La sobriété énergétique, catalyseur de nouvelles collaborations
Au pays de la sobriété, les achats sont rois. Et les directrices et directeurs achats vus tels des agitateurs d'idées auprès des directions immobilières, RH ou RSE. De leur capacité à collaborer, innover et embarquer les équipes ensemble, dépendent la durabilité et l'efficience des choix stratégiques en matière de frugalité énergétique. Focus sur ces nouvelles mécaniques de travail.
Je m'abonneLa sobriété énergétique est résolument dans le viseur des entreprises. « Ce critère est de plus en plus prépondérant dans les stratégies achats, se traduisant notamment par un accroissement des contrats globaux de performance ayant trait à la consommation énergétique », constate Aurore Lermant, directrice générale d'Ytera. Leur volonté s'est intensifiée avec la guerre en Ukraine, plaçant l'Europe dans une crise énergétique sans précédent, et la demande de la Première ministre Elisabeth Borne, les sollicitant de diminuer de 10 % leur consommation énergétique. « Cette doléance s'est inscrite dans la continuité des démarches entreprises par les grands groupes pour satisfaire au décret tertiaire, qui prévoit la réduction de leur consommation d'énergie d'au moins 40 % en 2030, 50 % en 2040, 60 % en 2050. Mais c'est l'immédiateté des effets attendus qui complique la donne. Certaines manoeuvres ne peuvent donner lieu à des répercussions hivernales aussi instantanées, nécessitant des travaux, des modifications de process ou des investissements à budgétiser, particulièrement dans l'industrie », considère Raphaële Garrigoux, associée fondatrice de Bluebird Immobilier. Clairement, c'est un sujet transverse, impliquant entre autres les directions Achats, RSE, ressources humaines, Immobilier... « La direction Achats doit endosser le rôle de Business Partner, en identifiant une liste d'actions vertueuses et en contribuant à leur mise en place graduellement d'après l'évolution des voyants Ecowatt (vert, orange, rouge). Elle doit être un agitateur d'idées », synthétise Xavier Jibidar, consultant associé chez Jaicost.
Réflexions stratégiques
Individuel, le plan d'actions doit être fonction du diagnostic opérationnel établi en amont. Il permet notamment d'appréhender le plan d'occupations des bâtiments, les zones qui enregistrent une forte consommation et/ou des perditions conséquentes... Cet état des lieux énergétique peut conduire l'entreprise à opérer des réaménagements ou des travaux pour améliorer l'isolation par exemple. Il peut l'amener à investir plus largement dans des outils de Smart Building utiles pour mesurer, suivre et maîtriser la performance. « L'impact carbone d'une décision achat est une préoccupation de plus en plus prégnante qui reste néanmoins complexe à calculer précisément, avec une base de données contenant des moyennes », ajoute Aurore Lermant. Du point de vue des énergies, le responsable des achats peut se tourner vers des sources plus responsables pour se chauffer, comme l'énergie solaire, l'éolien ou la biomasse. De la même manière, le refroidissement adiabatique, c'est-à-dire fonctionnant par évaporation, peut être un moyen de pallier à la climatisation durant la saison estivale. À court terme, abaisser la température des locaux à 19° est une des mesures les plus plébiscitées pour sa rapidité de mise en oeuvre. « Touchant à la qualité de vie au travail, elle doit être accompagnée par les ressources humaines afin qu'elle soit socialement acceptée, et ce même si les collaborateurs sont sensibilisés à la RSE », tempère Raphaële Garrigoux. Les ballons d'eau chaude des blocs sanitaires peuvent également être mis à l'arrêt.
Pour aller plus loin, le regroupement des collaborateurs par zones, d'après les effectifs quotidiens, est un moyen de limiter le chauffage dans les espaces désertés. Dans la même lignée, le pilotage des éclairages devient plus fin, s'inscrivant idéalement en corrélation avec l'occupation réelle. « Les enseignes lumineuses des bâtiments, l'éclairage des locaux et les écrans d'affichage dynamique peuvent être éteints, une fois les collaborateurs rentrés à leur domicile », suggère Xavier Jibidar. Pour des retombées plus larges, des grands groupes prennent la décision de fermer leurs sites à raison d'un voire de deux jours fixes par semaine, en invitant au télétravail. Ils peuvent ainsi ralentir les centrales de traitement de l'air, diminuer la température de consigne des bâtiments mais aussi toutes les prestations de services (restauration, conciergerie, ménage...). Aussi pertinente soit-elle, cette mesure peut engendrer des effets pervers avertit Raphaële Garrigoux. « L'impact économique pour les entreprises est de suite palpable mais l'aspect sociétal n'est pas à négliger. En télétravail, les salariés peuvent accuser une hausse de la consommation électrique de leur foyer, comme ce fut le cas durant le confinement de mars 2020 avec une augmentation estimée à 5-7 %. Les prestataires se voient aussi condamnés au chômage partiel quelques jours par mois et les activités de transport peuvent être déséquilibrées ». D'où la nécessité d'apprécier au préalable le bilan global avant de passer le pas, en n'omettant aucun paramètre. « Cela s'avère profitable dans le tertiaire et de nombreuses industries ; nettement moins pour des industries verrières ou métallurgiques utilisant de la chaleur ; le redémarrage de l'outil de production pouvant se révéler plus énergivore qu'un fonctionnement en continu », souligne Elodie Trinh, consultante chez Ytera. Quel que soit le secteur d'activité, la formation des équipes aux enjeux environnementaux reste une action largement usitée, ayant des répercussions directes dans les manières de consommer.
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Sensibiliser le plus grand nombre
Afin de rendre les comportements individuels plus vertueux et ainsi profiter à la performance collective, la programmation de sessions de sensibilisations paraît indispensable ; notamment pour que les collaborateurs comprennent le défi du changement climatique et connaissent les ordres de grandeur pour identifier des solutions. « Des ateliers au format participatifs permettent de mettre en exergue l'intelligence collective, de créer du lien entre les collaborateurs et de leur permettre l'appropriation des questions et des réponses apportées. De nombreuses grandes entreprises et collectivités ont déjà entamé des déploiements d'ateliers la Fresque du Climat, Inventons Nos Vies Bas Carbone ou encore 2tonnes », conseille Elodie Trinh. Pour partager durablement les informations et remonter les retours d'expériences porteurs, des groupes de volontaires ou ambassadeurs peuvent être constitués via les réseaux sociaux de l'entreprise afin d'animer la conduite du changement et véhiculer plus largement les bons gestes. Des panneaux illustrant les bonnes pratiques (extinction des écrans d'ordinateur, utilisation des escaliers, recours à des gourdes...) peuvent être affichés en guise de piqûre de rappel, en collaboration avec les directions communication et RSE. « Les salariés doivent comprendre la nécessité de modifier durablement leurs comportements.
Les ressources énergétiques vont rester coûteuses et de plus en plus rares. À terme, cela doit déboucher sur une transformation structurelle de l'entreprise », résume Vincent Martegoutte. Désireuse de performer sur le bilan carbone, la direction RSE est un réel soutien. Très énergivore, l'usage des datas est également un levier sur lequel se pencher. « Vous pouvez concevoir un guide d'utilisation pour que les requêtes à l'aide d'un moteur de recherche, le stockage et l'archivage des mails aient un coût moindre. Cela n'aura pas un effet immédiat mais rentrera dans le TCO. De la même façon, tout investissement informatique doit désormais répondre à des critères de sobriété », met en avant Vincent Martegoutte. Sur cette thématique SI, il peut être envisagé d'externaliser les salles informatiques, en les délocalisant dans des data centers. « Plus sachant, ces opérateurs peuvent mutualiser la production de consommation d'énergie dans un lieu unique, générant des économies à court terme comme à moyen terme », indique Raphaële Garrigoux. En bref, le directeur Achats doit essayer de contrôler la manière de consommer, de concert avec les fonctions supports mais aussi avec les prestataires de l'organisation. « Veillez à limiter les modes de cuissons longs pour les menus hivernaux dans votre contrat de restauration collective », illustre Xavier Jibidar. Il doit également veiller à mesurer les progrès et à les communiquer en interne pour encourager les collaborateurs à poursuivre cette dynamique.
Des actions responsables ciblées et complémentaires
À la rentrée 2022, Transdev déployait un plan d'actions sobriété énergétique afin de réduire d'ici à 2024 sa consommation de 10 % : les consignes de confort thermique ont ainsi été normalisées, rabaissées à 19°, à 16° le vendredi, des minuteries pour l'éclairage vont être installées, les écogestes rappelés. « Des films anti-UV ont été apposés sur les fenêtres les plus exposées aux rayons au siège d'Issy-les-Moulineaux afin d'éviter la surconsommation des climatisations », ajoute Florence Baiget, directrice Achats Groupe & France de Transdev. L'acquisition d'un outil de pilotage de la consommation en électricité figure aussi parmi les mesures. Il doit fournir aux managers locaux un suivi détaillé en continu, permettant d'apprécier les retombées des actions menées. « Fin 2023, une centaine de sites sera équipée, les autres sont planifiés en 2024 », précise Florence Baiget. Dans le même temps, la direction des achats participe à l'équipement de toute la flotte de bus et cars d'un boîtier électronique, assurant la traçabilité et la qualification de l'écoconduite des conducteurs pour un budget de huit millions d'euros. Ses membres ont aussi suivi l'atelier Fresque du climat afin d'être sensibilisés aux enjeux climatiques avant d'engager un projet de mesure de l'empreinte GES des achats (Scope 3) et d'embarquer ses fournisseurs. Dernièrement, le groupe adhérait à la plateforme de mobilisation citoyenne autour de la cause « Urgence Sobriété énergétique » : Make.org ; l'objectif étant que les salariés et les passagers des grands réseaux de transport proposent des écogestes, complétant le plan d'action engagé. En fin d'année, Transdev complétera le dispositif avec le lancement d'une plateforme de covoiturage.