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Rédiger ses marchés en toute sécurité

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De plus en plus de collectivités se dotent d'un logiciel d'aide à la rédaction des marchés. Un outil qu'elles utilisent surtout pour les marchés simples et répétitifs, souvent attaqués en justice par les entreprises.

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Sécurisation juridique, homogénéisation des contrats et automatisation des tâches répétitives à faible valeur ajoutée. Ces trois principaux critères motivent l'achat d'un logiciel d'aide à la rédaction des marchés publics. Lequel permet, à partir d'une série de questions-réponses ou de formulaires à remplir (objet du marché, montant estimé, etc.), de générer automatiquement les clauses et d'assurer l'homogénéité des mentions dans l'ensemble des documents. La croissance du marché du logiciel d'aide à la rédaction est principalement portée par la demande. De nombreux marchés publics sont actuellement lancés ou en cours de rédaction. Selon les estimations des éditeurs, environ 200 collectivités se seraient équipées l'an dernier. Et pas seulement les plus «grandes». «Le besoin de thésauriser l'information est important en matière de contrats publics, analyse Alexandre Sidommo, directeur général de l'éditeur DoubleTrade. Les grandes communes ont les moyens de le faire, ce qui n'est pas le cas des petites mairies. Certaines se retrouvent démunies quand leur spécialiste en marché public part à la retraite.» Ce mois d'octobre est aussi celui de la nouveauté: la Ville de Paris déploie son propre logiciel sur une base open source, sans coût de licence et à code source ouvert, avec un nouvel acteur, Atexo. Une première. Le marché fournisseurs était jusqu'à présent composé d'éditeurs «classiques» avec des solutions propriétaires. L'exemple parisien va être scruté par de nombreuses collectivités, qui pourraient en tirer profit (lire l'encadré page 78).

@ FOTOLIA/ DOMINIQUE SZATROWSKI/LD

Réduire l'insécurité juridique

De l'avis général, les collectivités s'équipent en priorité d'un logiciel d'aide à la rédaction - jugé globalement «peu cher» - afin de sécuriser leurs contrats. «Les acheteurs éprouvent ce besoin en raison de l'instabilité juridique présente depuis une dizaine d'années, analyse Alexandre Sidommo. Celle-ci s'accompagne d'une inflation de normes et de la jurisprudence, notamment européennes.» Les contrats publics sont également la cible d'une hausse des recours, notamment précontractuels, de la part des entreprises. Selon Trace Solutions, adopter un tel logiciel permet à son utilisateur d'être certain de produire un marché public conforme à la réglementation. «Ces solutions apportent la sécurité juridique, assure-t-on chez l'éditeur. Quand tout est saisi manuellement sous Word, les risques de coquille existent, notamment en pratiquant le copier-coller. L'exemple basique est de se retrouver avec un appel d'offres ouvert dans le règlement de consultation et de mentionner une autre procédure dans l'acte d'engagement.» Le tout entraînant la nullité de l'acte.

Avec leurs logiciels, les éditeurs proposent un double service. Le premier consiste en une veille juridique sur l'actualité réglementaire ou jurisprudentielle. Le second est la remise à jour des clausiers. L'opération s'effectue soit directement sur le serveur web, soit par la collectivité sur la base des éléments fournis par l'éditeur, qui peuvent être proposés sous forme d'un CD-Rom ou d'un téléchargement. Les acheteurs publics s'en remettent donc en partie aux éditeurs pour garantir la fiabilité juridique des marchés. La principale valeur ajoutée de cet outil repose sur la stricte conformité juridique des informations de l'éditeur et une mise à jour efficace. Chaque société affiche ses compétences. «Nous avons une équipe de 14 juristes à plein temps, annonce Christophe Gardent, directeur opérationnel d'Agysoft. Tous ont travaillé dans des collectivités avant de nous rejoindre.» Il annonce «deux à trois mises à jour par mois, le tout dans les 72 heures». De son côté, DoubleTrade a embauché un ancien acheteur des Hôpitaux de Paris. «Nous effectuons un important travail d'anticipation de l'actualité, explique Alexandre Sidommo. Nous nous tenons au courant des réformes à venir au sein des groupes de travail de l'Observatoire économique de l'achat public (OEAP) ou de l'Association pour la dématérialisation de l'achat public (Adap), dont nous faisons partie.» Quant à Trace Solutions, la société a noué un partenariat avec la faculté de droit d'Aix-en-Provence. Chez SIS (15 juristes), le suivi se fait également au travers des réunions du «club utilisateurs». Une réunion annuelle qui a pour but «de sonder les clients sur leur utilisation de l'outil», selon Valérie Guilbert, en charge des marchés publics. Mais c'est également l'occasion de tenir informés les clients des réformes à venir. «Nous recueillons notamment des informations auprès de la Direction des affaires juridiques du ministère de l'Economie et des Finances», explique Valérie Guilbert. Dans tous les cas, la veille réglementaire et le tempo des mises à jour font l'objet d'un engagement contractuel et ce, quel que soit le type de réformes, même un changement de code des marchés publics, comme cela fut le cas en 2006. Certains éditeurs proposent aussi une hot line.

Simplifier la rédaction

Dans un second temps, les personnes publiques cherchent à homogénéiser leurs contrats grâce à l'outil d'aide à la rédaction. Chaque direction fonctionnelle a en effet ses habitudes de rédaction. A Bourges, ce logiciel constitue l'un des lots d'un appel d'offres pour l'acquisition d'un support d'exécution financière, avec lequel il sera interfacé. Le besoin porte davantage sur l'homogénéisation de la rédaction des contrats que sur la sécurisation juridique. «Nous rencontrons peu de problèmes sur ce plan-là», explique Corinne Bouzillé, responsable du département achats - marchés entreprises. Actuellement, son service rédige les marchés manuellement, sous format Word, à partir de trames obligatoires. «Il est évident que ce type de logiciel évitera de rédiger à la main des clauses répétitives qui sont sources d'erreurs sur la forme.» Pour elle, les avantages premiers seront «d'uniformiser la rédaction de nos marchés et d'en simplifier la saisie». Au conseil régional d'Aquitaine, qui utilise un logiciel depuis 2001, l'objectif était également de simplifier le travail des entreprises qui consultaient les marchés. «Un type de rédaction uniforme facilite la lecture et la bonne compréhension du besoin», observe la directrice de la commande publique, Gwenn Brezel.

Enfin, Un tel logiciel aide à optimiser le travail de l'acheteur, à gagner du temps grâce à l'automatisation. «La procédure, quasi automatique, permet de réaffecter du temps sur les procédures nécessitant une réelle expertise juridique, décrypte Valérie Guilbert (SIS). 80% des marchés passés par les collectivités sont des marchés courants de fournitures et de services ou de travaux.» Selon Christophe Gardent (Agysoft), «la pratique montre que ce type de logiciel n'est pas utilisé pour les procédures complexes comme les partenariats public-privé, les délégations de service public ou les enchères inversées.» Délestés des contrats répétitifs, les spécialistes des marchés publics pourraient donc concentrer leur valeur ajoutée sur les autres types de marché. Laurent Malhomme, directeur associé d'Atexo, renchérit: «Un outil fortement automatisé peut traiter les cas de marchés simples dans leur rédaction, comme les marchés de renouvellement de travaux de voirie, les marchés de transport urbain , etc. Il ne servirait à rien de paramétrer l'application pour un contrat complexe d'une durée de trente ans qui est unique.»

Christophe Gardent, Agysoft

«Les logiciels d'aide à la rédaction ne sont pas utilisés pour les marchés complexes. »

Full web ou client serveur?

Sur le fond, l'outil soulève finalement peu de questions chez les acheteurs. Les interrogations sont plutôt d'ordre pratique. Juriste à l'Inserm, Caroline Richet travaille sur un marché pour doter l'établissement public d'un tel logiciel. Elle regrette que «la plupart des solutions proposées soient en client serveur [données accessibles à partir du seul poste client, NDLR] et rarement en full web qui fonctionne à partir d'un simple navigateur web et donc accessible à partir de tout poste de travail, NDLR» . Des migrations vers le full web seraient à l'ordre du jour chez la plupart des éditeurs proposant encore des solutions en client serveur. Mais cela dépend aussi des besoins de l'acheteur et de l'utilisation qu'il souhaite faire du logiciel.

De son côté, Corinne Bouzillé (Bourges) ne considère pas ce logiciel comme une solution miracle. Lors d'un premier appel d'offres infructueux, elle avait eu l'occasion de tester les outils de deux candidats et émet «des doutes sur leur capacité à prendre en compte toute notre nomenclature». Les acheteurs se posent d'ailleurs cette question légitime: l'outil est-il interopérable avec l'existant, par exemple une plateforme de dématérialisation? Il n'existe pas de réponse globale. Contrairement aux plateformes de dématérialisation, pour lesquelles un «référentiel général d'interopérabilité», reposant sur le XML, a été défini, «il n'existe pas de référentiel semblable pour les outils d'aide à la rédaction», explique Pascal Cazabat, secrétaire général de l'Association pour la dématérialisation de l'achat public (Adap). Cependant, les exemples de collectivités faisant cohabiter plusieurs solutions de générations et d'éditeurs différents sont nombreux. Tout est donc envisageable. De plus, l'offre évolue. «Nous développons une politique d'interface avec les logiciels de gestion financière, les plateformes de dématérialisation ou les parapheurs électroniques», illustre Christophe Gardent (Agysoft).

La question du format est loin d'être anodine. Une fois intégré dans l'outil, un document sous Word reste modifiable. Or, une resaisie ou un ajout risquent d'entraîner une coquille. Une précaution qui échappe à certains administrateurs des logiciels dans les collectivités. D'où le développement, encore timide, de formats qui empêchent toute resaisie, sauf autorisation accordée par l'administrateur. Cependant, toutes les sécurités du monde ne doivent pas faire oublier que, quoi qu'il arrive, la collectivité reste seule responsable de son marché.

Gwenn Brezel, directrice de la commande publique de la région Aquitaine

Gwenn Brezel, directrice de la commande publique de la région Aquitaine

Témoignage

«Le nombre d'erreurs juridiques a été réduit»


Dès 1999, le conseil régional d'Aquitaine a souhaité adopter un logiciel d'aide à la rédaction des marchés publics. «Les agents du service des marchés publics passaient leur temps à produire des actes de manière répétitive, avec les risques d'erreurs que cela comporte», explique la directrice de la commande publique, Gwenn Brezel. L'objectif était notamment, pour les marchés simples, de rendre les directions opérationnelles autonomes, sans qu'elles aient besoin d'experts des marchés publics. En 2001, la collectivité s'est dotée du logiciel d'aide à la rédaction Marco, édité par Agysoft. La direction de la commande publique impose d'utiliser ce logiciel pour tout marché supérieur à 4 000 Euros HT. «Nous cherchions avant tout à sécuriser juridiquement ces contrats», explique Gwenn Brezel. Les clausiers sont fournis par le prestataire et garantissent la conformité des marchés rédigés aux prescriptions réglementaires. Pour sélectionner le prestataire, la Région avait insisté sur la qualité de la maintenance technique et réglementaire. «Le timing des alertes est efficace», assure Gwenn Brezel. Aujourd'hui, le bilan est positif. «Le coût nous a semblé acceptable et les gains sont au rendez-vous», résume-t-elle. Outre la sécurisation, le logiciel a fait gagner du temps aux agents du service des marchés publics, et les postes de pure exécution ont été requalifiés en postes de gestion. La limite de ces logiciels se rencontre dans la rédaction des marchés publics complexes. C'est le cas des marchés à bons de commandes exprimés en quantité. L'adoption de ce logiciel s'inscrit dans un projet d'informatisation global de la commande publique, avec l'acquisition, en 2004, d'un logiciel de dématérialisation des marchés et de gestion en ligne des dossiers de consultation des entreprises, puis d'un autre pour référencer et centraliser l'information relative à l'ensemble des achats et marchés. La dernière étape s'est déroulée en 2006 avec la finalisation du processus à travers la dématérialisation des travaux et rapports de la Commission d'appel d'offres (CAO). Les procès-verbaux sont rédigés en ligne en séance, et les élus siégeant en CAO sont désormais équipés d'un ordinateur portable pour visionner les dossiers. Le papier a été complètement supprimé.
Conseil régional d'Aquitaine
BUDGET 2008
1,1 milliard d'euros
EFFECTIF
700 agents et 1 200 TOS (techniciens ouvriers et de services)

Expérience

Paris développe son propre logiciel sur une base open source


C'est un logiciel d'élaboration et de passation des marchés publics inédit que Paris a déployé, début octobre, pour ses 7 000 marchés publics. La collectivité est la seule, en France, à s'être dotée d'un outil sur-mesure et sur une base open source (sans coût de licence). Il a été développé par la société Atexo, qui avait remporté le marché en 2007, au terme d'un dialogue compétitif. Outre la rédaction des marchés, le logiciel permet le suivi de la procédure (publicité, dépouillement des plis...), la programmation des instances (CAO) et la consultation d'une base documentaire. Baptisé «EPM» (Elaboration et passation des marchés), cet outil marque une étape dans la réorganisation et la rationalisation des achats, entamée en 2001, pour sécuriser et recentraliser les marchés. Quatre grandes directions regroupent désormais la majorité des marchés de fournitures courantes, de services et de travaux. Elles agissent pour l'ensemble des services municipaux.


Consultation des utilisateurs
La réflexion sur EPM avait débuté en 2005, date de la loi imposant la dématérialisation. «Plutôt que d'envisager seulement la dématérialisation, la Ville a lancé l'informatisation de l'ensemble des services: la comptabilité, la gestion des opérations de travaux publics et donc les achats», relate Pierre-Eric Spitz, le directeur des affaires juridiques de la Ville. EPM devrait «permettre de gérer le flux d'informations nécessaire pour concevoir tous les types de marchés et même les délégations de service public», indique Xavier Libert, directeur adjoint des affaires juridiques, en charge de la sous-direction des marchés publics. «Nous avons donc consulté l'ensemble des 1 000 acheteurs, à qui nous avons également demandé de spécifier les fonctionnalités qu'ils en attendaient.» La demande récurrente était que le logiciel offre un suivi des marchés, mais pas seulement pour la direction qui pilote la commande. «Les futurs bénéficiaires des marchés doivent aussi savoir à tout moment dans quelle phase se trouve la procédure et connaître la date de réception de leur commande», note Xavier Libert. Une fois le besoin défini, la direction des affaires juridiques a sondé l'offre des éditeurs et benchmarké les entités publiques. «Rien de ce qui existait ne convenait pour une collectivité de notre taille», observe Pierre-Eric Spitz. Avec une dizaine de juristes spécialisés de la Ville, les outils de veille juridique et réglementaire des éditeurs allaient au-delà des besoins. D'où l'idée d'un logiciel spécifique.


PDF plutôt que Word
Désormais opérationnel, EPM était très attendu. «A partir du moment où nous avions professionnalisé nos achats, la suite logique était de les sécuriser juridiquement et d'assurer leur efficacité économique, ce qui passe aussi par le choix de la bonne procédure», résume Pierre-Eric Spitz. Il permet la rédaction complète du marché, grâce à des modules successifs qui génèrent les pièces, après la saisie des caractéristiques du marché (objet, montant estimé, nombre de lots, type de tranche...). Le document final est au format PDF. Un point essentiel aux yeux de la direction des affaires juridiques: «Contrairement à un document Word, le PDF n'est pasmodifiable par l'utilisateur. Tout risque d'erreur est ainsi évité.» La direction administre le système, produit elle-même canevas et clausiers et assure la veille juridique et réglementaire. Des comités éditoriaux réguliers, associant les directions des marchés, vérifieront la cohérence des mises à jour. Le marché transitera ensuite via la plateforme de dématérialisation, opérationnelle depuis 2005. Aujourd'hui, la dématérialisation est quasi complète. Dernière étape: le contrôle de légalité. «Quand l'Etat sera prêt, nous le serons déjà de notre côté», annonce Pierre-Eric Spitz. L'expérience parisienne pourrait en outre bénéficier aux collectivités intéressées, grâce à l'open source. La délibération est prête, reste à l'inscrire à l'ordre du jour. Un site internet dédié à EPM sera alors mis en ligne.

 
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Florent Maillet

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