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Réforme des achats de l'Etat: la révolution dès cet été?

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Une agence des achats de l'Etat verra le jour en juillet. Elle coordonnera et pilotera au niveau interministériel les achats courants de l'Etat, avec un objectif de 1,3 milliard d'euros d'économies sur trois ans. Cette réforme s'accompagnera de la création de directions achats dans chaque ministère.

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La réforme de l'Etat passe par celle de ses achats. Cette dernière est d'une ampleur inégalée avec, en tête de gondole, la création d'une Agence des achats de l'Etat en juillet prochain, annoncée en décembre dernier par le ministre du Budget Eric Woerth. Emanation de l'actuelle Agence centrale des achats (ACA) de Bercy, elle pilotera et coordonnera les achats courants de l'ensemble des ministères, évalués à 9,9 milliards d'euros. Le travail de redéfinition des besoins, de rationalisation et de massification des commandes devra permettre de générer des économies de 0,8 à 1,3 milliard d'euros sur trois ans, le temps que les contrats actuels avec les fournisseurs arrivent à échéance. Ce montant correspond aux résultats des audits de modernisation de l'Etat réalisés en 2006 à la demande de Jean-François Copé, alors ministre du Budget.

Dotée du statut administratif inédit d'«agence de service public», la structure bénéficiera notamment de la capacité juridique d'imposer aux ministères et à leurs services déconcentrés la mutualisation des marchés dans son périmètre. Une première. De leur côté, les ministères devront créer leur propre direction achats, qui se focalisera sur les dépenses «métiers», évaluées à 5,1 milliards d'euros, mais aussi sur l'expression, puis la remontée des besoins. Enfin, un répertoire des fournisseurs de l'Etat verra le jour afin d'alléger les procédures de référencement. Ces mesures permettront de distinguer la fonction achats proprement dite de l'Etat et de ses ministères des fonctions de gestion du budget et des approvisionnements. Elles s'inscrivent dans le cadre plus général de la révision générale des politiques publiques (RGPP). Lancée en juillet dernier par le Premier ministre François Fillon, la RGPP vise à «rationaliser les dépenses publiques tout en améliorant la qualité des politiques publiques». Les achats y occupent ainsi une place non négligeable.

Les bons résultats du passé

Comment s'organisera cette Agence des achats? Le décret de juillet reprendra vraisemblablement les grandes lignes du rapport Saint-Pulgent, du nom du président de la mission interministérielle France achats (Mifa), remis au ministre du Budget en février 2008. Cet organisme s'appuiera donc en grande partie sur l'actuelle Agence centrale des achats (ACA) du ministère de l'Economie, des Finances et de l'Emploi (Minefe). Créée en 2004, cette dernière a rempli ses objectifs, en dégageant notamment plus de 150 millions d'euros d'économies en trois ans grâce à une standardisation des matériels informatiques, le remplacement des copieurs et imprimantes par des multifonctions, l'abaissement du coût du nettoyage... Son action lui a permis d'imposer sa légitimité au sein des ministères financiers, très méfiants au départ.

Directeur de l'ACA de Bercy depuis juin 2006, Jean-Baptiste Hy a été étroitement associé à la réflexion sur la future Agence des achats de l'Etat au travers de la Mifa. L'Agence centrale des achats y compte en effet trois membres, les deux autres étant issus de la Direction générale de la modernisation de l'Etat (DGME). «Sur le périmètre des achats courants, l'Agence des achats de l'Etat associera les ministères à la réflexion, mais définira de manière obligatoire la stratégie achats et disposera du pouvoir juridique de l'imposer, puis d'exécuter les marchés», résume-t-il. Un dernier point qui a son importance, selon lui. «Le fait qu'elle soit pouvoir adjudicateur lui donnera une légitimité supplémentaire.» En parallèle, l'Agence des achats de l'Etat sera compétente sur des sujets transversaux tels que l'externalisation (maintenance des bâtiments, la flotte automobile, les solutions d'impression et d'affranchissement...), le développement durable, la place des PME dans la commande publique ou la performance économique de l'achat. Elle ne fonctionnera pas en mode totalement centralisé, puisqu'elle pourra désigner un ministère ou l'Ugap - la centrale d'achats publics - pour prendre en charge les marchés mutualisés.

La future Agence des achats de l'Etat est une fusée à trois étages: un directeur, un comité d'orientation et un comité des achats. «Le comité d'orientation, sorte de conseil de surveillance, sera composé de personnalités qualifiées telles que des directeurs achats d'entreprises publiques ou privées, des parlementaires, des personnalités représentant les PME ou le secteur de l'insertion», explique Jean-Baptiste Hy. Le comité des achats réunira les directeurs achats des ministères.

Jean-Baptiste Hy, Minefe

«Les expériences du passé ont prouvé la nécessité de pouvoir imposer une mutualisation des achats entre ministères.»

Une agence divisée en trois pôles

A la date de sa mise en route, l'Agence des achats de l'Etat devrait compter une cinquantaine de personnes en centrale, réparties dans trois différents pôles: production; outils et méthodes; et animation interministérielle. «Le pôle production s'occupera des principaux segments opérationnels, comme l'impression ou les fournitures, et passera les marchés. Le pôle méthode aura notamment en charge le dossier du système d'information achats, quasiment inexistant dans les ministères, et sa mise en relation avec Chorus, le système d'information de l'Etat», indique Jean-Baptiste Hy. Le Minefe a émis le souhait que les Groupes d'études de marchés (GEM), qui dépendent aujourd'hui de l'Observatoire économique de l'achat public (OEAP), soient rattachés à ce second pôle. Les GEM publient régulièrement des guides et recommandations sur les marchés les plus divers à destination des acheteurs publics. Quant au pôle d'animation interministérielle, son objectif sera double. Il devra d'abord orchestrer le réseau territorial d'acheteurs de l'Agence des achats de l'Etat, qui comptera une cinquantaine de personnes au niveau régional. Leur rôle sera d'assurer la remontée des informations et d'opérer la mutualisation au niveau local, par exemple pour les marchés de facility management, impossibles à coordonner au plan national. Ensuite, des correspondants ministériels assureront le suivi des marchés dans leur administration.

Olivier Fauconnier, ministère de la Culture

«Notre ministère n'ayant pas de volumes d'achats importants, nous tirons profit de la massification des achats de l'Etat.»

Mutualiser les achats

Le chantier est vaste, mais il s'appuiera sur les réalisations de la Mifa, qui sera dissoute pour laisser place à l'Agence des achats de l'Etat. Créée en octobre 2006 dans la foulée des audits de modernisation et rattachée à la DGME, cette structure sans existence juridique propre pilote actuellement le plan de modernisation des achats au niveau interministériel. Elle a contribué à la formation de 500 acheteurs de l'Etat en deux ans et lancé deux marchés, qui préfigurent la professionnalisation et la mutualisation des achats. Le premier concerne un marché groupé de papier éco-responsable auprès de l'Ugap, dont la fourniture est en cours dans les ministères jusqu'en 2010. Lancé récemment, le second porte sur la mutualisation des achats de carburant par carte, au travers de deux marchés centraux, pilotés par le service des essences de l'armée et la direction générale de la Police nationale. Ces premières avancées ont néanmoins souligné les limites de la mutualisation «volontaire» et les tendance scentrifiques. Le manque d'adhésion de s ministère s ou la persistance des achats «sauvages» «ont prouvé la nécessité pour la future agence de pouvoir imposer la mutualisation. A un moment, il faut que quelqu'un décide», souligne Jean-Baptiste Hy.

La question du rattachement de la future Agence des achats de l'Etat a également été tranchée dans le rapport Saint-Pulgent. Elle sera rattachée directement au ministère du Budget, «comme cela se pratique dans les autres pays», indique Jean-Baptiste Hy. Elle continuera d'ailleurs à s'occuper de l'ensemble des achats de Bercy. Le Minefe s'imposera ainsi comme le pivot des achats de l'Etat. La DGME, qui orchestre la Révision générale des politiques publiques, se situe déjà dans sa sphère. De même que l'Observatoire économique de l'achat public, dont l'existence n'est pas remise en cause. L'Observatoire, qui travaille notamment au recensement des marchés publics, est présidé par Catherine Bergeal, directrice des affaires juridiques de Bercy.

Du côté des ministères, les acheteurs attendent de connaître avec précision le périmètre de compétences de l'Agence des achats de l'Etat. Au ministère de la Défense, Hervé Horiot, animateur de la mission achats et référent ministériel des travaux conduits par la Mifa, estime que sur les 20 milliards d'euros de budget, seulement 4,8 rentreraient directement dans le périmètre des achats courants «mutualisables». «Dix milliards d'euros relèvent de la Délégation générale pour l'armement, pour leurs achats «coeur de métier» comme les armes ou les munitions, et 5 milliards concernent nos achats propres, comme notre système d'information crypté», explique-t-il. Selon lui, la future agence aura donc tout intérêt à associer les ministères, qui continueront à piloter un spectre d'achats très large, afin de jouer la complémentarité. «L'enjeu sera de coordonner la réorganisation des achats dans les ministères, en cohérence avec la création de cette agence», insiste Hervé Horiot. Dans la foulée des audits commandés par Jean-François Copé, les réflexions sont en effet déjà très avancées et attendent la fi n des travaux de la RGPP pour prendre forme. «Depuis trois ans, la mission achats du ministère de la Défense a ainsi travaillé sur la professionnalisation des achats et sur la distinction entre les achats et les fonctions d'approvisionnement et de soutien», illustre-t-il.

Même observation au ministère de la Culture, qui s'est doté d'une mission de modernisation des achats en décembre 2007. Directement placé auprès du secrétaire général de la Rue de Valois, son responsable, Olivier Fauconnier, a pris en ma in les différents chantiers de modernisation. «Le ministère est prêt», résume-t-il. La structuration d'un réseau de 120 correspondants achats est en cours au niveau central, au niveau déconcentré et dans ses 78 établissements publics. Une cartographie précise des achats et une analyse de l'offre ont également été lancées, de même que le recensement des marchés prévus ou en cours. Le ministère s'est déjà engagé dans la mutualisation en s'associant aux marchés interministériels des cartes d'essence, de la téléphonie mobile et du papier éco-responsable. Soit, selon Olivier Fauconnier, «l'essentiel de nos achats courants. Notre ministère n'ayant pas de volumes d'achats importants, nous avons tiré profit de la massification.» Il accueille donc favorablement la création de l'Agence des achats de l'Etat, tout en précisant: «Pour les marchés mutualisés, il faudra trouver la juste dimension entre une trop grande standardisation et des spécifications trop nombreuses pour tenir compte de l'ensemble de la demande, qui ferait perdre un levier.» Il s'interroge aussi sur «la prise en compte de nos besoins au regard de ceux des ministères plus importants. La future agence devra rapidement apporter des précisions sur ces points.»

Néanmoins, Olivier Fauconnier se félicite de la réforme, qui devrait pousser à la professionnalisation des achats. «Sur tous les segments, nous devrons être très performants sur l'expression et la définition des besoins, mais également sur le suivi du marché. Au cours de ces phases, l'Agence des achats de l'Etat ne pourra pas se substituer à nous», observe-t-il. Ce dernier souhaite donc poursuivre la mise en place d'un tableau de bord sur la performance achats. «Outre l'aspect économique, nous développons l'approche du besoin très en amont, dès la discussion budgétaire, avec les services utilisateurs et les prescripteurs», indique-t-il.

Hervé Horiot, ministère de la Défense

«L'enjeu sera de réorganiser les achats dans les ministères en cohérence avec la création de cette agence des achats de l'Etat.»

Un dossier suivi de près par l'Elysée et Matignon

Marchés mutualisés obligatoires, création d'une fonction achats dans les ministères, correspondants achats dans les services déconcentrés... L'ampleur de cette réforme des achats de l'Etat reste conjuguée au conditionnel tant que le décret créant cette agence n'aura pas été publié. Néanmoins, personne ne semble douter de la concrétisation des mesures. La raison est simple: le soutien politique au plus haut niveau est total. Le comité de suivi des RGPP est coprésidé par le secrétaire général de l'Elysée, Claude Guéant, et le directeur de cabinet du Premier ministre, Jean-Paul Faugère. Eric Woerth, ministre du Budget et des Comptes publics, en est le rapporteur général. Eric Besson (secrétaire d'Etat chargé de la prospective économique), Philippe Parini (receveur général des finances) ou Michel Pébereau (ancien patron de BNP Paribas et auteur d'un rapport sur la dette publique en 2005) complètent notamment le tour de table. La feuille de route est claire: en période de tension budgétaire, les économies devront être au rendez-vous.

La future Agence des achats de l'Etat continuera de passer commande auprès de l'Ugap (photo) sur certains marchés mutualisés, à l'image du papier éco-responsable.

La future Agence des achats de l'Etat continuera de passer commande auprès de l'Ugap (photo) sur certains marchés mutualisés, à l'image du papier éco-responsable.

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L'Ugap: un rôle inchangé

Quelle place pour l'Ugap, la centrale d'achats publics, à côté de la future Agence des achats de l'Etat, compétente pour lancer des marchés mutualisés? «L'Ugap conserve son rôle», assure Jean-Baptiste Hy, directeur de l'Agence centrale des achats. La future structure continuera de passer commande auprès de l'Ugap sur certains marchés mutualisés, à l'image du papier éco-responsable, dont la fourniture est en cours dans les administrations centrales jusqu'en 2010. L'Ugap, placée sous la double tutelle du ministère de l'Economie et de celui de l'Education nationale, a par ailleurs vocation à accroître son rôle «d'opérateur de marchés mutualisés interministériels», comme le précise le contrat d'objectif signé avec l'Etat et portant sur la période 2007-2009. Dans ce document, la centrale d'achats s'engage par ailleurs à se mettre en ordre de bataille pour répondre à la hausse des commandes, qui ont totalisé 1,1 milliard d'euros en 2007, soit 17% de plus par rapport à 2006. Au menu: amélioration du service après-vente, prise de commandes accélérée via le site internet et élargissement de l'offre.

Eric Woerth (ministre du Budget): «Les candidats issus du secteur privé devront posséder une bonne connaissance des marchés publics.»

Eric Woerth (ministre du Budget): «Les candidats issus du secteur privé devront posséder une bonne connaissance des marchés publics.»

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Recrutement: l'Etat ouvre ses portes aux acheteurs issus du privé

Le ministre du Budget Eric Woerth l'avait annoncé lors du premier conseil de modernisation des politiques publiques, le 14 décembre 2007: «Dans chaque ministère où il n'existe pas, un responsable des achats devra être nommé. Il aura compétence sur l'ensemble des achats courants des ministères. Ce poste pourra être occupé par des managers sous contrat, spécialisés dans ce domaine et issus du secteur privé.» Les acheteurs privés seront donc les bienvenus dans la future organisation des achats de l'Etat, au sein des ministères ou de l'Agence centrale des achats. Sans attendre la diffusion des lettres de mission pour ces postes, certains postulants se sont déjà fait connaître. «Nous avons déjà reçu quelques candidatures, une majorité venant du public mais également de quelques acheteurs du privé, indique-t-on à Bercy. Outre le fait d'avoir une expertise achats poussée, les candidats du privé devront également posséder un bon vernis de connaissance des marchés publics.» Conformément à la loi organique relative aux lois de finance (LOLF) de 2006, les nouveaux venus devraient être engagés en tant que contractuels.

 
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Florent Maillet

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