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Restauration collective: le bio s'impose à petites doses

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La volonté d'introduire du bio dans la restauration collective se heurte à la réalité d'un marché fournisseurs encore peu structuré. Toutefois, le secteur public s'oriente vers l'introduction régulière et ciblée de produits, avec une démarche achats favorisant les circuits courts de production, notamment locaux.

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@ SODEXO

L'objectif est ambitieux. Une circulaire signée par le Premier ministre François Fillon, le 19 décembre dernier, incite la restauration administrative de l'Etat «à utiliser régulièrement des plats ou des denrées issus de l'agriculture biologique». Il s'agira de proposer, d'ici 2010, 15% de produits bio dans les menus de restauration des ministères et 20% d'ici 2012. Cette dernière date correspond à l'échéance fixée lors du Grenelle de l'environnement pour le triplement de la surface agricole biologique en France (6% contre 2% aujourd'hui). Cette mesure vise à remédier au principal obstacle rencontré par les entités publiques: un marché fournisseurs peu structuré dont les volumes sont insuffisants pour répondre à la demande.

Pour parvenir à cet objectif, trois pistes principales sont avancées. D'abord, privilégier une introduction progressive et ciblée de quelques produits dans les menus, plutôt qu'une approche «événementielle» et ponctuelle de repas 100% biologiques. Ensuite, adapter la rédaction des appels d'offres. Cela passe, par exemple, par l'allotissement ou la mention de gammes de produits (fruits et légumes, laitages) plutôt que des intitulés précis (yaourts aux fruits, pommes...). L'intérêt? Ces techniques permettent de prendre en compte la réalité de l'agriculture biologique: une offre en lien avec la saisonnalité des produits, soumise à des difficultés de production ou de volumes plus fréquentes, contrairement à l'agriculture «conventionnelle». Enfin, mettre en place une politique volontariste de développement des filières biologiques, locales notamment, afin de développer des circuits courts de commercialisation et d'approvisionnement. L'ensemble de ces mesures permettra de réduire au maximum le surcoût des produits bio, engendré par des contraintes de production respectueuses de l'environnement et de la santé (lire notre encadré page 81).

Delphine Ducoeurjoly, Corabio

«Depuis 2006, les donneurs d'ordres introduisent régulièrement du bio dans leurs marchés.»

Une filière qui peine à se structurer

Premier constat: avec seulement 560 800 hectares de surface agricole utile (SAU) répondant aux critères du bio, l'offre reste faible en France et la filière peine à se structurer. «Aujourd'hui, ces produits représentent seulement 0,1 à 0,2% du marché de la restauration collective», estime Eric Grunewald, en charge de ces problématiques à la Fédération nationale de l'agriculture biologique (FNAB). Conscientes du problème, les collectivités modifient peu à peu leurs habitudes. «Depuis 2006, les donneurs d'ordres introduisent la notion de régularité dans leurs marchés», témoigne Delphine Ducoeurjoly, chargée de mission chez Corabio, un organisme qui fédère quatre associations départementales de promotion de l'agriculture biologique de la région Rhône-Alpes. Concrètement, la tendance est plutôt à l'introduction régulière et quotidienne de quelques produits (pain, fruits...) ou de repas 100% biologiques à échéances fixes (deux fois par semaine) afin d'offrir plus de visibilité. Effet Grenelle? «En tout cas, cela offre à la filière une chance réelle de s'organiser à tous les niveaux, indique Nicolas Bailleux, directeur du pôle recettes, menus et qualité chez le prestataire de restauration collective Sodexo. Aujourd'hui, des acteurs et distributeurs commencent à proposer du bio alors que, jusqu'à présent, celui-ci était plutôt l'apanage des fournisseurs locaux.» L'introduction progressive de denrées présente trois avantages, selon Delphine Ducoeurjoly (Corabio). La régularité des marchés permet aux entreprises et groupements agricoles de la filière biologique «d'organiser une véritable stratégie en amont et de se structurer», souligne-t-elle. De plus, l'introduction plus fréquente de repas ou aliments bio permet une plus grande sensibilisation du consommateur. «Enfin, le développement de relations dans la durée avec un fournisseur permettra de négocier de meilleurs tarifs», indique la chargée de mission chez Corabio.

Dans les faits, les collectivités s'appuient sur les réseaux associatifs ou professionnels - comme la FNAB et ses déclinaisons régionales et départementales, Corabio, Un plus Bio, A Pro Bio - pour accéder à ces marchés bio et référencer des fournisseurs. «Nous mettons à la disposition des collectivités des annuaires de fournisseurs locaux, répertoriés par départements et par types de produits», explique Delphine Ducoeurjoly (Corabio). L'association délivre également des conseils pour adapter la commande publique à la réalité du marché. Les appels d'offres globaux rencontrent, en effet, difficilement une réponse satisfaisante. Il y a quelques mois, une importante commune française a ainsi commandé 16000 cuisses de poulet biologique. Un volume difficilement atteignable pour un fournisseur unique en France. C'est finalement en Italie que la collectivité a acheté ses produits. Les exemples de ce type sont légion. «Dans la rédaction de leurs marchés, les acheteurs publics gardent les automatismes de volumes qu'ils appliquent aux produits de grande distribution, constate Eric Grunewald (FNAB). Or, ce type de rédaction n'est pas approprié au marché du bio, composé de fournisseurs qui, même regroupés, restent de taille modeste.» Autre écueil, les lots de bio sont groupés avec ceux concernant la nourriture conventionnelle. «Cela favorise les distributeurs classiques, qui commencent à développer une ojfre biologique pour répondre aux marchés, mais captent leurs gros volumes dans les pays étrangers, comme l'Italie ou l'Espagne. Ces pays ont davantage de surfaces agricoles bio que la France», note-t-il.

Plusieurs outils pour bâtir sa demande

Compte tenu des particularités de ce secteur, la commande publique dispose de plusieurs outils pour bâtir sa demande. Selon Vincent Heid, responsable des marchés publics à Chambéry Métropole, qui a travaillé sur ces questions, les marchés publics doivent être personnalisés au maximum. Plusieurs techniques sont envisageables. La collectivité qui a clairement ciblé ses besoins et les produits peut allotir en distinguant les lots bio des autres. «Il est également possible de spécifier la présence du label AB, qui fait foi en matière d agriculture biologique», commente-t-il. Si la collectivité n'a pas de vision définie de ses besoins, le marché à variantes, qui autorise les candidats à proposer des modifications des spécifications techniques, semble une bonne solution. «Ce marché peut s accompagner, par exemple, de demandes d'échantillons avant attribution, afin de vérifier la qualité réelle du produit et son adéquation avec le prix», conseille-t-il.

De la même manière, tout en respectant la liberté d'accès à la commande publique et l'égalité de traitement entre les candidats, il existe plusieurs moyens juridiques pour prendre en compte la proximité, sans nuire au principe de la mise en concurrence. Le premier consiste à allotir bioconventionnel, tout en créant des sous-lots dans la partie «bio». «Cet allôtissement peut être effectue par famille de produits pour permettre à des petits producteurs de répondre sur au moins une gamme de produits, comme le pain, les produits laitiers, etc.», indique Delphine Ducoeurjoly (Corabio). Autre méthode pour favoriser le débouché local: celle des seuils. Les marchés de moins de 4000 euros peuvent être passés en direct auprès d'un fournisseur, sous réserve que la nomenclature établie par la collectivité le permette. Toujours avec la méthode des seuils, il est également possible de constituer un marché spécifique pour produits bio, distinct du marché des denrées alimentaires «conventionnelles», de façon à rester à un seuil inférieur à 90 000 euros. «Les exigences de mise en publicité restreinte augmentent les chances des fournisseurs locaux», poursuit Delphine Ducoeurjoly. Pour les collectivités territoriales ou établissements scolaires qui gèrent en direct leur restauration, ces circuits locaux courts, encouragés par le Grenelle de l'environnement, aident parfois à obtenir des prix satisfaisants. «Le concept de proximité doit cependant être envisagé avec pragmatisme, avertit Nicolas Bailleux (Sodexo). Une approche strictement régionale interdirait par exemple aux écoliers du Sud-Est de manger du chou-fleur bio. Chaque entité doit s'interroger sur V échelle géographique la plus pertinente.»

Dans tous les cas de figure, plusieurs contraintes propres au bio doivent être intégrées par les donneurs d'ordres mais aussi par les clients finaux que sont les consommateurs. «Une offre bio suppose, par exemple, que les fruits et légumes proposés dans les restaurants collectifs soient en priorité ceux de saison», illustre Nicolas Bailleux. Des pommes à l'automne, des fraises au printemps et au début de l'été, etc.

Nicolas Bailleux, Sodexo

«Une offre bio suppose que les fruits et légumes proposés dans les restaurants collectifs soient en priorité ceux de saison.»

Régler la question du coût

Enfin, la question du prix reste majeure dans l'esprit des acheteurs publics. Qui prend en compte le surcoût du bio: la collectivité, le consommateur et/ou la société qui gère la restauration? En général, la collectivité prend en charge tout ou partie de la dépense nouvelle. C'est le cas de la ville de Lorient, qui a introduit deux repas biologiques par mois dans les cantines scolaires qu'elle gère en direct. Elle a absorbé le surcoût annuel de 112000 euros par an. Néanmoins, le rééchelonnement des tarifs proposés aux familles peut permettre la prise en charge partielle du surcoût par les foyers les plus aisés, conformément au principe de solidarité. Dans les restaurants fréquentés par les adultes, comme ceux de La Poste (lire notre encadré page 79), le surcoût est en partie supporté par le salarié, qui peut choisir, ou non, d'acheter les produits bio disponibles. Il semble impensable pour le moment de faire supporter le prix du bio au seul consommateur. «Si ce dernier supporte entièrement ce surcoût, il n adhérera pas», prévient Nicolas Bailleux. La démarche pédagogique et explicative des enjeux du bio, de la saisonnalité des produits, de leurs délais de péremption plus courts, prend toute son importance. Le changement pris en compte dans les achats impactera aussi les habitudes de consommation.

Didier Lamadon, responsable restauration et activités économiques, groupe La Poste

Didier Lamadon, responsable restauration et activités économiques, groupe La Poste

Témoignage

«Nous souhaitons intégrer 5% de produits bio cette année»


Depuis cette année, le groupe La Poste introduit progressivement du bio dans les menus de ses restaurants d'entreprise. «Nous souhaitons intégrer 5% de produits biologiques d'ici la fin de l'année, et porter ce volume à 20% à l'horizon 2012», indique Didier Lamadon, responsable restauration et activités économiques de l'entreprise publique. Au nombre de 184, ces restaurants sont gérés suivant deux modes: 62 sont administrés par des associations de personnel et 122 sont concédés. Pour les restaurants associatifs, la démarche consiste actuellement à référencer les fournisseurs spécialisés dans le bio. Après avoir notamment consulté la Fédération nationale de l'agriculture biologique (FNAB), Gérard Machault, responsable du pôle restauration, constate que «les gammes de produits biologiques existent mais sont encore peu nombreuses, le réseau de fournisseurs bio est en structuration». En conséquence, La Poste adopte une démarche pragmatique: «Dans notre cahier des charges, nous avons introduit un article sur le bio, mais celui-ci reste générique. Nous n'avons pas mentionné de type de produits. Cela nous permet de garder une certaine souplesse par rapport à l'offre et aux contraintes de saisonnalité ou de disponibilités des produits», explique Gérard Machault. Cette démarche pragmatique d'approvisionnement permettra également de limiter le surcoût dans les restaurants. «Les utilisateurs auront la liberté de choisir leurs produits. L'offre bio existera mais ils ne seront pas contraints de choisir ces produits», poursuit-il. Le pragmatisme prévaudra donc jusqu'en 2012, une date qui n'a pas été choisie au hasard. «Elle correspond à l'échéance fixée par le Grenelle de l'environnement pour l'émergence d'une véritable offre bio», rappelle Didier Lamadon.


L'entreprise publique
La Poste
CHIFFRE D'AFFAIRES 2006
20,1 milliards d'euros
MONTANT DES ACHATS
6,3 milliards d'euros

Expérience

Accompagnés par la région Rhône-Alpes, 20 lycées se mettent au bio


Depuis septembre 2006, des lycées volontaires de Rhône-Alpes proposent du bio à leurs élèves dans le cadre de l'opération «Bio dans les lycées». Dans chacun des 20 établissements sélectionnés depuis 2007, des menus 100% biologiques sont régulièrement proposés et des produits (pain, fruits, yaourts...) sont fréquemment introduits. «L'accent est progressivement mis sur le second aspect, ce qui permet de réguler davantage la demande en produits et de structurer la filière de fournisseurs», explique Véronique Wormser, directrice de la direction de l'agriculture et du développement rural au conseil régional. A terme, l'objectif est d'organiser des circuits d'approvisionnements locaux afin de limiter le surcoût. Un objectif réaliste pour la région Rhône-Alpes, première productrice de bio, avec 8,4% des exploitations situées sur son territoire. L'opération a été initiée par le conseil régional, qui soutient financièrement les établissements, notamment par la prise en charge d'une partie du surcoût. Un repas bio coûte 3,40 euros contre 2,50 euros pour un menu «conventionnel». «Nous finançons 0,80 euro par repas, dans la limite de six repas par an», explique Véronique Wormser. En 2007-2008, le montant total des aides régionales prévues s'élève à 300000 euros.
Pour la formation des équipes des lycées et la démarche pédagogique, autres aspects fondamentaux du projet, la région s'appuie notamment sur Corabio, un organisme qui fédère quatre associations départementales de promotion de l'agriculture biologique, mais aussi sur les Groupements d'agriculteurs biologiques (GAB) et Un Plus Bio, association en charge de favoriser les approvisionnements en produits bio. «Ces partenaires s'occupent du recensement des fournisseurs, délivrent les conseils techniques aux établissements scolaires et les mettent en relation avec les producteurs, détaille Véronique Wormser. L'opération devrait permettre aux lycées de devenir autonomes pour leur approvisionnement et leur gestion du bio dans trois ans.» En parallèle, la région inscrit ce volontarisme sur le plan de sa politique agricole. Chaque année, environ deux millions d'euros sont consacrés à l'agriculture biologique: aides à la prise en charge de la certification des agriculteurs, à la conversion, contrat de filière, appel à projets pour les filières bio, etc. Aujourd'hui, les repas en milieu scolaire représentent à eux seuls 80% de la restauration collective bio.


La collectivité
Région Rhône-Alpes
BUDGET PREVISIONNEL'2008
2,3 milliards d'euros
BUDGET CONSACRE AU FINANCEMENT DE L'OPERATION BIO DANS 20 LYCEES
300 000 euros (2007-2008)

Le bio : définition

L'agriculture biologique est un mode de production basé sur la non-utilisation de produits chimiques de synthèse, le recyclage des matières organiques et la rotation des cultures. L'élevage, de type extensif, fait appel aux médecines douces et veille à respecter le bien-être des animaux. Un produit biologique transformé doit, pour être étiqueté comme tel, contenir au minimum 95% d'ingrédients d'origine biologique. En France, la reconnaissance officielle est matérialisée par le logo AB, qui est une marque collective gérée par le ministère de l'Agriculture et de la Pêche.

 
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Florent MAILLET

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