"Les achats participent maintenant à l'écriture du scénario et à la réalisation du film"
Quelle est la nouvelle responsabilité des achats ? Les participants à la session live des Universités des Achats 2020 de mardi matin ont tenté de répondre à cette question. CEO et CPO participants sont en accord : les achats doivent BIEN acheter. Ce qui veut dire...
Je m'abonneLes achats doivent acheter mieux. Voilà une constante ressortie des débats organisés ce mardi 8 septembre, dans le cadre de la session live des Universités des Achats. Et ce constat est non seulement partagé par les directeurs achats qui participaient à la matinale, mais aussi, et c'est là que c'est intéressant, par les trois CEO réunis par le CNA. Tous trois ont bien compris, notamment à la lumière crue des événements récents, que leurs entreprises ont tout intérêt à acheter responsable et durable. Non par philanthropie, mais bien dans un objectif de sécurisation des approvisionnements... donc, du business. Et une fois actée cette stratégie, les achats, doivent aussi avoir "un rôle d'accélérateur", comme l'a estimé Agathe Bousquet, présidente de Publicis Group, qui "revendique" haut et fort leur présence systématique au comex. Jean-Luc Baras, président du CNA et CPO de Eiffage, ne pouvait que plussoyer: "Etre au plus haut sommet est essentiel car la direction achats doit être le bras armé de la stratégie de l'entreprise".
Mais le seul bras armé n'y suffira toutefois pas. "La gouvernance des achats doit être collective", a estimé Nelly Plu, CEO du Groupe Equity. Jean-Luc Bars a abondé: "Nos problèmes sont tellement complexes que leurs solutions ne pourront qu'être apportés par le collectif. Il faut adapter nos méthodes de travail et nous devons êtres soutenus par toute l'entreprise". Le collectif passera aussi par l'externe et les démarches de filière. "Chez Eiffage, nous partageons aussi avec nos pairs, sur une approche achats bas carbone, par exemple".
"Nous ne sommes rien sans nos fournisseurs"
Bien acheter, c'est bien évidemment avoir une relation fournisseur exemplaire. Les aider en cas de coup dur en améliorant ses délais de paiement, par exemple, mais aussi en partageant ses enjeux avec eux. Il convient de bâtir "une relation sur le long terme", comme l'a indiqué Pierre-Olivier Brial, CEO de Manutan, qui a expliqué considérer ses fournisseurs comme il considère ses collaborateurs. "Ils sont une partie prenante de l'entreprise. Nous ne sommes rien sans nos fournisseurs". Sans les bons, bien entendu, car il ne s'agit pas non plus d'être complaisants. Les mauvais fournisseurs sont comme les mauvais collaborateurs, ils prennent la porte.
Mais que les choses soient claires, acheter responsable, c'est aussi accepter de payer le juste prix d'une prestation dont on connaît la valeur : "il y a des devis responsables et des devis irresponsables", a commenté Florence Baiget, directrice achats de Transdev. "Lorsque les clients demandent de baisser un prix de 50%, ils entraînent une déconstruction de la valeur, tant pour le fournisseur que pour eux-même", a appuyé Agathe Bousquet. Le seul moyen d'avoir des devis responsables, a conclu la tablée, est d'avoir un échange transparent avec l'acheteur sur le prix des prestations. "Aujourd'hui, le travail des acheteurs est de challenger les fournisseurs, est intervenu Jean-Luc Baras; de maintenir une saine pression dans le cadre d'une relation constructive".
Dans le cadre de la gestion des risques, l'acheteur doit aussi veiller sur la compliance règlementaire et la santé de ses fournisseurs pour s'assurer de la pérennité des marchés qu'il est susceptible de leur confier. Une tâche malaisée car les données fournisseurs disponibles dans les outils ne sont pas toujours actualisées, surtout à l'aune de la pandémie. "Je m'intéresse à présent au capital et aux actionnaires des fournisseurs, chose que je ne faisais pas auparavant", a glissé Christophe Jan, CPO de Orange France". Et restent les informations introuvables... "Il n'y a rien de moins transparent que les fonds d'investissement", a commenté Sylvie Robin-Romet, CPO du Groupe Crédit Agricole.
Enfin, Pierre-Olivier Brial a invité l'auditoire à une réflexion de fond sur le prix. "On doit s'interroger sur ce qu'est un prix. En avoir une vision à 360° et savoir ce que l'on veut en faire; ce que l'on veut favoriser". Et in fine, éduquer le consommateur qui doit aussi arbitrer entre son porte-monnaie et les valeurs auxquelles il adhère. Pour le dirigeant de Manutan, réfléchir à ce que l'entreprise veut valoriser aura des vertus positives. Si l'on décide de valoriser le kilométrage dans les appels d'offre, a par exemple cité Pierre-Olivier Brial, les entreprises qui veulent gagner ces appels d'offres vont devoir s'installer en France. Ce qui est bon pour l'emploi et la planète.
Relocalisation ou production proche du lieu de vente?
C'est ici qu'arrive le sujet de la relocalisation et du made in France, poussé sur le devant de la scène par la Covid et ses corollaires. Croix de bois, croix de fer, les directeurs achats sont déterminés à s'engager en faveur de la dite relocalisation. Surtout les membres du CNA, dont on connaît les engagements sur le sujet. Ainsi, Christophe Jan a expliqué vouloir contribuer "à la reconstruction d'un tissu industriel en qui nous aurons confiance". Les achats veulent diminuer leur dépendance à la Chine. C'est le cas de Florence Baiget dont l'entreprise, Transdev, s'investit dans la transition énergétique, mais dont les véhicules électriques sont pleins de composants ... made in China. "Notre responsabilité, aujourd'hui, est de favoriser, avec nos partenaires, l'émergence de champions européens pour travailler sur les composants". Il ne s'agit d'ailleurs pas uniquement de dépendance à la Chine. Christophe Jan anticipe, lui, de grands besoins dans le monde du logiciel sur lequel les Français sont très dépendants des Américains. "Il y a des positions à prendre au niveau européen".
"Il faut réfléchir en terme de finalités", est intervenue Natacha Tréhan, maître de conférence en managements stratégique des achats à l'Université Grenoble Alpes. "Si la finalité est la sécurisation des approvisionnements, on peut se demander si le made in France est stratégique. Imaginons que la France soit bloquée.... Il faudrait plutôt fonctionner en zone pour zone, en produisant là où l'on vend. C'est en outre plus intéressant sur le plan écologique. Si l'on est sur un enjeu de sécurisation, une autre possibilité est la ré-internalisation de la production. Pour réduire une dépendance fournisseur, on peut réintégrer l'aval. On peut internaliser tout ce qui est coeur de métier, comme l'a fait Tesla. Et si l'enjeu est l'emploi... il est dans ce cas terrible de ne pas parler de la délocalisation massive des services à laquelle nous assistons actuellement car les prestations intellectuelles ne sont pas soumises aux droits de douane... Il est essentiel de préserver les emplois dans le secteur du service. Une pénurie de talents s'annonce en France, notamment en ce qui concerne les talents informatiques."
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La Covid a bien évidemment poussé les achats à travailler le made in France sur le très court terme, comme l'a expliqué Agathe Bousquet. Avec des résultats intéressants:"Là où nous produisions à l'étranger dans une logique de coûts, il nous faut être dans une logique de relocalisation, nous y sommes contraints par la force des choses". Et d'expliquer que Publicis, qui tournait habituellement des films publicitaires à l'étranger, a dû revoir son fonctionnement. "On peut produire en France sans que cela soit moins cher puisque qui dit production en France, dit économies. Nous revenons de cette crise avec des changements qui sont bénéfiques pour l'entreprise et nos clients font des économies énormes en achetant du "home made". Pour parvenir à ce changement, les acheteurs de Publicis ont dû se renouveler, innover pour concevoir de nouvelles solutions. De fait, mieux vaut "les intégrer le plus en amont possible"... ainsi que les acheteurs donneurs d'ordre, qui doivent adhérer à la démarche.
Les CPO présents sur cette matinale sont unanimes: la Covid a permis de mettre en lumière leur rôle stratégique. Ils sont de fait plus consultés par les métiers. Le rôle de l'acheteur a beaucoup évolué", a estimé Sylvie Robin-Romet. "Il est sorti du rôle de metteur en scène des scénarios écrits par d'autres que lui. Il a gagné ses galons pour participer à l'écriture du scénario et à la réalisation du film".