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Licence professionnelle, le chaînon manquant des achats

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De niveau bac + 3, la licence professionnelle est un diplôme basé sur le partenariat avec les entreprises. En France, une vingtaine de ces filières se sont spécialisées dans les achats, avec une approche très opérationnelle. Encore relativement méconnues par rapport aux prestigieux masters, elles constituent un nouveau vivier de recrutement.

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@ STOCKBYTE/CD

Environ 450 dossiers reçus pour 28 places. Pour cette troisième rentrée universitaire depuis sa création, en septembre 2005, la licence professionnelle Management des achats et des ventes à l'international proposée par l'IUT Nancy-Charlemagne (Nancy 2) attire de nombreux jeunes titulaires d'un bac + 2, essentiellement issus de BTS ou d'IUT commerciaux et techniques, ou encore de Deug d'économie. Ce succès n'est pas étonnant. Créée en 1999, la «licence pro» est un diplôme original de niveau bac + 3. Son élaboration repose sur la mise en place de partenariats étroits entre universités, entreprises et branches professionnelles. Il s'agit donc d'une formation en alternance.

Une filière dynamique qui séduit les entreprises

Le ministère de l'Education nationale recense près de 1500 licences de ce type en France, dont une vingtaine a trait aux achats. A titre de comparaison, il existe une trentaine de masters (bac + 5) ou mastères spécialisés (MS, niveau bac + 6), dont les plus anciens, le MAI Bordeaux ou le Desma Grenoble, ont été lancés dans les années soixante-dix et quatre-vingt. La licence professionnelle étant un diplôme récent, la vingtaine de cursus spécialisés achats traduit le dynamisme de la filière, selon Jean-Pierre Mouline, responsable pédagogique et maître de conférences à Nancy 2. «La fonction achats intéresse de plus en plus les entreprises, qui sont dans une logique de compression des coûts, observe-t-il. Déplus, les PME se réorganisent autour de la fonction achats et orientent leurs ventes vers l'international. Le profil de nos diplômés les intéresse.» Au dire des responsables de formation, c'est d'abord l'aspect opérationnel des étudiants que plébiscitent les employeurs. «La finalité de la licence professionnelle est d'intégrer le monde du travail directement à la sortie, quitte à reprendre des études quelques années plus tard», rappelle Jean-Pierre Veray, responsable pédagogique de la licence professionnelle Commerce spécialisation acheteur industriel, à Sens, dans l'Yonne. «Les diplômes sont calibrés pour répondre en une année à la demande des entreprises, renchérit Jean- Pierre Mouline (Nancy 2). Nous avons ainsi ajusté le contenu de la formation aux nouveaux besoins des entreprises tournées vers l'import/export.»

Trois quarts de la formation sur le terrain

Tous les cursus de licence professionnelle s'effectuent en alternance, par le biais de l'apprentissage ou en contrat de professionnalisation. Les cours, dispensés par des universitaires mais également par des professionnels, représentent environ 500 heures. «L'enseignement est assuré à 40% par des personnes issues du monde de l'entreprise: directeurs achats, chargés de programmes informatiques, consultants, etc.», indique Jean-Pierre Mouline (Nancy 2). Dans un second temps, l'étudiant effectue une mission sur le terrain. «Au final, les jeunes passent 75% de leur temps en entreprise, calcule Jean- Pierre Veray (Sens). Le volume de cours représente, quant à lui, 25% de l'année, soit 450 heures environ.» A Sens, l'alternance s'effectue au rythme d'une à deux semaines de cours, prodigués en partenariat avec l'université voisine de Marne-la-Vallée, et de trois à quatre semaines en entreprise. La pertinence de l'alternance n'est pas spécifique aux licences professionnelles. Les formations achats de niveau bac+ 5 tels que le Desma Grenoble, l'Essec ou Grenoble Ecole de Management déclinent également leurs cursus de cette manière.

La mission en entreprise correspond souvent à un besoin ponctuel qui nécessite un savoir-faire achats, comme l'explique Rémy Plantey, consultant achats et enseignant en licence professionnelle Négociation commerciale de l'IUT de Bordeaux IV. Ce diplôme vise à former des cadres intermédiaires acheteurs dans le commerce et les services. «Nos étudiants travaillent sur des missions très diverses, comme un audit fournisseur, une réduction des coûts dans une famille d'achats, la mise en place de contrats cadres ou d'un système d'information achats», détaille-t-il.

Pour décrocher ces stages, les étudiants ont deux options: les solliciter eux-mêmes ou piocher dans les propositions qui parviennent à l'école. «Les entreprises font beaucoup appel à nous mais, en général, nous n'arrivons pas à répondre à toutes les demandes», témoigne Jean- Pierre Veray (Sens). Les sociétés partenaires sont généralement situées dans la région où est établie la licence professionnelle. D'autres facteurs renforcent le côté opérationnel des licences: «Les étudiants sont formés aux outils spécifiques des entreprises, notamment ceux de gestion de projets», relève Jean-Pierre Veray (Sens). L'étudiant doit également rédiger un cahier des charges sur son projet en entreprise, puis en dresser la synthèse dans un rapport présenté devant un jury d'enseignants et de professionnels. Quant à la rémunération en alternance, elle varie entre 55% et 85% du Smic, souvent en fonction de l'âge et du niveau d'études des jeunes.

Si les licences pro privilégient l'aspect opérationnel, elles n'escamotent pas pour autant l'apprentissage théorique des achats. Le volume de cours - 500 heures en moyenne - permet de proposer un panorama complet de la fonction. Par exemple, la licence professionnelle Commerce spécialisation acheteur industriel de Sens est organisée autour de six grands pôles d'enseignement: les outils de l'achat (147 heures), les méthodes de l'achat (119 heures), la communication (91 heures), la gestion financière des achats (56 heures), la qualité et l'environnement (38,5 heures), et les achats dans l'économie de l'entreprise (35 heures). Jean-Pierre Veray insiste sur le module communication, qui s'est beaucoup enrichi ces dernières années. «La com' est devenue un aspect essentiel dans les achats. C'est pourquoi nous mettons l'accent sur l'animation de réunions ou les techniques d'exposé en public», souligne-t-il. La pratique de l'anglais des affaires entre également dans ce cadre, avec une particularité: le nombre d'heures est, de fait, illimité grâce à la formation à distance sur Internet. Un système très apprécié des étudiants.

L'internationalisation est aussi très présente dans la licence professionnelle Commerce option management des achats, où Jean-Pierre Veray consacre 80 heures minimum aux langues étrangères. L'anglais est obligatoire et une seconde langue est proposée (espagnol, italien ou allemand). De nombreuses autres matières traduisent cette orientation internationale: management interculturel, techniques d'achat et de vente à l'étranger, marketing international... Certains cours sont par ailleurs délivrés entièrement en langue anglaise.

Ghislaine Caire, Orion

«Il faut des acheteurs sur le terrain sachant bien négocier, gérer des contrats et fluidifier l'approvisionnement.»

Un fort besoin d'acheteurs opérationnels

En termes de débouchés, le caractère opérationnel des licences professionnelles est en adéquation avec les postes proposés. «La licence pro est une sorte de chaînon manquant, analyse Rémi Plantey (Bordeaux IV). Les formations bac + 5 pour les cadres de haut niveau existent déjà. Mais les achats n'ont pas uniquement besoin de managers. Lis ont aussi besoin d'acheteurs opérationnels, avec un salaire en phase.» Un avis partagé par Jean-Pierre Mouline (Nancy 2): «Nos étudiants deviennent assistants aux achats, assistants exports ou acheteurs famille», confirme-t-il. En termes de salaire, les jeunes diplômés peuvent espérer un revenu entre 20 000 et 25 000 euros à la sortie d'école, un montant standard pour un niveau bac + 3. Les qualifications sont en général celles d'agent de maîtrise ou de technicien. Les premiers CDI sont le plus souvent obtenus au bout de six mois. Cependant, tous les étudiants ne poursuivent pas leur carrière dans l'univers des achats. «Sur une promotion de 25 étudiants, 20% continuent leurs études vers des masters logistiques ou des écoles de commerce, détaille Jean-Pierre Mouline. Environ 40% restent dans les achats et 40% vont vers d'autres domaines, comme la vente à l'international.» Le stage en entreprise peut constituer un débouché vers un CDI, mais ce n'est pas le cas le plus courant.

Ces licences professionnelles contribuent également à diffuser une culture achats, notamment dans la vente. Les commerciaux comprennent ainsi davantage les impératifs de leurs clients. Dans la pratique, les postes sont d'ailleurs souvent mixtes. C'est le cas d'Aurélie Lercher, titulaire d'une licence professionnelle Management des achats et des ventes à l'international (Mavi) obtenue en 2007 Nancy 2, et actuellement assistante commerciale export chez Arcelor-Mittal au Luxembourg. Sa mission comporte une part achats, concernant notamment les prestations de services (transport). «La reconnaissance européenne de ce diplôme permet de travailler dans un pays de l'Union», se réjouit-elle. Déjà titulaire d'un BTS de commerce international, elle considérait la licence professionnelle comme un prolongement naturel. «J'ai choisi la licence Mavi afin d'obtenir une double casquette vente/achats. Un profil très utile quand on est confronté aux deux fonctions», juge-t-elle. Embauchée en CDI 15 jours avant la fin de son cursus, elle n'a pas connu de période d'attente, «comme la plupart des étudiants de ma promotion».

Un diplôme qui correspond aux besoins

Les débouchés étant nombreux, les profils bac + 3 ne passent pas par les cabinets de recrutement achats. Ghislaine Caire, fondatrice du cabinet spécialisé Orion, y voit deux raisons principales. «D'abord, les entreprises procèdent en général elles-mêmes au recrutement des acheteurs débutants, analyse-t-elle. Ensuite, mes clients me demandent plutôt des profils bac + 5 car les postes proposés réclament de plus en plus de qualités managériales.» Mais elle juge que le niveau bac + 3 correspond parfaitement aux besoins des entreprises: «Dans un contexte d'organisations achats déplus en plus centralisées du point de vue du management et des commodités, il faut des collaborateurs sur le terrain sachant bien négocier, gérer des contrats et fluidifier l'approvisionnement.»

Du point de vue des directions achats, ce diplôme est accueilli favorablement, comme l'explique Emmanuel Corbasson, responsable achats de Gerflor, fabricant de revêtements de sol. «Une équipe d'acheteurs s'enrichit grâce à la diversité des profils», note-t-il. Selon lui, l'orientation opérationnelle des diplômés de licence pro est un atout. «En cinq ou six mois d'expérience en entreprise, l'acheteur développe sa capacité d'adaptation, et la fonction s'inscrit dans une logique de mobilité géographique ou de changement de portefeuille achats.» Quant à l'évolution professionnelle, elle n'est pas, de son point de vue, limitée au niveau bac + 3. «L'idée que la réussite est déterminée est très franco-française», relève-t-il. La progression de l'acheteur dans l'entreprise est avant tout liée à son «savoir-être». «Les connaissances techniques ou théoriques donnent certes un avantage au départ. Mais, sur le long terme, c'est la personnalité de l'acheteur qui compte.» L'évolution des rapports de force entre acheteurs et vendeurs, qui se rééquilibrent de plus en plus au profit des fournisseurs les plus innovants ou les plus fiables, «accentue la nécessité de cette compétence relationnelle», estime-t-il.

La licence professionnelle offre une alternative supplémentaire et appréciable dans un contexte où la concurrence est féroce en termes de recrutement achats. Mais toutes les entreprises n'activent pas ce levier. «La méconnaissance de ces diplômes est encore forte», glisse Ghislaine Caire (cabinet Orion). Un constat corroboré par Emmanuel Corbasson (Gerflor): «En général, les responsables achats ne connaissent que les formations réputées à niveau bac + 5.» Il va donc encore falloir du temps pour que la licence professionnelle s'inscrive définitivement dans le paysage des achats.

Stéphane Manciot, responsable achats, SNPE Matériaux énergétiques

Stéphane Manciot, responsable achats, SNPE Matériaux énergétiques

Témoignage
«Les entreprises manquaient de techniciens achats»

En tant que responsable achats de SNPE Matériaux énergétiques, Stéphane Manciot juge «très pertinente» l'arrivée des licences professionnelles achats. «Les grandes formations achats de niveau bac+5 ont formé des cadres supérieurs avec une approche de la stratégie achats globale et de gestion des ressources humaines dans les achats», observe-t-il. Selon lui, les entreprises manquaient de techniciens achats avec un niveau d'agent de maîtrise. Les licences professionnelles sont donc en train de combler ce manque. Ces futurs acheteurs doivent, en effet, avoir la capacité de traiter de questions opérationnelles avec une culture de rationalisation des coûts. «Jusqu'à présent, les entreprises allaient chercher des jeunes diplômés dans d'autres formations, notamment dans les filières commerciales ou techniques», témoigne Stéphane Manciot.
Les diplômés des licences professionnelles achats correspondent principalement à deux types de postes. Le premier au sein d'un service achats structuré d'une grande entreprise, avec des possibilités d'évolution professionnelle. Le second dans les PME où la culture achats se développe rapidement. «Aujourd'hui, les petites et moyennes entreprises investissent beaucoup pour professionnaliser leurs achats. Elles n'ont pas besoin de profils surdiplômés mais de gens capables d'être tout de suite opérationnels.» Selon lui, les licences professionnelles achats prodiguent ce côté pratique à un double niveau: de nombreux responsables achats interviennent dans les cursus pour délivrer des exemples concrets d'action des achats en entreprise, et les quatre mois minimum passés en alternance sur un poste achats permettent à l'étudiant de s'approprier les problématiques qu'il devra traiter plus tard en entreprise. «Désormais, ce profil de diplômé s'impose dans les recrutements», conclut-il.

Gaël Le Bot, titulaire d'une licence pro de management d'achat industriel, lUT de Morlaix

Gaël Le Bot, titulaire d'une licence pro de management d'achat industriel, lUT de Morlaix

Témoignage
«La licence professionnelle est un bon mix entre la théorie et la pratique»

Agé de 34 ans, Gaël Le Bot a obtenu en 2007 la licence professionnelle Management d'achat industriel de l'IUT de Morlaix (Finistère). «J'ai eu mon BTS électronique en 1994 et j'ai d'abord exercé une activité professionnelle pendant une dizaine d'années», indique-t-il. Successivement technicien réparateur de cartes électroniques puis technicien méthode de test, il devient gestionnaire d'approvisionnement en 2005 chez un sous-traitant électronique. C'est à ce dernier poste qu'il commence à s'intéresser aux achats. «Nous étions en contact permanent avec les achats, qui étaient nos donneurs d'ordres. Certaines de mes missions avaient trait à ce domaine, comme la rédaction d'appels d'offres ou le suivi des performances de fournisseurs.» En février 2007, il quitte son entreprise pour intégrer l'IUT de Morlaix. Grâce à son parcours professionnel, il est dispensé de deux matières, la logistique et la stratégie d'entreprise, dans le cadre de la validation des acquis de l'expérience (VAE). Le rythme est d'une à deux semaines de cours par mois, le reste du temps est consacré à l'entreprise. Grâce à ses recherches, il décroche un stage d'acheteur industriel à DCNS (nouveau nom de la Direction des constructions navales) sur le site de Brest. Sa mission consistait notamment en l'achat opérationnel de fournitures (matériel électronique et informatique) et de prestations (interventions sur site, réparations), ainsi que le management de contrats et la mise en place de contrats cadres. «A DCNS, j'ai découvert le fonctionnement achats d'une entreprise de premier plan, ce qui était mon objectif principal pour mon stage», se réjouit-il. Cette collaboration s'étant achevée début 2008, il cherche désormais son futur employeur. «Suivre une licence professionnelle était un bon choix, assure-t-il. Les cours sont de qualité et délivrés à 80% par des professionnels de la supplychain, qui nous ont présenté de nombreux cas pratiques. La licence professionnelle est un bon mix entre la théorie et la pratique.» En revanche, ce diplôme est encore peu connu, notamment dans les grands groupes. «Ils ciblent essentiellement leur recrutement achats sur les nivaux bac+4/5, constate Gaël Le Bot. Les bac+3 peuvent les intéresser, à condition de bénéficier d'une expérience professionnelle importante.» Pour la suite de sa carrière, il pense néanmoins à la formation continue pour arriver à un niveau bac + 5.

Mathieu Ratard, diplômé de la licence professionnelle Management des achats et des ventes à l'international

Mathieu Ratard, diplômé de la licence professionnelle Management des achats et des ventes à l'international

Témoignage
«Les débouchés sont nombreux»

Après un IUT techniques de commercialisation, Mathieu Ratard souhaitait poursuivre sa formation en l'orientant vers l'international et en privilégiant l'alternance. «Dans le cadre de l'IUT, certains enseignements concernaient les achats. Cela m'a intéressé et j'ai souhaité approfondir mes connaissances en la matière.» En 2005, il opte pour la licence professionnelle Management des achats et des ventes à l'international (Mavi), enseignée à Nancy 2. L'alternance s'effectue au rythme hebdomadaire de trois jours en entreprise et deux jours en cours. Mathieu Ratard effectue son stage au service achats d'une PME de la Meuse spécialisée en microélectronique. Ses missions étaient de plusieurs ordres: sourcing sur l'approvisionnement et rationalisation du prix des matières premières notamment. Aujourd'hui, le jeune homme est responsable marketing et commercial dans une PME tournée vers l'import/export. Grâce au côté opérationnel de la licence professionnelle, les débouchés sont nombreux. «En plus de l'expérience sur le terrain, très appréciée des employeurs, l'enseignement en licence pro m'a beaucoup apporté, notamment les cours de négociation ou de marketing international, qui collent parfaitement aux problématiques des entreprises.» S'il compte retourner aux achats un jour, sa connaissance du domaine lui est, pour le moment, très utile dans la vente. «Cela me permet de comprendre quelles sont les marges de manoeuvre dans les deux fonctions.»

 
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Florent MAILLET

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