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Le marché du courrier se prépare à la concurrence totale

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Le 1er janvier 2011, il ne sera plus obligatoire de passer par La Poste pour expédier l'intégralité de son courrier, en France comme à l'étranger. Comment les acteurs du marché anticipent-ils l'échéance? Quelles en seront les répercussions?

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@ FOTOLIA/ BENOITPHOTO

La boîte postale, l'uniforme jaune et bleu des postiers venant collecter le courrier en entreprise, voire le timbre à l'effigie de Marianne... Ces symboles ne seront-ils prochainement qu'un lointain souvenir? Peu probable, même si, c'est officiel, la libéralisation totale du courrier interviendra en 2011. Après les télécoms et l'électricité, un nouveau marché verra ainsi l'opérateur public affronter des concurrents privés. La fin du monopole de La Poste s'est organisée progressivement: le courrier international s'est ouvert à la concurrence en 2003 et le courrier domestique a été autorisé aux opérateurs alternatifs graduellement, par palier de poids. Actuellement, La Poste garde le monopole sur le courrier franco-français de moins de 50 g, ce qui représente, selon l'Autorité de régulation des communications électroniques et des Postes (Arcep), près de 83,5% des envois en France. Il s'agit de son dernier bastion, qu'elle devra abandonner dans trois ans. Enjeu: un marché colossal au chiffre d'affaires de 8,4 milliards d'euros où les entreprises représentent 81% des correspondances.

Jean-Sébastien Leridon, DHL Global Mail

«Nous adopterons notre stratégie en fonction des opportunités du moment.»

Des alternatives locales

Les concurrents potentiels de la Poste ne sont pas indifférents aux promesses du marché. L'Arcep a autorisé jusqu'ici 20 opérateurs à distribuer soit le courrier international sortant, soit le courrier domestique horsmonopole (plus de 50 g). Parmi les prestataires ayant obtenu leur licence dès 2006, la société Stamper's couvre la ville de Pau et sa région, soit 30 km à la ronde. «Nous collectons le courrier auprès de nos entreprises clientes et nous le distribuons à J + l, avec un engagement de résultat», indique Bertrand Truyoo-Broque, gérant de cette PME de huit personnes. Ciblant les envois de 50 g à 3 kg, ce prestataire propose une offre variée: collecte et distribution, lettre recommandée baptisée Signéo, vente d'enveloppes préaffranchies appelées Fox Messenger, etc. Une véritable poste privée où les facteurs disposent d'un camion, de trois scooters et de quatre vélos. «Nos tarifs sont de 10 à 40% inférieurs à ceux de La Poste, affirme Bertrand Truyoo-Broque. De plus, les clients peuvent récupérer la TVA.»

De son côté, la société Althus a obtenu la licence d'opérateur privé, en 2006, pour les régions autour de Chambéry, Valence et Annecy. «Notre métier de base est l'externalisation du service courrier des entreprises», précise Pierre Fenestraz, son p-dg. L'opérateur, créé en 2001, prend en charge les documents de ses clients, les affranchit lorsque ceux-ci sont soumis au monopole ou les distribue localement lorsque la réglementation le lui autorise. Ce qui représente environ un tiers du courrier traité par Althus. Pierre Fenestraz estime ses prix de distribution environ 15% moins élevés que ceux de La Poste au plan local, mais reconnaît que les clients le choisissent surtout pour se délester de leur activité courrier. Plus de machine à affranchir en location, ni de personnel dédié... et peu importe qui, dans l'envers du décor, achemine les lettres.

Au niveau international, Deustche Post a été autorisée, dès 2006, à gérer le courrier transfrontalier sortant. Sa filiale DHL Global Mail fait transiter les lettres par son hub de Francfort, quels que soient leur poids et leur destination. «Le courrier de gestion représente environ un tiers de notre activité», explique Jean-Sébastien Leridon, directeur commercial et marketing de DHL Global Mail. La société se positionne comme prestataire global: conseil, prise en charge du courrier, gestion des adresses, etc.

Edouard Moulle, La Poste

«Dans les autres pays européens, l'opérateur historique a conservé son leadership.»

Un marché en attente de challengers

Devant l'ouverture du marché en 2011, tous les regards se sont tournés vers DHL Global Mail considérée comme «le» challenger possible de La Poste sur le marché domestique. En raison, notamment, de sa position de leader européen. Mais cet acteur reste prudent et se garde bien d'annoncer une quelconque stratégie. «Dans les pays où la libéralisation est plus avancée, nous avons adopté différentes attitudes: en Espagne, nous avons racheté un opérateur alternatif; aux Pays-Bas, nous avons créé une filiale concurrente de l'opérateur historique; en Belgique, nous nous sommes associés à la poste belge. Tout cela s'est réalisé selon les opportunités du moment», indique Jean-Sébastien Leridon. La filiale de la poste allemande reconnaît encore étudier le potentiel du marché français et attendre les exigences éventuellement imposées par les pouvoirs publics pour prendre une décision.

Son confrère Adrexo qui, depuis 2006, exerçait le métier de facteur privé dans les Hauts-de-Seine, à Lille, Lyon et Marseille, n'a pas attendu longtemps. En février, il a annoncé la fermeture de sa division courrier adressé, déficitaire. «Nous réaffectons les 1000 personnes qui y travaillaient dans une nouvelle branche, Adrexo Colis», révèle Frédéric Pons, directeur général d'Adrexo. Le retard de la libéralisation, annoncée pour 2009, puis repoussée en 2011, et les incertitudes pesant sur l'activité ont eu raison de la bonne volonté d'Adrexo. «En Allemagne, la libéralisation a entraîné une loi augmentant les salaires, ce qui a conduit des petits prestataires à fermer», relate Frédéric Pons. En se recentrant sur son coeur de métier (l'imprimé sans adresse) et en développant la filière colis, l'opérateur entend concilier rentabilité et croissance. Pour les autres prestataires en lice, les incertitudes sont tout aussi grandes: «L'Etat pourrait nous imposer une sorte de service universel où nous serions tenus de distribuer le courrier en tous lieux, même les plus reculés. Ou nous faire payer une taxe, si nous n y parvenons pas», s'inquiète Bertrand Truyoo-Broque (Stamper's). L'Arcep se montre plus rassurante: «Aucun des pays dans lesquels le marché est ouvert n'a instauré de taxe aux alternatifs, observe Guillaume Lacroix, chef de service de la régulation postale à l'Arcep. On imagine malles petits opérateurs devoir supporter les mêmes obligations que l'opérateur historique.»

La Poste sereine face à l'avenir

La Poste, elle, observe donc la situation avec une attention tranquille: «Dans les autres pays européens, les opérateurs historiques ont gardé leur leadership: ils affrontent en général un ou deux gros concurrents pour le marché entier et une kyrielle de petits opérateurs pour les marchés locaux», constate Edouard Moulle, directeur de la stratégie du courrier à La Poste. Lequel indique que l'entreprise publique a initié, dès 2003, un plan baptisé Cap qualité courrier, afin d'optimiser son offre destinée aux entreprises. La Poste aura ainsi renouvelé l'intégralité de son offre, d'ici deux ans. Sa principale force étant son réseau, et sa principale faiblesse, son manque de souplesse tarifaire. Le prix du timbre étant en effet défini à l'avance par les pouvoirs publics, il n'y a pas de négociation possible. Pour les entreprises, en tout cas, la libéralisation ne peut qu'être bénéfique: avec plus de choix, la concurrence risque de se jouer sur le service, surtout en milieu urbain, où sont concentrées les entreprises. Tout l'enjeu sera de calculer s'il vaut mieux faire appel à un ou plusieurs prestataires, en fonction de la nature du courrier et de sa destination. Sachant que les postes étrangères, si elles viennent concurrencer La Poste, seront très performantes pour les envois vers leur pays d'origine. La palme reviendra peut-être aux opérateurs intégrés, disposant à la fois d'un réseau international, d'un réseau intérieur et d'autres modes d'acheminement, comme le transport express. Rendez-vous dans trois ans.

Guillaume Lacroix, chef de service de la régulation postale à l'Arcep

Guillaume Lacroix, chef de service de la régulation postale à l'Arcep

Expertise

«La concurrence sera rude en ville»
Prix unique du timbre, service universel qui permet aux prestations rentables (courrier urbain) de financer les services déficitaires (courrier dans les zones isolées), grille tarifaire non négociable... La situation monopolistique actuelle du courrier entraîne une certaine rigidité. En 2011, avec l'apparition d'opérateurs alternatifs, le marché pourrait davantage ressemblera un secteur classique, avec des prestataires établissant leurs prix en fonction de leurs coûts. «La concurrence risque d'être rude sur le courrier industriel non urgent, en milieu urbain, prévoit Guillaume Lacroix. En revanche, La Poste ne trouvera pas aisément de concurrent pouvant distribuer en tout point du territoire.» Quant aux clients, ils devront faire appel à des spécialistes pour trouver le meilleur prestataire. «Les routeurs pourraient devenir les nouveaux experts des tarifs postaux», estime Guillaume Lacroix.

Pascale Mitenne, directrice des services généraux, Ubisoft

Pascale Mitenne, directrice des services généraux, Ubisoft

- Témoignage

«L'ouverture du marché à la concurrence ne peut être que bénéfique»
L'éditeur de jeux Ubisoft consacre quelque 330000 euros par an à l'expédition de courriers et de colis, en France et à l'étranger, notamment pour l'envoi des jeux vendus sur le Web. Pascale Mitenne, directrice des services généraux, a opté pour plusieurs solutions: «Nous possédons un contrat-cadre avec Fedex, qui gère nos envois commerciaux et une partie du courrier stratégique vers l'étranger.» Pour les envois en région parisienne, l'éditeur privilégie les coursiers, pour les colis comme le courrier important. «Nous avons connu des pertes de colis et de courrier, y compris pour le courrier recommandé, ce qui nous a menés à prendre des précautions.» Lorsque le marché sera totalement libéralisé, l'éditeur n'exclut pas de tester des opérateurs de courrier alternatifs. Ubisoft a d'ailleurs déjà fait appel à une société d'audit pour comparer les prix et les prestations des transporteurs express.
«Si la libéralisation amène du professionnalisme et des prix attractifs, alors, je l'attends avec impatience», conclut la responsable.
Ubisoft
ACTIVITE
Editeur, producteur et distributeur de jeux vidéo
CHIFFRE D'AFFAIRE 2007 920 millions d'euros
EFFECTIF 4 100 collaborateurs
MONTANT ACHATS GENERAUX 7,5 millions d'euros

 
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Olga STANCEVIC

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