Achats publics, cloud et souveraineté : un équilibre stratégique à construire
À mesure que les enjeux de souveraineté numérique prennent de l'ampleur en France et en Europe, les achats publics, en particulier dans le secteur IT et cloud, se trouvent à la croisée des chemins. Cyril Bertschy, Directeur Service public, Santé et Stratégie souveraine chez Adista, décrypte les dynamiques en cours et les mutations à l'oeuvre dans les centrales d'achats publics.

« On ne peut pas résoudre 50 ans de mauvais choix industriels du jour au lendemain », reconnaît Cyril Bertschy Directeur Service public, Santé et Stratégie souveraine chez Adista. Le virage vers des technologies françaises et européennes doit ainsi se faire par étapes : audit interne, échanges avec les éditeurs souverains, montée en compétences des équipes.
En outre, la souveraineté repose sur un triptyque indispensable : opérateurs, éditeurs... et clients. « Si les clients ne décident pas eux aussi de jouer le jeu, on restera dans un cercle vicieux : pas assez de clients, donc pas assez de moyens, donc pas assez de R&D. », ajoute Cyril Bertschy. Et pour être viable, l'offre souveraine doit aussi être compétitive. « À solution technique équivalente, il y a parfois 30 à 50 % d'écart avec un éditeur américain », rappelle-t-il. D'où la nécessité d'un effort collectif pour soutenir et structurer l'écosystème.
Des initiatives concrètes dans la santé et le secteur public
La prise de conscience progresse, notamment dans le monde de la santé. Entre autres, la région Bourgogne-Franche-Comté fait partie de ces exemples à citer autour d'un cloud souverain régional, destiné à être mutualisé entre collectivités. « On arrive sur des sujets concrets, avec une volonté politique et opérationnelle claire », souligne-t-il.
L'hétérogénéité du secteur public demeure un casse-tête. L'éventail des acheteurs concernés s'étend de la petite commune à l'administration centrale, avec des niveaux de maturité, de compétences et de ressources très variables. La transformation vers des outils souverains implique souvent une remise à plat des process, des outils, voire de la formation des équipes. Ressources, connaissance métiers et budgets demeurent donc des freins structurels.
Centrales d'achat : accélérateurs ou nouveaux freins ?
Les centrales d'achats ne sont qu'une partie de la réponse face à cette équation complexe. "Certaines peinent à s'adapter aux spécificités du numérique, d'autres multiplient les lots sans toujours coller aux besoins opérationnels. Une inflation de structures régionales et thématiques rend le paysage parfois difficile à lire pour les acheteurs", confie Cyril Bertschy. Conséquence, les bureaux d'études, qui accompagnaient historiquement la rédaction des appels d'offres, voient leur rôle évoluer. "Désormais, ils doivent aussi aider à naviguer dans l'offre pléthorique des centrales, à choisir le bon lot, la bonne centrale", continue l'expert. Un changement qui s'opère alors même qu'une mission d'inspection générale, commandée par Bercy, s'interroge sur l'efficacité réelle des centrales d'achat dans la gestion de la dépense publique.
Des recommandations pour les acheteurs publics
Quelle priorité pour construire une stratégie IT pertinente, notamment en matière de cloud ? Pour Cyril Bertschy, la priorité des priorités est de commencer par un état des lieux précis: « Si on n'a pas les bonnes fondations, on risque de dépenser mal, de recommencer deux ou trois fois, et de gaspiller de l'argent public. » Etape deux, définir des priorités opérationnelles qu'il s'agisse de cybersécurité, gestion des données, transformation cloud... "Mais sans vouloir tout faire à la fois. Si j'ai une faille béante de cybersécurité, peut-être qu'avant de migrer vers un cloud souverain, je dois déjà sécuriser l'existant", cite en exemple Cyril Bertschy.
Se faire accompagner est le dernier pilier de la démarche. "Les cabinets de conseil, les bureaux d'études peuvent jouer un rôle clé, à condition que les acheteurs puissent budgéter leur intervention. Une mutualisation des expertises et des formations serait également bénéfique. Il y a beaucoup d'organismes publics qui peuvent accompagner, mais ils doivent se coordonner et agir vite", insiste-t-il.
Le rôle clé de la formation et de la politique
Rester formé, malgré la rapidité des évolutions technologiques reste un autre défi majeur. « L'IA hier, la cybersécurité aujourd'hui, la souveraineté demain : tout va très vite dans un contexte où Les DSI se retrouvent souvent en tension entre pression politique, contraintes budgétaires, et réalité technique. analyse Cyril Bertschy. Un soutien renforcé de l'État, via une politique volontariste et des aides ciblées, notamment pour les petites structures publiques serait le bienvenu." Il importe également d'identifier le profil de la DSI. Si on tire le trait, on distingue deux type de DSI, des profils managers, à l'aise dans les enjeux stratégiques, et des profils plus techniciens, qui ont besoin de voir, tester, valider sur le terrain. Les deux approches doivent être accompagnées de manière adaptée, avec des outils concrets, des démonstrateurs, et une capacité d'évaluation rapide", précise Cyril Bertschy.
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