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La colère est-elle bonne pour l'Acheteur ?

Publié par OLIVIER WAJNSZTOK le

Le "coup de gueule" est-il une force ou une faiblesse pour le professionnel de l'Achat ? Certains appellent ça "perdre ses moyens", d'autres "mettre la pression".

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Le buzz des dernières semaines était le petit livre de Stéphane Hessel « Indignez-vous ». Il s’est vendu par centaines de milliers d’exemplaires. L'engouement, même inexpliqué, est réel et vire au phénomène de société sous un axe clairement politique. En terme de management, l’homologue de l’indignation est sans doute la colère. C'est-à-dire l’expression forcée ou réelle d’une exaspération.

Durant mes dernières vacances, j’ai lu le livre de Madeleine Albright « Madam Secretary : A Memoir » (Hyperion, 2003). Rappelons que Madeleine Albright était la 64e secrétaire d'État des États-Unis (équivalent de ministre des Affaires étrangères) entre 1997 et 2001 sous le second mandat du président Bill Clinton. Elle a été célébrée comme la femme ayant accédé à cette date au plus haut rang politique de l'histoire des États-Unis. Ses remarques sur la gestion de la colère sont étonnantes. Elle estimait que c’était un outil à utiliser avec la plus grande prudence. Notamment parce que la colère a un côté irrationnel. Et de son point de vue, la colère ne peut s’exprimer que dans un contexte rationnel et dont tous les protagonistes connaissent le « pourquoi » de cet excès comportemental.

Une récente et très sérieuse étude, écrite par Victoria L. Brescoll et Eric Luis Uhlmann chercheurs aux Universités de Yale et de Northwestern, démontre qu’un salarié américain a une rémunération plus élevée si c’est un habitué de la colère sans raison. L’étude établie le classement suivant : l’homme qui s’énerve sans raison gagne en moyenne 46 k$/an contre seulement 29k$/an pour les hommes qui ne s’énervent pas. C’est une moyenne sur les populations cadres et non-cadres. Les moins biens payés sont les hommes qui s’énervent avec une bonne raison (27 k$/an). Edifiant. La colère ne paye que si elle est injustifiée aux Etats-Unis. Mais elle paye bien.

Chez les bouddhistes, la colère fait partie des trois poisons de l'esprit, avec l'avidité, ou Trishna, et l'ignorance, ou Avidyā. Selon Aristote, toutes nos actions se rattachent nécessairement à sept causes diverses : le hasard, la contrainte, la nature, l'habitude, le calcul, la colère et le désir passionné. La colère, au même titre que le désir, est une passion.

Y a-t-il une tradition française de la colère ?

Sans doute. On a tous en tête le comportement de certains professeurs qui ont comme réflexe systématique la colère pour essayer de faire avancer leurs remarques. J’en connais. Comme dirait le bon mot de Raymond Devos, ce serait des professeurs qui n’ont plus toutes leurs facultés. Côté Politiques, la dernière campagne présidentielle avait été marquée par de belles colères de candidats : la claque de Francois Bayrou à un gamin qui lui faisait les poches ou le coup de gueule de Ségolène Royal lors du débat télévisé.

Reste que les professionnels de l’Achat utilisent la colère de manière contrôlée ou épidermique envers leurs fournisseurs. La fausse colère est un classique de la négociation avec des airs de « je claque la porte » dans une comédie de Boulevard (associée aux sourcils froncés). Ce n’est pas encore un chapitre de la Charte des Bonnes Pratiques entre donneurs d’ordres et PME. Mais ces colères, encore autorisées, peuvent avoir des effets probants si elles ne sont pas systématiques. Elles font partie de la « stratégie d’interruption » ou de rupture lors d’une négociation de haut vol. L’idée dans ce cas est de faire une pause dans une négociation, pour repartir sur une approche ou un état d’esprit différent. Avec le risque que la colère ait annihilé la chance d’avoir une reprise.

Répétée, la colère de l'acheteur se révèle inefficace

La colère de l’acheteur peut aussi prendre la forme de réactions épidermiques pas toujours contrôlées, surtout chez les juniors. Cela peut se produire à l’annonce d’une mauvaise nouvelle inattendue ou simplement d’une incapacité de l’acheteur à retenir sa contrariété face à un obstacle. Un directeur Achat, pourtant de bon niveau, me confiait avant ses vacances : « il faut que je fasse un break, je m’énerve trop souvent et ça ne donne pas de bons résultats. ». Colère avouée à moitié pardonnée.

Mais quand il s’agit de la colère « en interne de l’entreprise », la limite avec le mal-être est vite franchie dès que ça se répète. Je ne développerais pas ici les notions liées au management de l’émotion, de la peur ou du harcèlement.

Qui aime avoir son Directeur Achat piquer des colères ? Personne. Mais si la tendance est la même qu’aux Etats-Unis, ca va devenir un outil de progression salariale pour les Managers. Et ils ne vous diront pas pourquoi ils s’énervent. Ça paye plus.

* Anger and Advancement versus Sadness and Subjugation: The Effect of Negative Emotion Expressions on Social Status Conferral.

** Can an Angry Woman Get Ahead ? Status Conferral, Gender, and Expression of Emotion in the Workplace. Victoria L. Brescoll1 and Eric Luis Uhlmann2.

<p><strong>Olivier Wajnsztok</strong> est un passionn&eacute; d''Achat avec un parcours orient&eacute; dans [...]...

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