[Fleet management] Comment mener à bien un projet d'infrastructures de recharge
Ajuster le parc de bornes électriques et leur puissance aux besoins actuels et futurs de recharge de la flotte nécessite au préalable une analyse fine combinant le nombre de véhicules électriques, leur usage, les places de parking à électrifier et la capacité énergétique du bâtiment de l'entreprise. Le coût d'un tel déploiement d'infrastructures peut être élevé en raison des travaux de génie civil qu'il entraîne. L'installation de bornes au domicile des collaborateurs se heurte, de son côté, à quelques problématiques juridiques et fiscales épineuses dans certains cas.
Je m'abonneÉlectrifier sa flotte, c'est bien. Accompagner cette transition énergétique par une infrastructure de recharge ajustée sur ses besoins, c'est mieux. « Il faut d'abord définir une politique d'achat, de gestion et d'exploitation des bornes de recharge en fonction de la part d'électrification du parc de véhicules » selon Clément Molizon, délégué général de l'Avere-France. L'Association nationale pour la promotion de la mobilité électrique a publié un guide sur la démarche d'électrification des flottes d'entreprise et des infrastructures de recharge des véhicules électriques (IRVE). La méthode consiste à dimensionner l'équipement de bornes sur les sites d'entreprise ou au domicile des collaborateurs pour l'adapter au nombre et aux caractéristiques des véhicules électriques. Pour Audrey Martin, consultante chez Traxall France, gestionnaire de flottes externalisées, « il faut même anticiper le calibrage des IRVE pour couvrir les besoins de recharge futurs ». En attendant, « le choix de bornes sur site ou au domicile des salariés, couvre 85 % à 90 % des besoins de déplacement professionnel », estime David Decultot, directeur d'ALD Business Intelligence, le département Consulting du loueur de véhicules multimarques ALD Automotive.
Trouver l'équilibre entre le calibrage des bornes, leur nombre de bornes, et les usages actuels et à venir
Les entreprises privilégient l'installation de bornes sur sites au détriment de l'équipement des domiciles des salariés, dont la mise en oeuvre est plus épineuse dans certains cas. Ajuster leur parc de bornes aux besoins actuels et futurs de recharge des véhicules, passe d'abord par une évaluation des usages des véhicules et du nombre stationnements « électrifiables » du site. « L'idée est d'effectuer une analyse fine de la flotte pour concilier le nombre de véhicules à recharger en fonction de leur usage, la capacité du stationnement et la capacité énergétique de l'établissement » résume Audrey Martin. Comme bon nombre d'entreprises, le groupe Telecom Orange, fort de 900 véhicules électriques dont le nombre sera doublé fin 2023, a choisi de faire appel à un fabricant, installateur et opérateur de bornes pour étudier le juste dimensionnement de ses IRVE sur ses sites. « Notre prestataire Ze-Watt nous a permis d'installer 1 500 points de charge sur 250 sites, avec des bornes standards de 7,4 kW ou 22kW, correspondantes à la typologie du parc de véhicules électriques de chaque site et à la puissance énergétique disponible de chaque établissement », indique Alexandre Nepveu, son directeur adjoint de la gestion des véhicules. « Nous avons un rôle de conseil auprès des entreprises sur l'installation de leur IRVE. Il s'agit de trouver le bon compromis entre le budget, le nombre de places de parking à aménager et la puissance des bornes adaptée au temps de recharge nécessaire des véhicules » souligne Eric Gaigneux, président de Ze-Watt qui équipe plus de 1 300 sites de grands groupes en France. À l'instar de Ze-Watt, les opérateurs de mobilité électrique offrent des applications mobiles pour permettre aux salariés de réserver les bornes et fluidifier ainsi la recharge des véhicules sur site, ainsi que des services de gestion et de maintenance des bornes et de suivi de consommation électrique.
À La Poste, la problématique est plus simple. Elle est liée aux tournées quotidiennes de livraison de colis en utilitaires électriques. Le groupe n'est pas contraint par le temps de charge et la puissance de borne nécessaire, en raison de l'usage de ses véhicules qui ne demande qu'un rechargement la nuit en huit à dix heures. Il a ainsi installé au total 7 500 bornes de « charge lente de 7,4 kW utilisées en 3,7 kW », sur 1 500 sites pour couvrir les besoins de recharge de ses 8 000 utilitaires électriques. Avec néanmoins un calibrage du nombre de bornes différent entre les usages urbains d'un côté et périurbains et ruraux de l'autre. « Nos tournées périurbaines et rurales sur des distances assez longues qui consomment l'autonomie des utilitaires nécessitent d'attribuer une borne pour un véhicule. Nos distributions en ville plus courtes ne demandent qu'une borne pour deux à trois véhicules » précise Julien Pirus, son directeur technique de la branche service courrier et colis.
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Réseaux électriques et puissances électriques des bâtiments : deux critères à ne surtout pas omettre
Reste que le coût des IRVE peut s'avérer élevé. S'il faut compter en moyenne 2 000 euros pour une borne de 7,4 kW et 3 000 euros pour celle de 22kW, les travaux de génie civil nécessaires à leur installation peuvent faire grimper fortement la note. « Le coût total d'installation dépend de la distance des bornes au tableau électrique de l'établissement. Plus cette distance est grande, plus cela nécessite des travaux de câblage onéreux pour les relier à la puissance électrique du bâtiment » expose Katia Lehnert, chef de projet mobilité durable chez Fatec, autre gestionnaire de flottes externalisées. « Il faut multiplier par trois en moyenne le prix de la borne pour avoir le montant d'une installation complète » avance Alexandre Nepveu. Orange a ainsi déboursé près de 15 millions d'euros pour installer 1 500 points de charge sur ses 250 sites. Le coût des IRVE est en général supporté par les directions immobilières, ou les directions techniques des services généraux, et rarement intégré au TCO de la flotte. Autre préoccupation financière : la capacité énergétique de l'établissement. « Si la puissance électrique du bâtiment atteint ses limites liées à une IRVE importante, l'entreprise doit convertir son tableau électrique à une puissance supérieure, entraînant un surcoût de 10 000 euros » prévient Julien Pirus.
Installer la borne chez le salarié : triangle des Bermudes fiscal et du juridique ?
Beaucoup moins coûteuse à mettre en oeuvre, l'installation des bornes au domicile des salariés se heurte cependant à certaines problématiques fiscales et juridiques. C'est la raison pour laquelle les entreprises s'y mettent timidement, même si elles considèrent que l'équipement à domicile facilite le verdissement de la flotte. « Si l'implantation d'une borne en maison individuelle est facile, elle l'est beaucoup moins en copropriété. Cela demande d'obtenir l'aval des copropriétaires et du Syndic qui peut durer un an » précise Katia Lehnert. À cela, s'ajoute le flou juridique sur l'intégration du coût de la borne dans les avantages en nature du collaborateur. Pour Audrey Martin « 50 % du coût de la borne qu'aurait dû payer le salarié est intégré dans son avantage en nature si l'entreprise finance l'installation ». Orange étudie de près l'implantation de bornes en maison individuelle des collaborateurs. Chez Médiamétrie, « trois collaborateurs sont en cours de diagnostic sur la faisabilité de borne à domicile » selon Emeric Arnoult, son directeur achats et moyens généraux. L'institut de sondage pour les chaînes télé a déjà installé sur son siège de Levallois-Perret (Hauts-de-Seine) 5 bornes de 22kW pour couvrir les besoins de recharge de ses 26 véhicules électriques.
S'y retrouver dans les différentes puissances des bornes
« 90 % des entreprises équipent leurs sites avec un mix de puissance de borne de 7,4 kW et 22 kW selon les usages et les besoins de recharge » selon Katia Lehnert, chef de projet mobilité responsable chez Fatec. Considérées comme des bornes de recharge normale, les bornes de 7,4 kW, 11 kW et 22 kW, permettent de charger complètement un véhicule entre deux heures (22 kW) et cinq heures (7,4 kW). Le courant alternatif de ce type de bornes est transformé en courant continu par un convertisseur embarqué dans le véhicule. Dans certains cas de besoin urgent de véhicule, les entreprises peuvent prendre l'option d'installer une borne de charge rapide supérieure à 22kW. Le temps de charge total sur ces bornes de 50 kW à 150 kW en courant continu est de moins de deux heures. En revanche, les entreprises ne nécessitent pas de bornes de recharge ultrarapide d'une puissance entre 150 kW et 350 kW. Ce type de bornes en courant continu est installé sur les autoroutes pour permettre aux automobilistes de recharger leurs véhicules en 15 à 30 minutes. Enfin, pour équiper le domicile des salariés, des bornes de 3,7 kW suffisent pour recharger leur voiture la nuit en dix heures.
L'interopérabilité des bornes pour faciliter l'itinérance électrique
Parcourir une grande distance en véhicule électrique avec la possibilité de le recharger de façon aussi simple et pratique qu'une voiture à essence. Tel est l'enjeu de l'interopérabilité des bornes publiques pour les véhicules et leur accès pour les automobilistes. « L'interopérabilité des bornes sur les axes routiers et en ville est d'un assez bon niveau en France » assure Gilles Bernard, président de l'Association française pour l'itinérance de la recharge électrique des véhicules (Afirev). La plateforme européenne d'interopérabilité Gireve permet, en effet, aux opérateurs de mobilité électrique de passer des accords avec les opérateurs de réseaux de bornes pour permettre aux automobilistes abonnés à un opérateur de mobilité de passer d'un réseau de recharge à un autre avec une seule carte d'accès et de paiement. L'itinérance en véhicule électrique devrait aussi être facilitée à l'avenir par l'ouverture à tous les automobilistes des réseaux de bornes propriétaires. L'américain Tesla a ainsi rejoint Gireve en y passant un premier accord avec l'opérateur ChargeMap pour ouvrir l'accès à son réseau européen important de stations de recharge aux abonnés de l'opérateur.