Recherche
Mag Décision Achats
S'abonner à la newsletter S'abonner au magazine
En ce moment En ce moment

[Commande publique] Comment acheter local sans préférence locale ?

Publié par le - mis à jour à
[Commande publique] Comment acheter local sans préférence locale ?

Les acheteurs publics veulent aujourd'hui développer l'achat local mais le code de la commande publique leur interdit d'introduire une préférence locale dans les marchés publics. Alors, comment faire ? Des outils existent et se renforcent à l'heure des achats durables.

Je m'abonne
  • Imprimer

« L'enjeu de l'achat local est le dynamisme du territoire, explique Arnaud Latrèche, adjoint au directeur commande publique et valorisation immobilière au Conseil départemental de la Côte-d'Or. Je ne connais pas un seul élu qui n'y soit pas sensible. » Les dernières élections présidentielles ont une nouvelle fois démontré l'intérêt des hommes et des femmes politiques pour l'achat local. Dans son programme, en 2022, le président Macron annonçait vouloir « réviser la politique d'achat de l'État » : « l'objectif prioritaire sera d'acheter local, plutôt que d'acheter toujours moins cher, pour développer l'innovation et les filières françaises. » Son adversaire au second tour, Marine Le Pen, déclarait quant à elle : « En opposition claire et assumée aux dogmes de la mondialisation sans contrainte, la priorité nationale (ou européenne dans certains cas) s'appliquera pour les marchés publics. » Arrivé troisième au premier tour, Jean-Luc Mélenchon voulait lui « réviser le Code des marchés publics pour favoriser les entreprises sociales et solidaires, écologiques et locales. »

L'impératif de la non-préférence locale

Le code de la commande publique interdit en effet clairement l'introduction d'une préférence locale dans les marchés publics. « Il garantit la liberté d'accès à la commande publique sur le marché unique de l'Union européenne, souligne maître Tanguy Mocaer, avocat associé au Cabinet Coudray. Tout critère discriminatoire est interdit. » La volonté de développer l'achat local semble donc se heurter à l'impératif juridique de la non-préférence locale.

En France, la majorité des fournisseurs peuvent cependant être qualifiés de locaux. « Les marchés publics sont en vérité passés dans un périmètre sans doute bien plus proche qu'imaginé », remarque Pierre-Henri Morand, professeur à Avignon Université, dans Où va l'argent public ?,un livre paru en 2022. Sur la période 2010-2020, 50 % des marchés publics français, supérieurs aux seuils européens et attribués à des entreprises du territoire national, concernent ainsi des fournisseurs situés à moins de 65 kilomètres des acheteurs. Pour les marchés de travaux, ce chiffre n'est plus que 26 kilomètres. Et si l'on prend en compte tous les marchés au-dessus de 40 000 euros, il n'est que de 49 kilomètres.

Notons par ailleurs que la commande publique française se tourne peu vers les entreprises étrangères. Dans La commande publique peut-elle constituer un levier de relocalisation de l'activité ? (Focus du Conseil d'analyse économique n°058- 2021), Claudine Desrieux et Kevin Parra Ramirez écrivent ainsi, se basant sur la valeur des marchés publics de 2009 à 2015 : « Globalement, la France figure parmi les pays européens où les entreprises étrangères se voient attribuer une proportion relativement faible de marchés publics (14 % en tenant compte des marchés directs et indirects, contre 23 % pour l'Union européenne, 17 % pour l'Allemagne ou encore 24 % pour le Royaume-Uni). » Par marchés directs, il faut entendre ici les marchés gagnés par des entreprises étrangères localisées à l'étranger, et par marchés indirects, ceux gagnés par des entreprises étrangères résidentes.

Plusieurs leviers pour l'achat local

Les acheteurs publics français sont donc plutôt des champions en matière d'achat local. Voyons quels leviers ils utilisent habituellement pour le développer. « L'outil le plus simple, pour des achats de faibles montants, est l'achat de gré à gré [marchés passés sans publicité ni mise en concurrence préalables, NDLR], explique maître Maxime Büsch, avocat associé chez LexCase. Le code de la commande publique nous dit cependant de ne pas contracter systématiquement avec le même opérateur. » Pour les travaux, l'achat de gré à gré est toujours possible jusqu'à 100 000 euros, ce seuil ayant été prolongé jusqu'au 31 décembre 2024. « L'étape sourcing est fondamentale, poursuit Maxime Büsch. L'acheteur doit savoir ce qui se fait localement, ce qu'il peut demander. S'il est face à de petits acteurs, il peut faire des lots proportionnés aux capacités des entreprises locales. » L'allotissement est ainsi l'un des moyens privilégiés pour faciliter l'accès aux marchés publics des PME, et donc aussi des PME locales. Dans cette optique, depuis 2010, le département de la Côte-d'Or a signé avec les organisations professionnelles et interprofessionnelles plusieurs chartes PME. Il s'est engagé à privilégier la souplesse des procédures, à allotir les commandes, à préserver l'équilibre financier du contrat, à accorder des facilités de paiement aux entreprises et à donner de la visibilité sur les projets d'achats.

La région Bretagne soutient aussi l'économie de son territoire par la commande publique : en 2020 et 2021, elle a attribué 74 % de ses marchés publics à des entreprises bretonnes. « Avoir une cartographie des achats et des fournisseurs permet d'identifier là où il y a un potentiel de relocalisation, témoigne Gildas Renard, chef du service politique d'achat à la Direction des affaires juridiques et de la commande publique de la Région Bretagne. Il s'agit ensuite de travailler avec les organisations professionnelles pour définir la manière dont on développe des filières. » Parmi les leviers de l'achat local, Gildas Renard cite aussi le sourcil et « le design contractuel » : l'allotissement et « des spécifications qui permettent de mettre en valeur des entreprises locales, par exemple leurs matériaux et leur potentiel de décarbonation ».

L'apport des lois vertes

Les lois verdissant la commande publique donnent de nouveaux leviers à l'achat local. La loi « Climat et résilience » du 22 août 2021 rend obligatoire, à partir d'août 2026, la prise en compte des objectifs de développement durable dans les spécifications techniques du marché (article 35). « Les acheteurs peuvent par exemple exiger le recours à un écolabel, commente maître Mocaer. Ils peuvent aussi agir sur les critères d'attribution du marché, mais avec prudence. Car ceux-ci doivent être liés à l'objet du marché, à l'offre. Par exemple, le critère bilan carbone ne peut concerner que les circuits liés au marché. » Dans sa décision n°363921du 15 février 2013, le Conseil d'État a indiqué qu'un tel critère bilan carbone devait être précis et donc accompagné des modalités de sa mise en oeuvre. La loi « Climat et résilience » prévoit aussi des clauses d'exécution environnementales, obligatoires à partir d'août 2026, et des clauses d'exécution sociales. Ces dernières, pour lesquelles il existe des dérogations, sont prévues pour les marchés dont le montant est supérieur aux seuils européens.

Un projet de loi industrie verte a par ailleurs été définitivement adopté par le Sénat le 11 octobre 2023. Il accélère la prise en compte de critères environnementaux dans la commande publique, ce qui devrait encore être bénéfique à l'achat local. Les schémas de promotion des achats publics socialement et écologiquement responsables (SPASER) sont étendus à l'État. Les marchés publics devront en outre prendre en compte des critères environnementaux dès juillet 2024 pour des produits clés de la décarbonation : voitures électriques, pompes à chaleur... Des critères qui devraient être favorables aux industries françaises et européennes.

« Nous devenons des acheteurs verts »

« Aujourd'hui, c'est à travers les achats responsables que se pose la question de l'achat local. Le Schéma de promotion des achats socialement et écologiquement responsables (SPASER), adopté en décembre 2022, oriente toute la programmation des achats de la Métropole Toulon Provence Méditerranée.Nous prenons en compte le développement durable à trois niveaux, quand cela est possible :soit dans l'objet du marché, soitdans ses conditions d'exécution, soit au titre des critères d'attribution, l'un des leviers n'étant pas exclusif des autres. Nous anticipons ainsi l'échéance de 2026, date à laquelle 100% des marchés publics devront prévoir un critère d'attribution environnemental. C'est un changement de culture, de réflexe : nous devenons des acheteurs verts. Nous travaillons avec les services prescripteurs pour mettre en oeuvre des critères non discriminatoires mais discriminants et mesurables. L'objectif est de faire émerger et de pouvoir comparer des offres réellement performantes, d'éviter que tous les candidats obtiennent le même nombre de points au titre du critère développement durable, et qu'au final ce soit le prix qui fasse uniquement la différence.Car notre rôle est de permettre aux opérateurs économiques d'appréhender et d'anticiper les obligations présentes et à venir. La Métropole Toulon Provence Méditerranée a aussi un fort ADN social : il se traduit par des clauses sociales qui contribuent également au développement de l'achat local. »

Chantal Saichi, directrice de la stratégie, du pilotage et de l'évaluation de l'achat à la Métropole Toulon Provence Méditerranée

 
Je m'abonne

NEWSLETTER | Abonnez-vous pour recevoir nos meilleurs articles

La rédaction vous recommande

Retour haut de page