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Relocalisation : des efforts à poursuivre

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Relocalisation : des efforts à poursuivre

Relocaliser, un voeu pieu ? Un peu plus d'un an après les nombreuses annonces autour du rapatriement de la production industrielle en France, peu de projets ont vu le jour. Il est en effet long et difficile de créer tout un écosystème. Et les donneurs d'ordre ont un réel rôle à jouer.

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Souvenez-vous : au sortir du confinement, les annonces concernant les relocalisations se multipliaient. La crise du Covid avait en effet fait prendre conscience de la dépendance de la France aux pays asiatiques en termes de chaîne d'approvisionnement. C'était le nouveau combat : il fallait réimplanter des usines en France pour retrouver notre souveraineté. Où en est-on aujourd'hui ? Selon Philippe Mutricy, directeur de l'évaluation des études et de la prospective chez Bpifrance 11% des industriels auraient d'ores et déjà des projets de relocalisation bien enclenchés.

Une prise de conscience du gouvernement

Depuis la crise sanitaire, l'État a pris conscience de la nécessité d'être autonome. En effet, le gouvernement a multiplié les actions en faveur du "Made in France". A la fin de l'été 2020, a été lancé l'appel à projets "(Re)localisation" du plan France Relance qui vise à soutenir les investissements dans 5 secteurs identifiés comme critiques : la santé, l'agroalimentaire, l'électronique, les intrants essentiels à l'industrie et les télécommunications-5G. Aujourd'hui, 407 projets sont soutenus dans le cadre de cet appel à projet à hauteur de 726 millions d'euros. A ce dispositif s'ajoute le fonds d'accélération des investissements industriels dans les territoires, doté par l'État et les régions de 850 millions d'euros dans le cadre de France Relance, qui soutient 217 projets de relocalisation industrielle à hauteur de 104 millions d'euros.

Pénuries et difficultés d'approvisionnement, accélérateurs de la relocalisation

Des projets qui, selon une étude menée par PwC et le CNA, correspondent à 76% aux demandes des acheteurs. Ces derniers sont en effet directement concernés par ce sujet, d'autant plus que les tensions sur les chaînes d'approvisionnement ne se sont pas taries depuis la fin des multiples confinement. Selon les données de l'Insee (octobre 2021), ce serait 45% des entreprises qui verraient leur production freinée par des difficultés d'approvisionnements. A cela s'ajoutent des problématiques d'emploi mais aussi environnementales. "Les émissions de gaz à effet de serre d'une production d'aluminium en Chine sont 6 fois supérieures à celles d'une production française car le mix énergétique n'est pas le même, a souligné Jean-Luc Baras, CPO d'Eiffage et président du CNA à l'occasion du salon Global Industrie 2021. Les données environnementales font de plus en plus partie de l'équation : en relocalisant, on bénéficie non seulement de proximité, de souveraineté, d'une meilleure maîtrise mais aussi d'un moindre coût carbone. Cette convergence des éléments donne du sens et fait comprendre aux acheteurs qu'il y a un vrai travail à faire".

Engagement des donneurs d'ordre

Les donneurs d'ordre se sont d'ailleurs mis en ordre de marche aux côtés de l'État et des industriels. François Roblin, directeur général Europe de Standard Textile, a souligné à l'occasion du salon Global Industrie 2021, l'importance du partenariat de son entreprise avec le groupe Accor pour réindustrialiser en France : "Nous avons réinvesti dans nos usines des Vosges car nous savons que nous livrons chaque année 3 millions de pièces de linge de lit au groupe Accor avec lequel nous avons un partenariat depuis une quinzaine d'années. Sans cette vision long terme, nous n'aurions pas réinvesti dans les Vosges". Même son de cloche du côté de Seqens : "Le projet de construction d'une nouvelle unité de production de paracétamol en Isère a pu voir le jour car nous bénéficions d'un engagement de nos clients sur le long terme, de plus de dix ans pour Sanofi et Upsa par exemple, a raconté Gildas Barreyre, secrétaire général du Comité Executif chez Seqens. Cela nous a permis d'innover sur le procédé de production et d'émettre 5 à 10 fois moins dans l'air mais aussi le sol et l'eau. Et ce tout en restant compétitifs". Il a également ajouté à quel point le soutient de l'État au Capex est essentiel dans la mise en place de ce projet.

"Travailler en filière et de manière collaborative pour grouper les achats"

Ces témoignages montrent bien que tous les acteurs ont un rôle à jouer dans le relocalisation : les industriels qui portent le projet, l'État qui le soutient financièrement et les donneurs d'ordre qui le soutiennent opérationnellement. Ces derniers peuvent s'associer pour passer un volume de commandes plus important aux fournisseurs et ainsi leur offrir plus de débouchées. "Je suis convaincue que la relocalisation qui génèrera de gros investissements sera effective quand les entreprises arriveront à travailler en filière et de manière collaborative pour grouper leurs achats comme le secteur de l'aéronautique dont les entreprises nouent des contrats pluri-annuels sur 10/15 ans auprès de leurs fournisseurs qui en contrepartie mènent des investissements", avance Isabelle Carradine, associée spécialiste de la transformation de la fonction achats chez PwC France et Maghreb. Simon Dufeigneux, directeur affaires publiques et nouveaux projets chez Sisley est venu témoigner lors du salon Global Industrie sur la solidarité qui a émergé des donneurs d'ordre du secteur de la cosmétique vis-à-vis de l'industrie verrière française : "En partenariat avec la FEBEA, syndicat professionnel du secteur cosmétique et le pôle de compétitivité Cosmetic Valley, treize marques, suivies par d'autres, ont mis en place un ensemble de solutions qui commencent à produire leurs effets : délais de paiement, stock ou engagements en termes de commande. Nous souhaitons pousser cette logique d'écosystème plus loin, avec les fournisseurs d'autres secteurs, comme le carton et le plastique".

Co-innover avec les fournisseurs

Cet exemple montre que l'engagement des donneurs d'ordre dans les démarches de relocalisation ne peut pas se limiter à juste passer commande à des fournisseurs français. Cela doit aller plus loin. Philippe Mutricy juge qu'il n'y a pas assez de coopération donneurs d'ordre / sous-traitants. "Les donneurs d'ordre doivent inciter à innover en rémunérant les prototypes par exemple ou en payant plus cher des innovations incrémentales", propose-t-il. Il donne un chiffre parlant issu d'une étude Bpifrance : si, depuis 1990, la production industrielle a davantage augmenté en France qu'en Allemagne en volume (40% vs 34%), ce n'est pas le cas pour la production industrielle en valeur (45% vs 70%). "C'est très révélateur d'un positionnement de gamme. Il faut laisser derrière nous la culture du low cost et co-innover avec ses fournisseurs", conseille-t-il. Vincent Moulin Wright, directeur général de France Industrie, a milité pendant le salon Global Industrie pour un calcul du coût complet de production en intégrant des externalités jusqu'alors non comptabilisées : le coût carbone, le coût du risque de pénurie, le coût social d'emplois supprimés...

Réinternalisation et réindustrialisation

Le mouvement de relocalisation s'accompagne chez certains donneurs d'ordre d'un mouvement de réinternalisation. Ainsi, Jean-François Faure, président-fondateur d'Aucoffre.com, a réinternalisé son activité de frappe de pièces qui était jusqu'à présent sous-traité à l'étranger. "Avoir cette activité chez nous, nous simplifie la logistique, nous offre une meilleure qualité de produits et nous coûte également moins cher", indique-t-il. Chez Auer, entreprise du groupe Muller qui fabrique des appareils de chauffage et de production d'eau chaude, la fabrication de cuves en acier émaillé pour ses pompes à chaleur et chauffes-eau thermodynamiques, achetées auparavant en Europe de l'Est, a été réinternalisée. "Avant le Covid, nous nous posions déjà la question de réintégrer cette partie de la fabrication qui manquait pour sécuriser nos approvisionnements, avoir une plus grande réactivité mais aussi renforcer la qualité", explique Eric Baudry, directeur marketing groupe. Il parle aussi d'une plus grande autonomie en matière d'innovation pour pouvoir lancer des essais.

C'est précisément pour cette dernière raison que Naturopera (hygiène bébé, féminine et entretien de la maison) a décidé de lancer sa propre usine de couches dans les Hauts-de-France. "Cela nous permet d'aller plus loin, d'innover en matière d'écologie. Tester de nouveaux matériaux en sous-traitance n'est pas évident", explique Kilian O'Neill, co-fondateur. Les services aussi peuvent être relocalisés. One Pilot, par exemple, assure tout ou partie du support client de 80 marques grâce à des agents clients basés en France métropolitaine. "Nous voulions proposer la meilleure expérience client possible à nos utilisateurs. Or, les solutions d'externalisation de la relation client existantes ne nous satisfaisaient pas : la plupart étaient offshore et ne proposaient pas des horaires élargis", explique Pierre Latscha, co-fondateur de One Pilot.

Ces exemples de réinternalisation sont les témoins de la réalité de la relocalisation actuelle : on assiste finalement plus au développement de nouvelles industries qu'au retour d'anciennes activités sur le sol français. Ainsi, au terme de "relocalisation" Philippe Mutricy préfère celui de "réindustrialisation". Il croit fortement au rôle des start-ups industrielles qui s'adosseraient à des entreprises industrielles déjà établies. "Il faut que le passage du prototype à la production industrielle se fasse en France et non pas en Chine", insiste-t-il.

L'enjeu des compétences

Malgré les aides financières dont ont pu bénéficier ces différents projets dans le cadre du plan France Relance, ils ne se sont pas faits sans difficultés. Surtout pour les entreprises qui n'étaient à l'origine pas industrielles, comme Aucoffre.com et Naturopera. "Nous étions habitués à acheter des produits finis et nous avons dû acheter des machines valant plusieurs millions d'euros. C'est un autre métier que nous avons dû apprendre", rapporte Geoffroy Blondel de Joigny, co-fondateur de Naturopera. "Il a fallu trouver le bon matériel et se former à ce nouveau métier. Nous partions de zéro", abonde le président de Aucoffre.com.

Chez Auer, l'enjeu était de réussir à produire à coût constant. "Le coût de main d'oeuvre est supérieur mais sont déduits les coûts de stockage et de transport. Il n'y a donc pas de surcoût lié à la relocalisation", raconte Eric Baudry. La difficulté principale résidait finalement dans les délais d'implantation de cette nouvelle ligne de production. "Nous avions de la place sur notre site industriel mais il a fallu installer, former, recruter...", énumère Eric Baudry. Il reste d'ailleurs à ce jour un peu plus de 50 postes en CDI ouverts pour les sites industriels de la société. Du côté du cabinet d'Agnès Pannier-Runacher on parle de 70 000 à 80 000 offres disponibles sur les emplois industriels. Pour Karine Renouil-Tiberghien, la disparition des emplois industriels et donc des compétences associées sont évidemment un frein. "Depuis 2000, 300 000 emplois textiles ont disparu", rapporte-t-elle. Cependant, le gouvernement dit mener des actions sur les moyens de formations. Mais le temps de monter les formations, de former les personnes, de les recruter... Il va falloir faire preuve de patience ! "La réindustrialisation va prendre une dizaine d'années", pense Philippe Mutricy, insistant sur le frein lié au manque de compétences, et notamment de compétences pointues, l'industrie du futur étant hautement technologique.

Le prix des produits français, plus chers en raison notamment du coût de la main d'oeuvre, peut aussi être problématique : les brassières "made in France" que l'entreprise que Karine Renouil-Tiberghien produit pour Auber sont commercialisées 25 euros, contre 10 euros pour celles produites en Tunisie. Mais les clients semblent être de plus en plus prêts à payer ce surcoût lié à la production française : chez Auber, ce sont 1/3 des brassières commandées qui sont made in France.

Diversification du portefeuille fournisseurs

Pour Sarah Guillou, directrice du département innovation et concurrence à l'OFCE (centre de recherche et d'économie de Sciences-Po), toutes les entreprises ne sont pas prêtes à relocaliser, pour différentes raisons allant du coût de production au fait de produire à l'étranger pour des marchés locaux en passant par les difficultés à trouver les bonnes compétences mais aussi le bon réseau de partenaires en local. "Une décision de délocalisation ou d'achats d'actifs à l'étranger correspond à une décision réfléchie et on ne revient que si les conditions ont changé. Les entreprises qui reviennent ont souvent déjà des partenariats locaux et agrandissent des unités de production", remarque-t-elle. Pour elle, les chiffres du gouvernement sur les projets de relocalisation soutenus sont à mettre en perspective avec les 62 000 exportateurs français qui peuvent potentiellement délocaliser pour se rapprocher de leurs marchés mais aussi des 30 milliards d'investissements qui entrent en France et des 30 milliards qui sortent de France. "Le milliard d'euros de soutien du gouvernement n'est pas rien, il permet de créer des emplois, de redynamiser des territoires. Mais on ne va pas inverser la spécialité industrielle française avec cela".

La maîtrise de la chaine d'approvisionnement priorité numéro 1

Du côté des donneurs d'ordre, Sarah Guillou n'est pas plus optimiste : "Il n'est pas toujours facile d'aller contracter avec de nouveaux fournisseurs, surtout quand on achète des produits avec des spécifications particulières, qui ne sont pas standards", pointe-t-elle. Isabelle Carradine considère quant à elle que les directions achats peuvent aujourd'hui difficilement s'engager sur des contrats pluriannuels avec des entreprises qui prévoient d'investir en France étant donné le caractère incertain de l'environnement actuel. "On reste dans un modèle économique connu même s'il arrive qu'un achat ponctuel soit réalisé auprès d'un partenaire local", observe-t-elle. Selon elle, la préoccupation des achats n'est actuellement pas la relocalisation mais la maîtrise de la chaîne d'approvisionnement étant données les problématiques de pénuries de matières premières et de coûts logistiques.

D'autant plus que se fournir en France ne serait pas la garantie d'une meilleure résilience. "On ne serait pas mieux approvisionnés car le risque sanitaire peut toucher tous les pays et il serait problématique d'avoir tous ses fournisseurs dans la même région si cette dernière est touchée", explique Fabienne Fel, enseignant-chercheur à ESCP Europe, qui va lancer une recherche sur la relocalisation auprès d'entreprises. Pour elle, le rôle des acheteurs se situe donc surtout dans la diversification des approvisionnements. Une diversification certes essentielle qui pourrait, dans le même temps, permettre aux industriels français d'intégrer les portefeuille fournisseurs des donneurs d'ordre.

TBS innove en France

Céline Delion - directrice achats de TBS

La marque TBS (groupe Eram), qui produit déjà 20% de son offre chaussure dans le Maine et Loire, a transformé un atelier de prototypage en usine textile. Pour les approvisionnements, la marque a par contre dû se tourner vers le Portugal. "C'est un pays qui reste proche mais aux prix plus abordables", explique Céline Delion, directrice des achats. Elle indique par ailleurs que les filières existent peu ou pas en France. TBS participe d'ailleurs, en s'investissant dans des forums et associations, à reconstruire un écosystème pour retrouver à filer en France à partir du chanvre, de l'ortie ou du lin. La marque n'hésite pas, également, à tester de nouvelles matières. Ainsi, elle a lancé une chaussure fabriquée à partir de laine cardée de moutons du Mont Saint Michel. "La laine cardée est une technique particulière qui respecte l'écaille de la fibre naturelle et permet l'imperméabilité de la matière", explique Julien Bianchi, directeur général. La relocalisation c'est donc aussi de l'ouverture d'esprit. Comme s'associer avec un fournisseur (3D-Tex) qui monte une unité de production à Saint-Malo. "Nous avons travaillé sur les produits à réaliser avant même que les machines soient acquises. Ce projet a pu voir le jour grâce à une confiance mutuelle", explique Céline Delion, qui se dit fière de proposer des pulls produits à Saint-Malo.

 
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