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"Il existe une économie verte qui répond à la fois au développement et à la préservation des ressources"

Publié par Aude Guesnon le - mis à jour à
Corinne Lepage, lors de la keynote d'ouverture de la soirée de gala des Trophées Décision Achats / CNA
© nicepicparis
Corinne Lepage, lors de la keynote d'ouverture de la soirée de gala des Trophées Décision Achats / CNA

Rencontre avec Corinne Lepage, avocate, ancienne ministre de l'Environnement et cofondatrice du Mouvement des entrepreneurs de la nouvelle économie (Mene), qui se bat, depuis des années, pour réconcilier entreprises et environnement.

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Pensez-vous que notre modèle économique soit compatible avec le développement durable et l'écologie ? Industrie et environnement peuvent-ils vraiment "cohabiter" ?

Ce sont deux sujets différents. Le modèle économique financiarisé dans lequel nous vivons est incompatible avec le développement durable. En revanche, écologie et développement durable ne signifient pas l'arrêt de toute activité économique, bien au contraire. Les nouvelles technologies sont une partie de la solution au défi majeur qui nous est lancé. Il est une économie verte qui répond à la fois au développement et à la préservation des ressources.

Vous prônez "l'écolomie" pour "économie écologique". En quoi consiste ce modèle ?

Ce mot a été forgé, il y a maintenant plus de 10 ans, dans un livre qui s'appelait Vivre autrement. Il est composé des deux mots qui peuvent être soit une économie écologique, soit une écologie économique, au choix. Il signifie l'obligation de repenser le modèle économique dans son ensemble, ce qui implique non seulement la production, mais également la consommation, la fiscalité et la finance. C'est, en fait, une révolution économique qui ne peut reposer ni sur l'hyper-libéralisme, ni sur le financiarisme, ni sur le court-termisme.

Êtes-vous parvenue à fédérer des entreprises autour de ce concept ?

Oui. Le Mouvement des entrepreneurs de la nouvelle économie (Mene), que je préside avec Myriam Maestroni, est composé d'entreprises de très nombreux secteurs économiques. Ce sont des entreprises à mission avant la lettre et qui, précisément, s'inscrivent dans une logique économique permettant de dégager du profit, mais qui recherche le sens, intègre le long terme et s'inscrit dans une véritable responsabilité sociale et environnementale.

Quels conseils donneriez-vous à des entreprises qui cherchent à concilier business et écologie, notamment par l'intermédiaire de leurs directions achats ?

Je dirais que l'achat est essentiel dans la mesure où il conditionne la vente. Autrement dit, les exigences des acheteurs en ce qui concerne bien sûr les prix, mais surtout en ce qui concerne les questions climatiques, de biodiversité et d'utilisation des ressources, de santé et d'impact social sont essentielles pour contraindre à des changements dans les modes de production.

La société civile évolue, les consommateurs sont de plus en plus attentifs à l'impact de leurs achats, le bio gagne du terrain ... Pensez-vous qu'elle parviendra à faire bouger les entreprises ?

Certes, nous sommes en période de crise économique, et la question des prix et du pouvoir d'achat est centrale. Mais, dans le même temps, nos concitoyens sont très exigeants, et ils ont raison, en termes de santé. Et par la santé, ils en viennent à la qualité de l'air, de l'eau, et des produits alimentaires et autres qu'ils utilisent. Par ailleurs, pour les entreprises, le risque d'image lié à des produits défaillants est considérable. Ces deux mouvements vont converger et transformer le sujet.

Lire la suite en page 2 : Quel dispositif pourrait-on instaurer afin d'encourager les entreprises les plus vertueuses en termes de RSE et de sanctionner celles qui ne font pas d'efforts ?


Quel dispositif pourrait-on instaurer afin d'encourager les entreprises les plus vertueuses en termes de RSE et de sanctionner celles qui ne font pas d'efforts ?

Il est vrai que le greenwashing a beaucoup nui à la confiance que le public a pu avoir dans les différents rapports de RSE. Plus les comparaisons seront objectives (par exemple, l'indice BIOM permet d'avoir un pourcentage de l'impact local, social et environnemental de l'entreprise en fonction de son chiffre d'affaires), plus le public pourra avoir confiance. Ajoutons que lorsqu'une entreprise qui s'est vantée dans son rapport RSE est prise en défaut, la sanction très lourde en termes d'image et de confiance et le risque ne devraient pas être pris à la légère. La vertu est donc, à long terme, récompensée.

Imaginons que vous reveniez demain en politique et que l'ancienne ministre soit présidente. Quelles seraient vos premières mesures en faveur de l'environnement ?

Je n'ai pas l'intention de solliciter de nouveau des mandats et j'ai décidé de poursuivre une action politique par la voie de la société civile. De toute façon, je ne crois pas à des mesures en faveur de l'environnement. Je crois à une politique globale qui permette de donner la priorité à la question climatique, à la protection des ressources qui nous restent et à la santé humaine. En tout cas, il est un sujet sur lequel je ferais un virage à 180° : celui du nucléaire. Ce choix nous entraîne dans un abîme aussi bien financier qu'industriel.

Et comment y associeriez-vous les grandes entreprises ?

Les grandes entreprises ont un rôle majeur à jouer, parce que, précisément, elles ont un impact majeur sur la société. Mais la difficulté tient à ce qu'elles cherchent trop à influer sur les décideurs politiques, dans leur intérêt personnel, alors même que si elles raisonnaient sur le moyen ou le long terme, elles reconnaîtraient que leur intérêt personnel peut rejoindre l'intérêt collectif. Par exemple, vouloir à tout prix continuer avec le pétrole ou avec des produits susceptibles d'être toxiques est peut-être très rentable à court terme, mais mortifère à long terme.

Votre cabinet - Huglo Lepage Avocats - accompagne des villes qui essaient de lutter contre la pollution. Quel regard portez-vous sur l'engagement actuel des organismes publics ?

Les États sont condamnés à une relative impuissance et je suis frappée de voir que les transformations viennent aujourd'hui, pour une part, des entreprises et, pour une large part, des collectivités publiques. En particulier, des organisations internationales importantes, comme le C40 et le R20, qui regroupent les plus grandes villes et les plus grandes régions du monde, sont extrêmement actives sur le plan climatique, ainsi que sur celui de la transition écologique et économique. Il est frappant de voir, par exemple, les métropoles américaines s'inscrire directement a contrario de la politique menée par le président Trump.

Connaissez-vous des grands comptes dont vous avez envie de saluer le réel engagement en faveur de l'environnement ?

Je trouve très intéressantes les nouvelles orientations prises par de grandes enseignes, que ce soit dans le domaine de la grande distribution, de l'énergie ou de l'alimentation.

Dans une interview accordée à nos confrères de Décideurs, vous expliquiez que votre cabinet participe "à un cluster qui monte des projets d'énergies renouvelables décentralisées" . Pouvez-vous nous expliquer en quoi consistent ces travaux ?

Comme je vous l'ai expliqué, j'essaye d'être cohérente et d'utiliser le droit pour faire progresser la transformation inéluctable de notre modèle. L'énergie est évidemment un secteur clé et la décentralisation énergétique est indispensable, car elle économise l'énergie, mais surtout elle permet le développement des collectivités territoriales et, à terme, elle permet à chacun de devenir autoconsommateur de sa production énergétique. Dans cette logique, j'accompagne des entreprises qui s'inscrivent dans cette volonté, en réunissant des compétences très diverses autour de la question énergétique.
 
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