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Achats publics - Comment faire monter son service achats en compétence?

Publié par Sonia Puiatti le | Mis à jour le
Achats publics - Comment faire monter son service achats en compétence?

La réglementation des marchés publics, très mouvante ces dernières années, modifie en profondeur la manière de travailler des juristes, amenés à devenir des acheteurs à part entière. Plongée dans les coulisses de la RATP, de l'Inria et de l'Ugap, qui ont formé leurs acheteurs en interne avec succès.

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D'un acte juridique, l'achat public a évolué vers un acte économique. En ajoutant à cela les transformations profondes du métier, liées à la dématérialisation ou à la cybersécurité, l'achat est devenu un acte complexe. Des formations comme celles dispensées par Demos, Cegos, le CNFPT, ou encore Achatpublic.com permettent d'aborder des points particuliers, notamment au vu de l'évolution du cadre légal. "Nous constatons une volonté des acheteurs publics de se former. Depuis mars 2016 et la réforme du code des marchés publics, le sourcing est encouragé. Encore faut-il expliquer aux acheteurs et aux juristes comment faire", souligne Pascaline Gojin, directeur des produits et membre du directoire d'Achatpublic.com. Malgré tout, l'offre de ces nombreux organismes de formation n'est pas suffisante pour répondre aux besoins des entreprises publiques. Beaucoup ont monté elles-mêmes des parcours de formation en interne, à l'instar de l'Inria, de l'Ugap et de la RATP. Décryptage.

Transformer les juristes en acheteurs publics

À l'Inria, il n'y avait traditionnellement pas de démarche achats généralisée car la ligne métier est composée majoritairement de juristes marchés publics. En 2012, le directeur général de l'Inria a donc lancé une opération de professionnalisation de la fonction achats, afin de convertir les juristes aux achats et de faire émerger le métier d'acheteur public. Avec le cabinet de conseil CKS Public, spécialisé dans l'achat public, ils ont mis en place un parcours de professionnalisation des achats articulé en six modules de formation de deux jours chacun : définir une stratégie achats, mesurer la performance achats, définir et formaliser son besoin, savoir négocier, intégrer le développement durable et l'innovation, gérer la relation fournisseurs.

Trois modules étaient ouverts aux prescripteurs permettant de les associer aux nouveaux acheteurs en cours de perfectionnement. "L'Inria voulait améliorer la culture achats de ses collaborateurs, instaurer un meilleur dialogue prescripteur-acheteur et améliorer le niveau de maturité des prescripteurs souvent angoissés par l'existence d'une réglementation, explique Fabien Voisin, responsable national des achats à l'Inria. On assiste à un changement de paradigme : les acheteurs deviennent légitimes car ils participent à la création de valeur en répondant aux enjeux stratégiques de l'institut." Cette formation a rencontré un tel succès que sur 17 acheteurs formés, neuf ont été débauchés par d'autres organismes publics. "C'est une reconnaissance du travail qui a été fait", positive Fabien Voisin.

À l'issue de cette formation, la phase amont de l'achat, celle du sourcing, de l'étude de marché, de l'analyse des dépenses, qui représentait 5 à 6% du temps des juristes, est devenue un travail à part entière des acheteurs de l'Inria. "Nous voulions appréhender l'achat dans toute sa dimension, mais aussi avec plus d'audace, afin de challenger le besoin", indique le responsable national des achats. Car former ses acheteurs permet de jouer sur la relation fournisseur et d'introduire de nouvelles pratiques basées sur les échanges avec l'environnement concurrentiel, sans craindre de porter atteinte à la notion d'égalité de traitement des candidats. Ces derniers savent qu'ils peuvent mieux défendre leur dossier. "L'acheteur public va intégrer la dimension réglementaire comme une donnée environnementale de sa démarche qui ne se limite plus à cette seule approche juridique de l'achat public. La différence est dans la finalité, celle d'un achat performant, appréhendé dans toutes ses dimensions, dans le respect d'un cadre réglementaire qui a tendance à s'assouplir", résume-t-il.

Lire la suite en page 2 : Ouvrir la filière à d'autres compétences

Des parcours de formation sont proposés en fonction des quatre typologies d'acheteurs métier, projet, pilote de segment et responsable de groupe achats et des compétences métiers recherchées. Trois parcours composent ce dispositif : incontournable, complémentaire et à la carte. Une formation de trois jours, "Comment construire un dossier achats à la RATP" , coconstruite avec les juristes de l'entreprise et des prestataires externes, est obligatoire pour tout nouvel acheteur qui entre dans la filière. Une évaluation est ensuite réalisée par un cabinet extérieur et, en fonction notamment des résultats, l'acheteur se verra proposer un parcours individualisé et adapté (culture économique et financière, négociation, risques...). "Notre objectif est de faire monter en compétence les acheteurs par le biais de formations adaptées à leur parcours professionnel présent et à venir", insiste Soraya Araïssia, responsable formation du département valorisation immobilière, achats et logistiques du groupe RATP. Ainsi, un acheteur métier pourra devenir responsable groupe ou acheteur projet. Deux revues de mobilité annuelles viennent compléter ce dispositif, favorisant les évolutions de carrière. La filière achats de la RATP est composée de 166 acheteurs répartis dans sept unités achats décentralisées.

Le tutorat plutôt que des cours

L'Ugap souhaite pérenniser ses collaborateurs. "Un acheteur n'est pas un bon acheteur en étant junior. Une grande partie de la professionnalisation des acheteurs se fait par l'expérience. C'est pourquoi nous avons mis en place un modèle de formation par l'expérience, le tutorat, plutôt que par des modules", assure Sébastien Taupiac, directeur de la BU santé à l'Ugap. Les 70 acheteurs ne suivent donc pas de module de formation extérieur. "Nous ne pensons pas que cela soit utile. Nous les recrutons parce qu'ils ont une compétence dans un domaine technologique (pompiers, ingénieurs biomédicaux ou énergéticiens), parce qu'ils sont légitimes vis-à-vis d'une branche industrielle, qui pourra dialoguer avec les fournisseurs. Ils peuvent aussi être d'anciens commerciaux, des acheteurs ou professionnels du privé... Nous recherchons un profil expert plutôt qu'un CV, dans le contexte d'un achat public toujours plus complexe et nécessitant une certaine agilité", avoue-t-il.

L'acheteur néophyte en marchés publics est ensuite tutoré en interne dans l'appréhension et la maîtrise des processus de la centrale d'achats, démarche balisée par le département juridique de l'Ugap, fort de 15 juristes, qui s'occupe de la maîtrise du risque juridique. Ainsi, quatre profils d'acheteurs se dessinent à l'Ugap : les juniors, toujours encadrés par un référent senior, les seniors, les responsables de projet achats et les directeurs de projet achats. Le pilotage RH des achats se fait en interne. "L'achat public, c'est de la formation continue, il n'y a pas de guide officiel", poursuit Sébastien Taupiac.

Le recrutement à l'Ugap a toujours été spécifique du fait de l'obligation d'expertise de la centrale d'achats. Ces derniers mois, Sébastien Taupiac avoue prendre plus de risques en recrutant des profils encore plus déroutants ou innovants, capables d'adopter un esprit critique sur les process aujourd'hui totalement industrialisés. Par ailleurs, les acheteurs changent de famille d'achats tous les trois à cinq ans maximum, voire évoluent en transversal. "La plus grande richesse est le capital humain, surtout quand on forme nos acheteurs en interne par la pratique. Pour qu'ils s'imprègnent d'autres compétences et d'autres métiers, on ne peut pas les faire s'asseoir dans une salle à écouter la bonne parole. Nous les formons plutôt à l'environnement client, sur l'évolution des hôpitaux par exemple, ou à la loi santé, mais pas à l'achat public en tant que tel", note Sébastien Taupiac.

Pour gérer le risque lié au sourcing, l'Ugap ambitionne d'accélérer la collaboration juridique/achats, sans apprendre toutefois à un acheteur à faire du sourcing. "On peut le guider dans les bonnes pratiques, mais la pratique du sourcing et sa pertinence doivent demeurer un sujet d'expertise achats, sinon on enlève à l'acheteur ce qui fait sa qualité, c'est-à-dire sa capacité à bien sourcer, à identifier les éléments de différenciation. Si on écrit un guide du sourcing, on enlève toute intelligence et toute créativité. Un bon acheteur n'est pas un acheteur qui lit les process", conclut-il.

Cette formation est donc liée à la conjoncture économique, mais elle s'inscrit aussi dans l'objectif d'une mise en oeuvre efficace des politiques publiques initiées par l'État et, s'agissant des achats, portées par la direction des achats de l'État, grâce à l'achat innovant, en prenant plus de risques pour soutenir des start-up par exemple. "Cette formation a permis une démarche plus ouverte et audacieuse, alors que l'approche du juriste, dont l'objectif est d'éviter le contentieux, sera intrinsèquement plus frileuse. L'acheteur public a, lui, compris la dimension économique de l'achat, mais il veut aussi être attractif et vendre son établissement aux fournisseurs", analyse Fabien Voisin.

Le p-dg de l'Inria, Antoine Petit, milite d'ailleurs en faveur d'un "young business act" qui doit permettre d'accompagner la croissance des nouvelles entreprises innovantes, notamment dans la recherche de leurs premiers clients. L'acheteur doit intégrer cet objectif dans sa démarche, en développant une politique d'achats à objectifs (soutien économique et innovation en l'occurrence) en utilisant les souplesses de la réglementation. "Ceux qui n'évoluent pas se sentent perdus. C'est plus compliqué pour un juriste dont le seul repère en matière d'achats est la réglementation", rappelle le professionnel.

Ce parcours de formation, certifiant au choix, Céline Ruby, acheteur public à Inria Lille-Nord Europe, l'a suivi de février 2015 à janvier 2016. "Les modules sur la performance achats forment à rendre compte, communiquer les résultats des stratégies, mais également à intégrer le développement durable et l'innovation dans l'acte d'achat, ce qui est nouveau pour nous", se réjouit l'acheteuse. Pour la moitié des modules, les prescripteurs intéressés pouvaient participer, favorisant la collaboration et la bonne délimitation du rôle de chacun. Céline Ruby en retire une organisation de travail plus anticipée et organisée, notamment pour apprendre à connaître le secteur concurrentiel, mais aussi pour définir les objectifs de la stratégie d'achats à atteindre (gain budgétaire, qualité, achat durable, délai...) et raisonner en coût complet.

Ouvrir la filière à d'autres compétences

La culture d'entreprise de la RATP favorise la mobilité en interne. En privilégiant les compétences acquises lors des expériences passées, l'Epic valorise la transposition des compétences d'un métier à un autre. "Nous prenons comme une opportunité le risque de nous dire qu'une personne pourra s'épanouir dans la filière achats et hors filière. La richesse de la filière achats provient de cette complémentarité et de la mixité des parcours métiers, notre objectif est d'exporter et importer des talents", explique Christine Hincelin, responsable de l'animation de la fonction achats à la RATP. Depuis la fin des années quatre-vingt-dix, le recrutement des acheteurs s'est fait aussi bien en interne (filières finance, contrôle de gestion, juridique...) qu'à l'externe (écoles de commerce et cursus achats).

En lançant l'Académie des achats il y a trois ans, l'objectif était principalement de maintenir et développer les compétences métiers et d'anticiper les évolutions du métier, l'ouverture à la concurrence notamment, tout en préparant la gouvernance de filière achats avec un socle commun de compétences et de référentiels. In fine, ­l'Académie offre de la visibilité sur les évolutions de parcours ­professionnels, grâce au diagramme établi autour de trois grands axes : entrer dans la filière, y évoluer et en sortir.

Lire la suite en page 3: Le tutorat, plutôt que des cours

 
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