[RSE] Se rapprocher d'un business model régénératif
Ceux qui tendent vers cet idéal ont revu leur offre, leur rapport à l'environnent et au temps, mais aussi leurs achats. Revue d'expériences.
Je m'abonneLa start-up chambérienne Rhizomex (900 000€, sept salariés) s'attaque à la Renouée du Japon - plante envahissante et dangereuse pour la biodiversité - par des chantiers de tri, puis valorise les rhizomes du végétal en récupérant la molécule « resveratrol » aux vertus protectrices et antioxydantes par une technologie de chimie verte brevetée. Son but ? Vendre sa production au secteur cosmétique. Les clients actuels sont des collectivités territoriales, des promoteurs, aménageurs... et bientôt des laboratoires. « Nous mettons sur pied une vraie boucle d'économie circulaire avec des procédés plus propres que nos concurrents. Mais nous avons senti que nous devions aller plus loin », retrace son fondateur Luc Jager qui aujourd'hui réensemence les terrains avec des graines locales. Des entreprises dites régénératives aident à rendre les écosystèmes du vivant plus résilients en plus de leur activité. Elles se comptent encore sur les doigts de la main.
Quelques exemples de vraie régénération
Ainsi, l'industriel Rémy Lucas à Saint-Malo a inventé un bioplastique à base d'une algue, le goémon très commun en Bretagne. Le matériau de son entreprise Algopack - qui a collaboré avec Nutria, l'unité nutrition de Danone pour ses dosettes - entre aussi dans la composition de résines pour imprimantes 3D. Pour produire ce bioplastique, Rémy Lucas cultive les algues à la manière des ostréiculteurs, recréant ainsi un écosystème qui tend à disparaître. Les alevins, coquillages, retrouvent des lieux où nicher et les algues brunes filtrent et oxygènent les eaux côtières.
C'est cette même volonté d'offrir à l'environnement qui a guidé la création de Lineup Ocean par Robin Alauze, un dispositif bio-inspiré d'atténuation de la houle destiné à être vendu aux collectivités pour protéger le front de mer et la biodiversité marine : les matériaux écoconçus reproduisent des formes naturelles d'herbiers et coraux. Mais ce sont des exceptions. Un collectif d'une trentaine d'entreprises et d'associations, parmi lesquelles Biocoop, Davines, Léa Nature, Loom... a dénoncé dans Le Monde l'usage tous azimuts du terme « régénératif ». Car l'entreprises qui a un modèle économique basé sur la croissance infinie et la seule exploitation des ressources ne peut utiliser le terme. Pourtant, « aujourd'hui, l'entité régénérative est un idéal et n'existe pas. Les bons élèves y tendent », avoue Thibaut Massiet du Biest, directeur achats, enseignant à la Regen School (pour régénératif).
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Des « briques » de régénération
Ainsi la voiture suisse Softcar - à louer évidemment - combine différentes logiques d'écoconception pour diminuer de 20 fois le nombre de pièces à assembler et recycler localement. Pocheco, fabricant d'enveloppes et de sachets écologiques et personnalisables, célèbre suite à son passage dans le film Demain de Cyril Dion, a développé les cinq étapes de l'économie (conceptualisée par Corinne Lepage) : ses encres remplies de solvants sont devenues naturelles, les salariés créent des potagers partagés, les calories produites par les machines sont réutilisées pour chauffer l'atelier, plus de 99,97 % de ses déchets sont recyclés ou réinjectés dans l'économie circulaire. « Pour se rapprocher de l'idéal, beaucoup se dirigent vers l'économie du partage, de l'usage que les jeunes générations connaissent bien au travers de Airbnb, Vinted, Getaround...», note Thibaut Massiet du Biest, également formateur chez Lumia sur les achats durables, selon qui les entreprises à actionnariat ont du mal à changer leur rapport au temps, à la performance de court terme.
« Les entreprises au capital familial ont une approche plutôt basée sur le temps long, plus adaptée au mode régénératif », insiste celui qui a oeuvré, chez Metro France, à sécuriser la rentabilité à long terme. « Nous avons été les premiers à travailler sur les achats contractuels d'énergie verte, signant avec une entreprise d'éoliennes, puis avec un acteur du photovoltaïque sur 20 ans. C'était plus cher que le marché mais les prix de ce dernier ont ensuite explosé », retrace-t-il. Dans les années 80, le prix et sa négociation primaient puis la notion de TCO (« total cost of ownership ») a été ajoutée pour voir au-delà du catalogue. « Aujourd'hui, on est dans l'ACV - analyse du cycle de vie du produit », assure Thibaut Massiet du Biest. Et pas seulement pour des raisons de règlementation ou de conscience environnementale. « Les coûts des matières premières, de l'énergie et du recyclage vont exploser, il importe parfois de se projeter stratégiquement et de monter sa filière. Aujourd'hui, opter pour le cuivre recyclé plus cher que celui qui vient de la mine peut être un bon pari car le prix de ce dernier va grimper », illustre celui qui a participé au livre « des achats durables pour une entreprise triplement performante » de Guillaume Gourmelon.
Niels de Fraguier, auteur de « The Regenerative Enterprise », éditeur du jeu de société FUTURs, écopreneur et idéateur :
« Plus donner que prendre au vivant »
Qu'est-ce qui vous a conduit à développer une telle offre de conseil ?
Les modèles et certifications ne vont pas assez loin. Aujourd'hui certifier, c'est dire que l'entreprise a fait moins mal, qu'elle s'est améliorée. Ce n'est pas assez. L'entreprise régénérative va donner au vivant et à la société plus qu'elle ne leur prend. Nous avons donc travaillé avec des chercheurs et différentes communautés pour créer des méthodologies et une sorte de librairie de ressources, plutôt à destination de TPE-PME.
Pouvez-vous citer des exemples d'entreprises qui évoluent dans ce sens ?
Dans « The Regenerative Entreprise », nous citons 120 entreprises qui progressent sur des briques. Vivobarefoot, société basée aux USA, fabrique des chaussures minimalistes. Faith in Nature au Royaume-Uni, compte la nature comme membre de son board. Riversimple, fabricant britannique de voitures à hydrogène proposées en leasing, a aussi une gouvernance intéressante où les parties prenantes - investisseurs, consommateurs, environnement... - se partagent le pouvoir.