Shein, Temu et consorts : l'art de vider les rayons sans faire de la marge
Retour de flamme, l'atelier du monde a sorti des plateformes qui font trembler le retail. Shein et Temu résument à eux seuls la perte d'agilité du secteur textile traditionnel et ses atermoiements actuels.

Face à des plateformes capables de livrer un t-shirt à 3 euros en moins d'une semaine, les acheteurs historiques sont à la peine. Ce ne sont plus des concurrents, ce sont des rouleaux compresseurs.
D'après l'Institut Français de la Mode, 74 % de la valeur des importations textiles françaises proviennent encore d'Asie. Un chiffre qui explique la dépendance des achats et les velléités de relocalisation, mêlées de traçabilité et d'impact carbone. Car dans les faits, le paradigme du modèle d'affaires du textile demeure inchangée : à défaut de marges, il faut du volume. Et pour le volume, seul l'Asie reste compétitive.
Mais ce que révèlent les diatribes incessantes sur les plateformes chinoises, c'est bel et bien une fragilisation des modèles existants. Les enseignes "traditionnelles" sont désormais contraintes de revoir leurs schémas d'approvisionnement : moins de réassorts, moins d'anticipation, moins de prises de risque. Le phénomène Shein - capable de tester des centaines de modèles chaque jour - impose une logique de flux ultra-court qui ringardise les cycles semestriels. Même les approvisionnements dits "court terme" (Maroc, Portugal, Tunisie), qui représentent 20 % des volumes, selon l'Institut Français de la mode, peinent à suivre.
Côté achats, nos professionnels deviennent ainsi des gestionnaires de risques autant que les pilotes de la stratégie achat. Entre les surstocks à écouler, les injonctions RSE à respecter, et la pression sur les délais, leur marge de manoeuvre se réduit. Certaines enseignes, comme Kiabi, ont décidé de freiner leurs volumes importés, conscientes que l'offre pléthorique n'est plus en phase avec la demande.
La difficulté de réaligner le duo achats et ventes
Reste que cette dynamique n'est pas tenable. L'ultra fast fashion propose l'illusion du choix, mais impose une obsolescence accélérée du produit et du rôle même de l'acheteur. Sourcing en cascade, délais raccourcis, productions délocalisées encore plus loin, du côté du Bangladesh ou du Cambodge. Bref, tout concourt à effacer la valeur ajoutée du pilotage achat tel que le secteur le connait.
Quant aux velléités de "friendshoring" évoquées ça et là - Maroc, Tunisie, voire Pologne - elles peinent à masquer le fond du problème. Les plateformes chinoises ont imposé leurs standards, et ce ne sont ni les KPI RSE ni les audits fournisseurs qui les ralentiront.
Pour les acheteurs, le défi est sans pareil. Il s'agit de survivre dans un marché saturé, où l'ultra low-cost est devenu la norme. Et où le moindre réajustement stratégique se fait sous la menace d'un panier moyen qui s'évapore.
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