur cahier des charges, mais aussi en termes de RH. Il devient de plus en plus difficile d'attirer les jeunes talents. Le plastic bashing nous rend, immanquablement, moins attractifs." Rovip réalise 10% de son chiffre d'affaires en fournissant les couverts plastiques de salades prêtes à l'emploi vendues en grandes surfaces.

Pour sa dirigeante, l'interdiction du plastique à usage unique est le premier acte d'une tendance qu'elle doit intégrer à sa stratégie d'entreprise. "Le plastic bashing représente également une opportunité d'innovation pour les entreprises du secteur, c'est un moteur de réflexion. Chez nous, cette innovation pourrait passer par l'utilisation d'un matériau recyclé ou bio-sourcé ou par un nouvel usage, avec des couverts placés dans une pochette pour être réutilisés. Une alternative consisterait à proposer à nos clients de récupérer le produit en fin de vie pour le recycler", imagine Emmanuelle Perdrix.

Elle a d'ailleurs créé trois postes autour de cet enjeu du plastique : un ciblé marketing, un poste de chef de projet éco-conception et un troisième intitulé "responsable innovation et développement". "Cela souligne notre volonté de faire les choses autrement, et ce, dès notre communication interne", renchérit-elle. Elle a aussi rejoint l'accélérateur Plasturgie et Composites de Bpifrance, lancé en mars dernier. Il comprend huit modules de conférences, un accompagnement et une mise en réseau, soit un programme complet pour mieux identifier de nouvelles pistes de développement pour les entrepreneurs du secteur.

Témoignage

"Il faut une coopération au sein de la filière plastique"

Marie-Hélène Gramatikoff, présidente de Lactips

Fondée en 2014 par Marie-Hélène Gramatikoff, plasturgiste, et Frédéric Prochazka, chercheur à l'université de Saint- Étienne, Lactips s'est construite autour d'un procédé unique : fabriquer un film plastique à partir de lait. Plus précisément, à partir de protéines de lait dites "dégradées". Cela signifie que ce lait ne peut pas être vendu pour l'agroalimentaire car, par exemple, il a dépassé sa date limite de consommation. Transformé en poudre, il est alors utilisé par des industries non-agroalimentaires, dont Lactips.

La PME compte déjà, parmi ses partenaires, l'entreprise allemande Ulrich Natürlich, qui fait confiance au plastique Lactips pour emballer ses tablettes de lave-vaisselle. Lactips vient également de signer avec BASF et vise désormais une présence mondiale. "Notre produit répond à une prise de conscience citoyenne, réglementaire et politique. C'est pourquoi d'autres grands noms de l'industrie mondiale nous ont contactés, glisse à demi-mots Marie-Hélène Gramatikoff. L'innovation apporte une nouvelle industrie, sans forcément en détruire une autre. La coopération au sein de la filière plastique est nécessaire."

Pour l'heure, grâce à sa première ligne de production inaugurée en juillet 2018, Lactips annonce une "capacité de production par équipe de 440 tonnes par an". L'entreprise suit aussi de près la construction de son usine de près de 3 000 mètres carrés, qui comportera deux lignes de production et son nouveau laboratoire. Enfin, elle prévoit de recruter une dizaine de collaborateurs d'ici à la fin de l'année. Ses effectifs s'élèveront alors à 40 salariés pour un chiffre d'affaires escompté d'environ 20 millions d'euros dans les trois ans.


Créer son produit, et après ?

Pour Adeline Pillet, ingénieure à l'Ademe, les entreprises doivent, à l'instar de Rovip, penser éco-conception. "C'est ce genre de procédé qui peut être source d'innovation, en menant vers de nouveaux modèles d'affaires. Autrement dit, dès qu'elles commencent la conception de leur produit, les entreprises doivent s'interroger sur sa fin de vie. Cela signifie, notamment, intégrer des matériaux recyclés ou penser au réemploi", précise l'experte. Pour une PME, l'éco-conception n'est pas toujours facile à appréhender, car elle signifie changer de pratiques. Par exemple, intégrer de la matière recyclée à la place de la matière vierge implique de s'approvisionner auprès d'un recycleur. Il faut aussi adapter son process, la matière recyclée ne se travaillant pas nécessairement comme la matière vierge. Soit un frein supplémentaire.

De son côté, la Fédération de la plasturgie et des composites a diffusé, en janvier dernier, un outil d'auto-diagnostic grâce auquel les industriels peuvent dresser un bilan pour savoir où ils en sont vis-à-vis des plastiques recyclés, connaître leur positionnement en approvisionnements et avoir accès à des conseils adaptés. Pour son délégué général, Jean Martin, l'enjeu est de taille : "Nous espérons atteindre un objectif d'intégration d'un million de tonnes de plastiques recyclés d'ici à 2025, soit 20% des plastiques consommés par les plasturgistes".

Selon lui, les entreprises doivent aussi s'accorder du temps pour se transformer, sans écarter obligatoirement l'usage du plastique à tout-va. "Il faut savoir mettre en avant les atouts du plastique dans certains secteurs comme l'automobile, la santé, l'aéronautique. Les abus concernent avant tout les plastiques à usage unique", poursuit-il. Une nécessaire rationalisation, donc, qu'appelle également de ses voeux Adeline Pillet : "À l'Ademe, nous ne sommes pas entièrement plastic bashing, car le plastique a aussi une utilité pour la transition écologique. Dans la construction, par exemple, il permet d'isoler les bâtiments à moindres frais. Le problème est qu'il en est fait un usage abusif : on en met partout !"

Des alternatives au plastique

Kovee

Kovee a créé des couverts 100% comestibles et qui ne se désagrègent pas sous forte température. Si la recette exacte est tenue secrète, elle compte parmi ses ingrédient du sel, de l'huile de colza et de la farine de blé.

J'aime mes dents

Alternatives à la traditionnelle brosse à dents en plastique, celles proposées par "J'aime mes dents" sont fabriquées en poils de fibre de bambou et munies d'un manche en bambou issu de forêts gérées de façon responsable. Elles sont disponibles par abonnement.

Lyspackaging

En Charente-Maritime, Lyspackaging imagine, fabrique et commercialise des bouteilles en bio-plastique. Sa dernière innovation ? La VeganBottle, une gourde réalisée à partir de la bagasse de canne à sucre (résidu fibreux obtenu après avoir extrait le sucre)

La Perche

Mike Sallard, agriculteur et Jeff Lubrano, designer, sont revenus à des basiques : utiliser des tiges de céréales pour boire. Ils ont ainsi créé La Perche, le nom de leur paille réalisée à partir du chaume de seigle et selon un procédé jalousement gardé.

Une opportunité business

Dans tous les cas, les entreprises doivent se renouveler sur ce sujet : nul besoin d'une interdiction à l'échelle européenne pour comprendre que le consommateur est en attente. "La prise de conscience citoyenne entraîne des changements du côté des entreprises, depuis un an et demi environ. Nous avons déjà connu la gestion des déchets, avec le tri sélectif, qui a conduit à de nouveaux modes de vie et à la création de PME spécialisées dans le don de restes alimentaires, par exemple. Le sujet plastique' est plus récent, mais il va sur cette même voie. On en constatera les effets très prochainement", estime Laura Châtel, responsable du plaidoyer au sein de Zero Waste France.

Selon elle, "l'interdiction permet de donner une orientation". Certes, elle met des entreprises en difficulté, mais permet à d'autres de se créer. C'est le cas de La Perche, qui propose de remplacer la paille en plastique par de la paille naturelle. "Toute notre prochaine production est déjà vendue auprès de Sodexo, de restaurants étoilés et de magasins vrac ou bio", annonce Jeff Lubrano, son cofondateur. Cela représente entre six et huit millions de pailles, vendues à 0,84 centime l'unité. Pour sa récolte prévue en 2020, La Perche organisera une levée de fonds afin d'ouvrir une usine et d'atteindre une production de 50 millions de pailles. "Sur un marché de la paille estimé à 3,2 milliards d'euros en France, la promesse de croissance est énorme", envisage, serein, Jeff Lubrano.

 
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