Impression 3D - Les promesses d'une nouvelle donne industrielle
En quête de solutions pour mieux maîtriser les cycles d'achats et d'approvisionnement, les entreprises voient l'impression 3D comme un levier vers davantage de souplesse et d'efficacité. Des atouts réels, dont la pertinence dépend aussi de critères variés.
Je m'abonneAvec 11,8 milliards de dollars de revenus et une croissance annuelle de 21,2 % le marché mondial de la fabrication additive a poursuivi son fort développement en 2019. Une augmentation qui s'inscrit dans la lignée des années précédentes, comme l'atteste le rapport Wohlers 2020, exclusivement consacré à ce domaine. La France n'est pas en reste. De nombreuses grandes entreprises investissent et développent leurs chaînes de valeur en intégrant l'impression 3D, à l'image de Dassault Aviation qui implante, à Argonay, en Savoie, une usine de fabrication additive estimée à 25 millions d'euros. Le groupe Safran est lui aussi en pleine construction d'une usine Campus Fabrication Additive près de Bordeaux pour un montant de 80 millions d'euros.
Plus généralement, l'impression 3D est désormais considérée comme un levier efficace visant à surmonter les problèmes d'approvisionnement pour près de 80 % des entreprises, révèle une étude réalisée par OnePoll et Rechelt Elektronik. "Au travers de cette dynamique actuelle se pose la question de la production de masse, et l'importance de pouvoir changer rapidement de dispositifs de production en fonction du niveau de la demande. Si les machines restent encore relativement lentes pour des fabrications additives, il faut comparer l'ensemble des coûts technologiques, des contraintes et délais par rapport à un mode de fabrication classique", relève Alain Bernard, professeur à l'École centrale de Nantes, vice-président de l'AFPR (Association française du prototypage rapide et de la fabrication additive). Même les séries de plusieurs milliers, voire de dizaines de milliers d'unités deviennent plus rentables à l'aide de l'impression 3D. Comme dans le cas de la production de prothèses auditives, la fabrication additive permet également de produire en même temps et dans une même cuve des produits différents.
Une alternative mise en lumière par l'actualité
Longtemps méconnue du grand public, l'impression 3D s'est fait connaître depuis plusieurs mois à la faveur des nouvelles productions issues de la crise de la Covid-19. La nécessité de fabriquer rapidement des visières protectrices a démontré que la fabrication additive pouvait être une alternative crédible en matière de productions en nombre non négligeable.
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"Nous avons produit 15 000 visières anti-Covid. En l'espace de 48 heures, le fichier numérique nécessaire était déjà mis à disposition : 70 à 150 visières ont été fabriquées par jour. Plusieurs dizaines de visières peuvent être produites dans un même bac d'impression. Le processus dure 10 à 12 heures. À noter que des écouvillons ont également été fabriqués à l'aide de ce procédé", souligne Nicolas Aubert, directeur Impression 3D chez HP France.
La solution semble avoir une belle carte à jouer sur certains marchés de masse en quête de simplification dans l'outil de production et d'agilité lorsqu'il s'agit de fabriquer des petites et moyennes séries. "Par le biais de l'impression 3D, le caractère personnalisable est également possible à des coûts parfaitement maîtrisés. Nous développons ainsi une offre de produits adaptés à la morphologie du client. C'est ce que nous expérimentons actuellement via notre concept Décathlon DX", indique Julien Guillen, Leader Additive Manufacturing chez Decathlon. La personnalisation des produits, demandée par exemple par les constructeurs automobiles, suscite un grand intérêt. Nicolas Aubert cite l'exemple de la Mini (BMW), pour laquelle des parties latérales ont été conçues grâce à l'impression 3D (couleur souhaitée par le client...). "L'enjeu est, dans ces cas, la mise au point de solutions d'industrialisation permettant de ne pas augmenter le prix. Nous avons, par ailleurs, un partenariat avec Porsche pour développer des assises de sièges dotées d'un matériau souple, adaptable à la morphologie du client."
Le luxe et les marchés ayant un positionnement haut de gamme sont particulièrement demandeurs d'innovations et de personnalisations de ce type. D'autres domaines d'activités comme la lunetterie sont également amenés à évoluer rapidement en intégrant de nouvelles technologies par l'intermédiaire de la fabrication additive. "On observe un intérêt croissant pour l'impression 3D. Notre service en ligne croît chaque mois. Les éléments que les industriels conçoivent informatiquement peuvent très vite être traduits par un prototype physique pour avoir une vision concrète, y compris pour des pièces à géométrie complexe", remarque Laurent Bouchez, directeur du support des ventes chez RS Components, distributeur de fournitures industrielles et de composants électroniques.
Gains d'agilité
La Covid-19 aurait-elle permis de pointer du doigt un problème de fond en même temps que sa solution ? Alors que les tensions sur les supply chains d'innombrables secteurs ont souligné le manque de maîtrise et de connaissances à l'égard des fournisseurs, ainsi que l'inquiétante dépendance à l'égard d'acteurs lointains, l'impression 3D a fait connaître au plus grand nombre son potentiel de production dans un contexte d'imprévisibilité accrue, comme l'a attesté la nécessité de fournir rapidement des visières protectrices.
Dans certains secteurs, ce procédé de fabrication est en place depuis longtemps, comme dans le cas de Decathlon : "Nous l'utilisons pour couvrir des tâches de prototypage, mais aussi sur l'ensemble de la chaîne de valeur, notamment pour l'élaboration de pièces de service après-vente, tels que des poteaux de tennis de table, des bracelets de montre... En 2019, Decathlon a ainsi conduit 1 200 projets de prototypage, et conçu 60 000 pièces de service après-vente par ce biais. C'est un très bon moyen de s'adapter à la demande qui, dans ce domaine, est par définition difficile à prévoir", illustre Julien Guillen. Au fil du temps, l'intégration des mises à jour de produits ne modifie que le fichier numérique sur lequel l'impression est fondée.
Pour Laurent Bouchez, "l'intérêt est de pouvoir concevoir des pièces adaptées à ce que l'on veut réaliser, en matière de contraintes de formes, par exemple. Avec un procédé traditionnel, il faut se tourner vers un prestataire qui va fabriquer un moulage, ce qui suppose immédiatement des coûts additionnels". L'une des caractéristiques principales de RS Components est la capacité de livrer l'entreprise cliente en 24 à 48 heures sur tout le territoire français, sans limites minimales de quantités. "Il peut s'agir de cinq résistances envoyées dans un petit sac ou de volumes bien plus considérables", complète-t-il. L'impression 3D permet donc de réaliser des ajustements pour répondre à des demandes de différentes natures, en complémentarité avec d'autres processus industriels.
Lire la suite de l'article en page 2 : Accélérer le cycle décisionnel d'achat / Susciter la confiance / Un terrain favorable à un nouvel essor et, en page 3 : Une évolution lus qu'une révolution / En phase avec les développements RSE / Quand l'impression 3D bonifie les places de marché
Accélérer le cycle décisionnel d'achat
L'impression 3D s'intègre dans les options les plus pertinentes, selon les cas. Objectif : trouver la bonne solution, le bon procédé de fabrication dans les conditions et délais les mieux adaptés aux besoins d'un donneur d'ordre. "Il importe de pouvoir se tourner vers la fabrication additive quand la situation ou la demande le permet. C'est un complément. Lorsqu'une pièce faite classiquement par injection plastique coûte 10 centimes d'euros pour des millions d'unités produites, il est inutile d'envisager l'impression 3D. Mais les pièces de rechange, par exemple dans l'automobile, s'y prêtent bien", précise Alain Bernard. "Certes, le temps passé se situe au niveau de la conception d'ingénierie, sur le travail numérique. Mais n'oublions pas que la phase d'ingénierie aurait lieu de toute façon, avec d'autres manières de fonctionner."
Il peut aussi s'agir de la fabrication d'une pièce que le client industriel a des difficultés à trouver par ailleurs. "Cette solution est souvent plus rapide, car cela nous évite de passer des heures à chercher l'élément en question auprès d'innombrables fournisseurs, avec l'homologation nécessaire qui s'y rapporte. Nous proposons le prix immédiatement et assurons généralement une livraison au bout d'une semaine", ajoute Laurent Bouchez.
Susciter la confiance
Bon nombre d'industriels sont aujourd'hui convaincus de l'apport constructif de l'impression 3D. "Mais il faut également gagner la confiance des services achats et des autres acteurs impliqués dans les décisions. Les entreprises doivent inévitablement accepter une part d'inconnu pour se lancer véritablement dans cette évolution", estime Christophe Eschenbrenner, directeur commercial de l'activité Marketplace Enterprise, une place de marché ouverte qui propose des services de fabrication à la demande, au sein de Dassault Systèmes.
Pour Nicolas Aubert, au-delà de la notion de confiance, les entreprises veulent surtout "être aidées pour qualifier leur production, leurs produits, afin de voir concrètement comment peut s'effectuer cette transition pour intégrer davantage l'impression 3D dans la chaîne de valeur. Selon une de nos études de 2019, l'investissement conséquent et le manque de connaissance sont les deux freins au développement de l'impression 3D. C'est pourquoi nous avons mis en place une activité de conseil sur ce plan". La mutation et la démocratisation de ce mode de production passent aussi par des programmes de formation à proposer aux différentes structures, tels que les IUT, les écoles d'ingénieurs.
L'un des freins dans l'Hexagone semble aussi se situer au niveau du manque de coordination nationale sur le sujet : "La création d'un institut national sur la fabrication additive serait souhaitable. Les grands industriels, pris individuellement, ont des initiatives intéressantes, à l'image du groupe Air Liquide et de son projet FAIR, qui montre que la fabrication additive peut être pertinente pour les productions d'échangeurs réacteurs dans des conditions économiques et techniques viables, notamment pour des systèmes de chauffage. Les pouvoirs publics doivent accompagner les initiatives, contribuer à rapprocher les acteurs ayant des intérêts communs", explique Alain Bernard.
Un terrain favorable à un nouvel essor
À l'heure où la relocalisation d'activités et la réduction des circuits d'approvisionnement font débat, le marché de l'impression 3D s'ouvre à de belles perspectives. "Les cycles courts, la réduction des délais, l'intégration de l'innovation... Tous ces sujets plaident en sa faveur", assure Christophe Eschenbrenner.
Dans le secteur pharmaceutique, l'impression 3D n'est pas adaptée à la production en masse de paracétamol, par exemple. Mais la fabrication de médicaments de niche et de produits dans le cadre de projets de recherche pharmaceutique reste des domaines compatibles.
"Nous sommes face à d'importants développements sur des marchés de produits spécifiques, comme dans l'aéronautique où un équipement de pointe peut prendre plusieurs jours à être fabriqué, et sur des marchés de volumes, tels que celui des appareils dentaires", poursuit Christophe Eschenbrenner. "L'un des grands défis consiste à savoir comment faire évoluer son écosystème au sens large, en intégrant des sites de fabrication internes, ses fournisseurs préférés ayant des contrats spécifiques, des fournisseurs ponctuels auxquels recourir pour des achats ponctuels. Les services achats ont besoin de compléter leur référentiel de fournisseurs. Par l'intermédiaire d'une plateforme comme la nôtre, on peut facilement trouver un fournisseur parfaitement adapté à un besoin, dans un autre pays, en un temps donné."
L'impression 3D d'éléments métalliques constitue l'une des récentes innovations suscitant d'importantes attentes : "La finition est impressionnante, mais les coûts restent exorbitants. Pour obtenir une très haute précision, la fabrication reste très lente. Or, la rapidité peut être un critère déterminant, ce qui représente un facteur limitant pour ce type d'impression", relativise, de son côté, Franck Migeon, président de la société de sous-traitance de pièces en plastique INR.
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Une évolution plus qu'une révolution
Si les fournisseurs de ce marché savent répondre à des besoins extrêmement variés, à l'instar de l'offre de Sculpteo, dans le cadre d'achats externalisés, un travail important subsiste concernant la réorganisation interne nécessaire des donneur d'ordre pour faire de la fabrication additive un véritable levier d'amélioration. "Le vrai progrès consiste en une automatisation des chaînes avec des robots qui viennent traiter en aval des produits préalablement conçus en impression 3D, en y apportant des tâches additionnelles (ponçage, peinture...). La maturité sur ce plan reste faible", indique Christophe Eschenbrenner. "L'impression 3D n'est qu'un complément aux côtés d'autres procédés industriels. Il y a bien des cas où elle n'est pas du tout le meilleur choix."
Si ces atouts sont réels, il importe de ne pas considérer l'impression 3D comme la panacée. "Pour de très grands volumes, on imprime parfois les pièces en deux ou trois fois, ce qui peut être problématique, d'autant que le coût monte alors très vite. Par ailleurs, la précision reste moindre par rapport à l'usinage classique, même s'il est vrai que bon nombre de pièces ne nécessitent pas de très grande exigence sur ce plan", décrypte Franck Migeon.
Signe des limites évoquées de l'impression 3D : la société INR a, dans son escarcelle, plusieurs partenaires sous-traitants évoluant dans la fabrication additive. "Ils se tournent vers nous pour fabriquer, par exemple, 150 pièces à un prix plus acceptable", poursuit Frank Migeon. L'offre d'INR, positionnée sur la fabrication, met en oeuvre une technologie innovante par injection baptisée RIM (Reaction Injection Moulding) : il s'agit d'une alternative aux injections thermoplastiques traditionnelles qui impliquent l'élaboration coûteuse de moules pour former des pièces industrielles à grande échelle. Son avantage réside dans le coût unitaire bien plus faible d'un moule, ce qui permet la réalisation rentable de petites séries de quelques dizaines ou centaines de pièces, d'où l'intérêt porté par les acteurs de la fabrication additive.
Les polymères, polyamides, nylons ou résines sont les matières les plus u&tilisées dans l'impression 3D. "Même si la variété de matériaux utilisables est toujours plus vaste, on ne s'aventurera pas à imprimer une pièce sensible dans une matière potentiellement inappropriée. Les homologations de fiabilité et de sécurité sont, bien sûr, nécessaires lorsqu'il s'agit d'industrialiser un produit destiné au marché, et constitueraient vraisemblablement un obstacle dans bien des cas", souligne Laurent Bouchez. Frank Migeon invite, par ailleurs, les décideurs à se méfier de la communication des acteurs de l'impression 3D : "Ils disposent de moyens importants dans ce domaine et peuvent, de ce fait, induire les acheteurs en erreur." Il regrette, à ce titre, qu'au début de la crise de la Covid-19, "certains hôpitaux se [soient] rapidement tournés vers l'achat de solutions de fabrication de masques par impression 3D. Avec des procédés plus classiques, les besoins auraient pu être atteints rapidement avec des coûts bien moindres. C'était une erreur."
Focus - En phase avec les développements RSE
La fabrication additive permet d'éviter non seulement les coûts de stockage, de moule adapté, mais aussi les surconsommations de matières premières, inévitables dans le cas des productions classiques. "Le principe même de la fabrication additive, en opposition au mode de fabrication traditionnel dit "soustractif", consiste à optimiser les quantités de matières, quelles qu'elles soient. À cela s'ajoutent une réduction des circuits d'approvisionnement et une baisse des distances parcourues pour une même production. Celle-ci s'organise de façon bien plus locale", décrit Nicolas Aubert. Julien Guillen poursuit en précisant que "le fait de moins jeter le produit initial et de recourir davantage à la réparation constitue un autre aspect déterminant synonyme de diminution de l'empreinte carbone. Nous produisons des câbles, des dérailleurs pour les vélos par ce biais, en nombre restreint. Parfois, le recours à l'impression 3D peut paraître évident, mais il y a aussi un arbitrage à faire en tenant compte de la dépense énergétique qui s'y rattache." Le but est donc de remplacer une logistique physique existante par une logistique numérique, c'est-à-dire que seules les pièces au format numérique sont envoyées à l'endroit où elles seront fabriquées physiquement. "Les conséquences positives sur l'empreinte carbone sont évidentes : inutile de remplir des conteneurs, des avions-cargos avec des produits fabriqués sur un lieu et vendus ailleurs", résume Alain Bernard.
Focus - Quand l'impression 3D bonifie les places de marché
Avec sa place de marché ouverte proposant des services de fabrication additive à la demande, Dassault Systèmes se présente comme un symbole de l'accélération et d'une démocratisation progressive de l'impression 3D. L'offre invite les intéressés à télécharger leur objet 3D et propose une mise en relation avec un industriel associé capable de répondre à la demande en question. "Près de 250 fournisseurs ont déjà intégré la plateforme. Chez les professionnels, les demandes émanent autant d'ingénieurs de grands groupes que d'acteurs indépendants. Les prix pratiqués sont proposés en temps réel et notre rémunération a lieu uniquement si une transaction est conclue", explique Christophe Eschenbrenner.
Ce type d'offres permet de se rapprocher davantage de l'utilisateur final, avec un catalogue de produits disponibles sous 72 heures. La comparaison entre différents processus industriels et technologies pour un même produit est simplifiée. "On sait rapidement quelle méthode est préférable en fonction des délais nécessaires, des coûts, des implications énergétiques et des matériaux utilisés", ajoute Christophe Eschenbrenner.