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Le secteur adapté s'impose timidement

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Pour les entreprises, le recours aux secteurs adapté et protégé permet de remplir une partie de leur obligation légale concernant l'emploi des travailleurs handicapés. Une solution peu utilisée par les donneurs d'ordres alors que les possibilités sont nombreuses dans les services généraux.

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Près de 12 945 euros «par unité bénéficiaire manquante» dès 2010, contre 5 178 euros maximum aujourd'hui. Tel est le montant de la contribution que toute entreprise de plus de 20 salariés n'ayant pas engagé d'actions en faveur de l'emploi de travailleurs handicapés devra verser à l'Association de gestion du fonds pour l'insertion des personnes handicapées (Agefiph). En effet, la loi du 11 février 2005 impose à ces entreprises d'employer au moins 6% de travailleurs handicapés. Dans les faits, seuls 45% d'entre elles répondent à cette obligation légale selon l'Agefiph. Pour contraindre les plus récalcitrantes à recruter des personnes handicapées, cette loi a prévu de passer la contribution versée à l'Agefiph de 400 à 1 500 fois le Smic horaire par travailleur handicapé manquant si aucune mesure n'est prise en ce sens d'ici à la fin 2009. «Il ne faut pas se leurrer, prévient Christophe Cornet, responsable technique au sein de l'Etablissement et service d'aide par le travail (Esat) Le Bercail. Pour de nombreuses entreprises, il est quasiment impossible de recruter 6% de personnes handicapées.»

Christophe Cornet, Esat Le Bercail

«Pour un grand nombre d'entreprises, il est quasiment impossible de recruter 6 % personnes handicapées.»

L'Esat Les Pierres Fauves, à Vitrolles (Bouches-du-Rhône), propose aux entreprises d'entretenir leurs espaces verts.

L'Esat Les Pierres Fauves, à Vitrolles (Bouches-du-Rhône), propose aux entreprises d'entretenir leurs espaces verts.

Une alternative au recrutement

Pourtant, il existe une alternative au recrutement, en sous-traitant certaines prestations à des entreprises du secteur adapté ou protégé. Si elle ne se substitue pas totalement à l'embauche directe de salariés handicapés, la solution permet de satisfaire jusqu'à 50% de l'obligation d'emploi. Ainsi, une entreprise qui ne recrute aucun salarié handicapé mais justifierait d'un contrat de fourniture, de sous-traitance ou de prestation de services avec un Esat ou une entreprise adaptée (EA) peut réduire jusqu'à 50% sa contribution annuelle à l'Agefiph. Or, seuls 20% des donneurs d'ordres choisissent cette alternative. Selon le réseau Gesat, le chiffre d'affaires réalisé par les entreprises des secteurs adapté et protégé est actuellement de 1,2 milliard d'euros par an alors que le potentiel de ce marché serait de 5,4 milliards.«Un vrai paradoxe», regrette Patrick Clémendot, secrétaire général du réseau Gesat.

La méconnaissance des secteurs adapté et protégé explique en partie cette situation. De nombreux donneurs d'ordres ne font d'ailleurs pas la différence entre les types d'établissements. Anciennement appelées «centres d'aide par le travail» (CAT), les Esat permettent à des personnes lourdement handicapées d'exercer une activité professionnelle dans des conditions de travail aménagées. Ces établissements médico-sociaux relèvent du milieu protégé. De leur côté, les EA sont des sociétés employant au moins 80% de travailleurs handicapés dans les postes de production. Elles composent le secteur adapté. Avant la loi de 2005, on parlait «d'ateliers protégés». Certaines EA, appelées centres de distribution de travail à domicile (CDTD), emploient des salariés ne pouvant se déplacer. En France, il existe plus de 2 000 établissements de type Esat ou EA qui emploient près de 135 000 handicapés. Un certain nombre d'entre eux se sont spécialisés dans les prestations de services généraux: entretien des espaces verts, gestion du courrier, etc.

Quelques grands groupes recourent fréquemment à ces deux types d'établissements pour leurs achats généraux. Ainsi, le 25 février dernier, la direction générale et les principales organisations syndicales d'EDF ont signé le huitième accord d'entreprise sur l'intégration professionnelle des personnes handicapées depuis 1990, qui prévoit un certain volume d'achats auprès des secteurs adapté et protégé. Pour la période 2009-2012, EDF consacrera 6 millions d'euros par an à l'achat de prestations et de fournitures diverses. De son côté, le groupe La Poste a indiqué, en novembre dernier, son intention d'effectuer 1,5% de ses achats de fonctionnement, soit 10 millions d'euros, auprès des secteurs adapté et protégé. D'autres grandes entreprises peuvent être citées: Groupe Banque Populaire, Air France, la SNCF, etc.

Alain Chatenet, Cdaf

«Nous souhaitons aider les acheteurs à mettre en place des démarches d'achats solidaires.»

Mettre en place des démarches d'achats solidaires

Même si beaucoup de directions achats ont franchi le pas, les mises en relation entre donneurs d'ordres et prestataires des secteurs adapté et protégé semblent connaître des difficultés. Des structures se sont pourtant mises en place, à l'image du réseau Gesat. «Notre vocation est de faire se rencontrer l'offre et la demande», rappelle Patrick Clémendot. Un site internet (www.reseau-gesat.com) permet ainsi aux acheteurs dans les entreprises et les collectivités territoriales de diffuser leurs appels d'offres ou de faire des appels à projet, par zone géographique et par activité. Dans ce dernier cas, le réseau Gesat met en place des «filières métier» qui mettent en commun le savoir-faire de plusieurs Esat dans un secteur d'activité donné afin de répondre aux besoins de grands donneurs d'ordres à l'échelon national. Il existe actuellement six «filières métier» dont cinq concernent les services généraux au sens large: fournitures de bureau, plateaux-repas, travaux de blanchisserie, d'imprimerie, traitement des déchets électriques et électroniques.

De leur côté, les donneurs d'ordres s'organisent aussi. Sous l'égide de la Compagnie des dirigeants et des acheteurs de France (Cdaf), plusieurs grands comptes (Groupe Caisse d'Epargne, Bouygues Telecom, Saint-Gobain, etc.) ont créé l'an dernier une association baptisée Pas@pas. «Cette association aide ses membres à mettre en place des démarches d'achats solidaires, explique Alain Chatenet, responsable achats et développement durable au sein de la Cdaf. Les signataires en profitent aussi pour mutualiser leurs bonnes pratiques dans ce domaine.» Un site internet doit être mis en ligne d'ici à l'été. Il proposera notamment un annuaire des entreprises du secteur protégé et des entreprises d'insertion. «Nous envisageons d'en faire un lieu d'échanges entre les acheteurs et les responsables de ces structures», ajoute Alain Chatenet.

Des prestataires presque comme les autres

Si un important travail de pédagogie a été réalisé depuis quelques années, certains acheteurs ont encore des craintes vis-à-vis des secteurs adapté et protégé. Ces doutes ne concernent pas les coûts des prestations. Les directions achats sont prêtes à payer plus cher ce service alors que de nombreuses entreprises du secteur adapté pratiquent les prix du marché. De plus, en raisonnant en coût complet, le recours à un Esat peut se révéler gagnant.

En revanche, la qualité des prestations délivrées reste un point sensible. Dans les faits, il n'existe a priori aucune différence avec des fournisseurs traditionnels. «Le savoir-faire des Esat et des EA est réel, témoigne une acheteuse d'EDF. Leurs dirigeants sont souvent issus de l'économie «ordinaire», avec des notions de productivité et de développement, si bien qu'ils s'organisent comme n'importe quelle entreprise.» Des propos que nuance Carole Fouques, responsable de l'Esat Le Castel: «Nous ne pouvons être aussi réactifs qu'une entreprise privée: c'est une donnée que les acheteurs doivent prendre en compte, notamment lors des appels d'offres.» Sur ce point, Patrick Clémendot (Gesat) conseille d'associer la direction des ressources humaines au projet. «Si l'acheteur rédige le cahier des charges et vérifie que les besoins des clients internes sont satisfaits, les RH garantissent que les objectifs RSE [responsabilité sociétale des entreprises, NDLR] sont remplis», précise-t-il. Le déroulé de la prestation suscite aussi des craintes. Impossible, en effet, d'accueillir des travailleurs handicapés sans avoir préparé le terrain. Un responsable de l'Esat doit rencontrer les salariés et suivre les premiers pas du personnel pour que leur intégration se passe bien. «L'accueil d'une personne handicapée dans un service enrichit les relations entre les salariés et ne fait pas baisser la motivation des collaborateurs. Bien au contraire», conclut Patrick Clémendot.

Expérience
Alstom Transport encourage le recours au secteur adapté

Pour Carlos Ferreira, responsable des achats indirects d'Alstom Transport sur le site de La Rochelle (Charente-Maritime), les entreprises du secteur adapté ne se distinguent pas de ses autres fournisseurs de l'entreprise. «Nous ne faisons aucune concession sur la qualité de service», assure-t-il. Le recours à des Esat est fréquent. Le nombre de prestataires est très important dans la région. «Nous n'avons aucun mal à trouver à proximité les compétences que nous recherchons», souligne le responsable des achats indirects.
Cet exemple n'est pas rare au sein du groupe. En 2006, un accord d'établissement, applicable à l'ensemble des sites de l'entreprise, a été signé par la direction générale et les partenaires sociaux pour promouvoir le recrutement et la formation des salariés handicapés, ainsi que le recours à des travailleurs du secteur protégé. «Il ne s'agissait pas de se mettre en conformité avec la loi de 2005. Nous souhaitions surtout être en parfaite cohérence avec les valeurs que nous affichons», insiste Béatrice Delahaye, chargée de mission handicap chez Alstom Transport.


Alstom Transport
activité
Produits, services et systèmes pour le transport ferroviaire
chiffre d'affaires 2008
5,3 milliards d'euros
effectif
26 000 salariés

Samy Gammar, responsable des achats informatiques, télécom et réseaux, Bouygues Construction

Samy Gammar, responsable des achats informatiques, télécom et réseaux, Bouygues Construction

Témoignage
«Nous ne transigeons jamais sur le niveau de qualité»

Nettoyage des locaux, entretien des espaces verts, confection de plateaux- repas, collecte des déchets, câblage, impression et conditionnement, etc. Les entités opérationnelles de Bouygues Construction confient régulièrement des prestations à des entreprises du secteur adapté. La démarche n'est pas nouvelle pour le spécialiste du BTP, mais elle a été renforcée depuis l'adoption, en 2005, de la nouvelle réglementation sur l'emploi des travailleurs handicapés. «Auparavant, nous avions recours à des entreprises du secteur adapté au coup par coup», témoigne Samy Gammar, responsable des achats informatiques, télécom et réseaux.
Pour répondre à la nouvelle législation, les achats et les ressources humaines se sont installés autour de la même table. «Nous avons mis en oeuvre une démarche plus structurée et formalisée s'appliquant à tous nos sites», explique Valérie Ferrand, directrice adjointe ressources humaines et diversité. Chaque structure locale a été invitée à identifier, parmi les entreprises du secteur protégé proches géographiquement, celles susceptibles de répondre à leurs besoins. Cependant, les critères de sélection des prestataires sont restés les mêmes. «Nous pouvons être amenés à payer plus cher une prestation en passant par un Esat et proposer un accompagnement adapté des personnes en poste, mais nous ne transigerons jamais sur le niveau de qualité, précise Samy Gammar. Il en va de notre crédibilité vis-à-vis de nos clients internes.»


Bouygues Construction
activité
Bâtiments et travaux publics
chiffre d'affaires 2008
9,5 milliards d'euros
effectif
53 700 salariés

 
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Annette Debéda, Véronique Méot

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