Décarbonation du transport : une opportunité économique au-delà des investissements ?
La transition vers une mobilité plus sobre en carbone dans le secteur des transports est trop souvent abordée sous l'angle strictement financier, réduite à une simple équation d'investissements. Quelles ressources consacrer à l'acquisition de nouveaux véhicules, quelles infrastructures déployer, quels carburants alternatifs privilégier ? Cette vision, centrée sur les dépenses d'investissement (Capex), occulte une réalité prometteuse, celle des leviers organisationnels, constituant souvent la première étape, celle qui est la plus accessible et efficace.

Changement de paradigme. Il s'agit de repenser la décarbonation non pas comme un centre de coûts, mais comme une opportunité d'optimisation économique et d'innovation organisationnelle. Un changement nécessaire pour faire de la transition écologique une source de valeur ajoutée concrète, et non plus uniquement un investissement lourd pour l'avenir.
Le "juste besoin" : repenser la nécessité avant la technologie
La première démarche, souvent négligée mais pourtant cruciale, consiste à revisiter fondamentalement l'organisation des flux logistiques et à questionner le "juste besoin". Est-il réellement nécessaire d'approvisionner quotidiennement des points de vente à faible rotation ? L'acheminement aérien se justifie-t-il systématiquement face à une alternative maritime bien planifiée ? Les exigences actuelles en termes de délais et de fréquence reflètent-elles un besoin client avéré ou simplement une habitude organisationnelle ?
Ce travail de discernement ne requiert aucun investissement matériel, mais représente un potentiel considérable tant en réduction d'émissions qu'en économies opérationnelles.
L'optimisation : transformer le vide en opportunité
Les camions français roulent en moyenne aux deux tiers de leur capacité. Ce tiers vide représente une inefficience à la fois environnementale et économique que les entreprises ne peuvent plus se permettre de négliger.
Les leviers d'optimisation sont nombreux et accessibles. Entre autres, la mutualisation des flux entre fournisseurs ou clients, la rationalisation des tournées, la meilleure anticipation des besoins pour limiter les transports express, ou encore le fait de repenser les emballages des produits pour diminuer le vide transporté. Chacune de ces initiatives participe à un cercle vertueux où réduction d'émissions et économies budgétaires se conjuguent harmonieusement.
Innover dans les modèles de distribution et dans la gestion des retours
Dans le secteur de l'e-commerce en particulier, les retours peuvent représenter jusqu'à 30% des flux logistiques. Une proportion considérable qui appelle des solutions spécifiques : amélioration des outils d'aide à la décision d'achat pour limiter les retours en amont, organisation de "swaps" lors des livraisons, ou encore optimisation des points de collecte. Ces approches permettent non seulement de réduire l'empreinte carbone, mais également de fluidifier l'ensemble de la chaîne logistique.
Par ailleurs, il convient également de repenser, en amont, les modèles de distribution. Le développement de modèles comme le "ship from store", consistant à livrer directement depuis le point de vente le plus proche plutôt que depuis un entrepôt centralisé, constitue un exemple probant d'innovation organisationnelle à faible intensité capitalistique mais à fort impact environnemental.
Un enjeu de culture d'entreprise pour réconcilier performance économique et environnementale
Si ces approches demeurent insuffisamment déployées, c'est en partie dû à une perception erronée. La décarbonation serait un sujet exclusivement technique, relevant de la responsabilité des transporteurs ou nécessitant d'importants investissements.
Les projets de réorganisation à visée environnementale constituent également de puissants leviers d'engagement des collaborateurs, particulièrement sensibles à la quête de sens dans leur activité professionnelle.
La décarbonation du transport sans recours massif aux investissements n'est pas seulement possible - elle constitue souvent la première étape logique d'une stratégie de transition cohérente et économiquement viable. La véritable transformation ne commence que rarement par une ligne budgétaire d'investissement. Elle s'amorce par la capacité à questionner l'existant et imaginer de nouvelles façons d'opérer. Cette approche pragmatique de la décarbonation offre une voie prometteuse pour avancer sans compromettre leur compétitivité.
A propos de l'auteur : Christophe Bressange est managing partner operations au sein de Mews Partners, chargé d'accompagner la transformation de la Supply chain et des modèles opérationnels.
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