La Guadeloupe, laboratoire de la commande publique ?
Deuxième partie d'entretien avec Johanna Tendon, directrice des affaires juridiques, des assemblées et des achats publics de la Région Guadeloupe qui revient sur sa vision et le futur de la fonction achats territoriale et comment penser "out of the box" pour faire de l'acheteur, un acheteur développeur.

Clauses sociales effectives, soutien aux TPE, ancrage territorial des achats... la Région Guadeloupe engage également une transformation culturelle de sa politique d'achats, portée par son futur SPASER 2025 et une vision assumée d'un Small Business Act ultramarin.
La RSE territorialisée, moteur d'une commande publique responsable
La commande publique en Guadeloupe entre dans une nouvelle phase. En 2024, 25 marchés intégraient déjà des clauses sociales activement suivies, contre 11 un an plus tôt. Résultat : 21 076 heures d'insertion réalisées, soit 126 % de l'objectif annuel. « Nous refusons toute approche déclarative : les clauses sociales et environnementales doivent être effectives, vérifiables et adaptées au tissu local », insiste la direction des achats. Ici, pas d'effets d'annonce : les exigences environnementales ou sociales sont vérifiables, encadrées, et surtout adaptées aux réalités économiques locales.
Sur un territoire insulaire marqué par un tissu économique composé majoritairement de TPE, la montée en puissance des exigences RSE s'accompagne d'un soutien actif via des ateliers dédiés, un guide pratique à paraître, un accompagnement via la direction ESSIS ... La liste n'est pas exhaustive. « L'approche est progressive, inclusive, et vise une montée en compétence collective. Le SPASER 2025, en cours de co-construction, devra structurer ces ambitions avec un objectif clair : intégrer des objectifs sociaux et environnementaux forts dans plus de 50 % des marchés d'ici 2026 », développe Johanna Tendon.
Un acheteur développeur au service du territoire
La direction des achats de la Région Guadeloupe ne se limite pas à la mise en conformité. Elle revendique un rôle d'animation économique. Allotissement fonctionnel ou géographique, adaptation des procédures, simplification des DCE, création de tutoriels vidéo, journées d'information et partenariats avec les chambres consulaires, tout sera mis en oeuvre pour ouvrir les marchés publics aux acteurs locaux.
« L'enjeu n'est pas d'exclure avec de nouvelles clauses RSE mais bel et bien d'embarquer un maximum d'entreprises», résume Johanna Tendon. C'est aussi une transformation culturelle. « L'acheteur devient un bâtisseur de confiance, un garant de sécurité juridique et un levier de performance durable », poursuit-elle. Le pilotage des marchés est renforcé via des contract managers en cours de recrutement, garants d'un suivi rigoureux de l'exécution. Le dialogue économique s'intensifie avec les entreprises locales à travers les « Rendez-vous du Monde Économique », conçus comme des espaces de co-construction.
Vers une commande publique ancrée, performante et innovante
Deux projets récents incarnent cette évolution. D'une part, la structuration de la fonction achats dans une direction stratégique ; d'autre part, le pilotage des marchés liés à la Route du Rhum 2026, événement d'ampleur internationale. Ces initiatives illustrent une professionnalisation accélérée, au service de la transparence, de la performance et de l'impact territorial.
La réflexion en cours autour d'un Small Business Act ultramarin 2.0 vise à renforcer encore l'accès des PME locales, avec une logique d'achat d'impact. En parallèle, de nouveaux outils seront explorés comme les enchères électroniques inversées, pour conjuguer performance économique, transparence et équité d'accès.
Une fonction achats ultramarine en quête de reconnaissance
La réalité de la commande publique guadeloupéenne offre une leçon. L'achat public en Outre-mer ne peut être une simple déclinaison des standards hexagonaux. « Il faut sortir du cadre », précise la directrice des affaires juridiques et des achats qui souhaite également faire de la collectivité un laboratoire de la commande publique. Agilité, coopération, confiance mutuelle : tels sont les piliers d'une commande publique insulaire, confrontée à des défis que la France continentale connaîtra demain - relocalisation, résilience, développement durable.
Aux décideurs nationaux, le message est clair : ne voyez plus l'Outre-mer comme une exception, mais comme un laboratoire d'innovation. La Guadeloupe entend bien devenir un modèle de commande publique durable pour l'ensemble des Antilles françaises. Et peut-être au-delà.
Pour aller plus loin : Chiffres clés de la politique RSE de la Région Guadeloupe
- 25 marchés en 2024 intégraient déjà des clauses sociales activement suivies (contre 11 en 2023), soit 20% des marchés lancés
- 21 076 heures d'insertion réalisées,
- 126 % de l'objectif annuel.
"Ces résultats témoignent d'une montée en puissance concrète et maîtrisée de l'achat socialement responsable, en cohérence avec les capacités réelles du tissu économique local", illustre Johanna Tendon.
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