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Les hôpitaux achètent groupés

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Dans un contexte budgétaire et économique tendu dans les hôpitaux, où la fonction achats émerge à peine, les groupements d'achats montent en puissance. Les gains obtenus grâce à cette massification doivent désormais être pérennisés en harmonisant davantage les besoins et en partageant les informations.

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@ FOTOLIA/MARTIN CHALOU/LD

Les groupements d'achats hospitaliers affichent une belle santé. La Fédération hospitalière de France (FHF) en dénombre plus de 340 aux niveaux national, régional et départemental. «Historiquement, les groupements d'achats ont toujours existé mais ils se cantonnaient à quelques domaines restreints, comme l'alimentation», résume Yves Gaubert, responsable des finances à la FHF. Désormais, la mutualisation s'accélère et englobe tous les domaines de l'achat hospitalier, y compris les médicaments, le premier poste de dépenses (lire encadré page 70). Cette massification des achats a pour but principal de dégager des économies, dans un contexte où les ressources budgétaires se tendent.

Si, au nom de leur autonomie administrative, les établissements restent les maîtres d'oeuvre de ces projets, le ministère encourage ce mouvement au travers du plan d'optimisation des achats. Baptisé Achats Dhos, ce dernier a été mis en place et piloté, depuis 2006, par la Direction de l'hospitalisation et de l'organisation de soins (Dhos), qui dépend du ministère de la Santé. «Avec le relais des agences régionales d'hospitalisation (ARH) et des fédérations, nous favorisons la plus large mobilisation des acteurs hospitaliers, précise Marie Wattebled, chargée de mission achats à la Dhos. Nous soutenons des projets de mutualisation et d'optimisation, notamment ceux qui consistent à grouper les achats aux niveaux national ou régional, ou à partager leurs expertises.» La Dhos met à la disposition des ARH ou des établissements ses relais sur le territoire, qu'il s'agisse de ses 18 chargés de mission achats régionaux ou d'autres types de ressources, tels que des aides financières. La Dhos participe également à la définition des orientations stratégiques, suit les résultats obtenus et anime le partage des réflexions et des expériences. Un chantier aux enjeux colossaux, au regard des 27 milliards d'euros d'achats annuels des hôpitaux publics et privés.

Ces regroupements interétablissements ont aussi vocation à gommer les contraintes structurelles que rencontrent les hôpitaux sur le plan des achats. Et elles sont nombreuses: atomisation de la fonction achats jusqu'à une quinzaine d'interlocuteurs au sein d'un même établissement (pharmaciens, responsables des services économiques, ingénieurs biomédicaux...); fournisseurs en situation de quasi-monopole sur des catégories médicales; ou, encore, régime de prix fixés par l'administration, à l'image des médicaments remboursables par l'assurance-maladie. S'y ajoute une culture de la performance économique encore timide. «Les impératifs de qualité et la spécificité de la mission de l'hôpital ont longtemps servi de prétexte pour ne pas acheter efficacement», analyse Zeev Flath, consultant au sein du cabinet 2C Management, qui intervient régulièrement pour des missions de conseil ou de formation auprès de centres hospitaliers.

Interview
«La massification des achats nous inquiète»

Jean-Bernard Schroeder est le directeur de la réglementation marchés au Snitem, une organisation professionnelle des fabricants de dispositifs médicaux, à laquelle adhèrent près de 230 entreprises, dont la moitié sont des petites et moyennes entreprises.


En tant qu'interlocuteur commercial des hôpitaux, comment jugez-vous leur volonté de professionnalisation?
Ce phénomène est déjà à l'oeuvre à grande échelle depuis plus de quatre ans et il est fortement encouragé par le ministère de la Santé. La situation est telle qu'aujourd'hui, seuls quelques petits centres hospitaliers ne doivent pas encore faire partie d'un groupement de commandes. Je comprends la logique économique des regroupements d'achats et de la mutualisation des expertises. C'est un palier que le privé a également dû franchir.
Mais les entreprises de notre filière sont inquiètes. Elles redoutent cette massification car elle opère un trop grand déséquilibre en faveur des hôpitaux. Si nous prenons l'exemple de l'article 8 du code des marchés publics: celui-ci permet aux hôpitaux de se grouper pratiquement sans limites. En face, si nos entreprises et PME veulent faire de même pour répondre au marché, elles doivent se baser sur l'article 51 du code, qui est très restrictif, notamment en matière de respect de la concurrence. Nous avons consulté la Direction de la concurrence (DGCCRF, NDLR) afin qu'elle nous donne la marche à suivre.
Nous attendons toujours qu'elle nous réponde. Dans le contexte très concurrentiel entre les entreprises de notre filière, la situation actuelle risque rapidement de fragiliser nos petites entreprises.


Sur certains segments, les baisses de prix ont atteint 10%. Vos tarifs précédents étaient-ils trop élevés?
La baisse des prix ne signifie pas que les entreprises réalisaient des marges trop importantes. D'abord, et cela est logique d'un point de vue économique, toute massification entraîne mécaniquement une baisse des prix. Ensuite, il est faux de comparer la situation actuelle avec celle qui prévalait il y a quelques années. Tout simplement parce que les entreprises ont beaucoup investi pour améliorer leur productivité. De plus, nos prestations ne se cantonnent pas à la simple livraison d'un produit. Nous délivrons aussi des services annexes non contractuels, comme la formation ou l'accompagnement, qui risquent de disparaître avec nos marges si les prix sont trop tirés vers le bas.


Comment s'organisent les entreprises de votre filière et quelles initiatives menez-vous pour répondre à cette nouvelle donne?
Nous essayons de garder le contact avec les grands groupements d'achats comme GCS UniHA ou le Resah Ile-de-France pour informer nos adhérents sur les stratégies de ces groupements. Ces derniers ont récemment pris conscience que, s'ils veulent appliquer leur politique, il faut qu'il y ait suffisamment d'entreprises pour créer une concurrence.

Le mastodonte UniHA

Aujourd'hui, le monde de l'achat hospitalier compte plusieurs champions. Au niveau national, trois acteurs principaux émergent. Le premier est UniHA. Créé en 2006, ce groupement de coopération sanitaire (GCS) est un véritable mastodonte. Il regroupe les 52 établissements hospitaliers les plus importants et pèse, potentiellement, près du tiers du montant des achats hospitaliers en France (7,5 milliards d'euros). Il repose sur une entité centrale, composée d'une demi-douzaine de personnes, à laquelle s'ajoutent 18 filières d'achats coordonnées par des hôpitaux. Par exemple, le CHU de Marseille est spécialisé dans les achats de NTIC, celui de Nancy pilote la filière Hygiène... Pour épauler les coordonnateurs de filières, UniHA a recruté une quinzaine d'acheteurs et pharmaciens spécialisés, parfois dans le secteur privé. La deuxième initiative nationale concerne les centres de lutte contre le cancer. Ces derniers ont créé, en 2006, un consortium d'achats regroupant 20 centres. Enfin, la Fédération des établissements hospitaliers et d'aide à la personne (Fehap) multiplie les initiatives de professionnalisation des achats de ses adhérents depuis 2007 (formation, benchmarking) et semble s'orienter également vers ce modèle.

La même vitalité est de mise au niveau régional, où les établissements capitalisent en plus sur les premières expériences des groupements d'achats départementaux. Le Réseau des acheteurs hospitaliers d'Ile-de-France (Resah IDF), qui existe depuis 2006, en est l'une des figures de proue. Cent seize établissements ou adhérents ont rejoint ce groupement d'intérêt public (GIP). «Nous gérons d'ores et déjà un volume d'achat de 20 0 millions d'euros sur un potentiel de plus d'un milliard», détaille son directeur, Dominique Legouge. Le GIP utilise deux leviers d'actions. Le premier est le groupement de commandes régional. Quand celui-ci n'est pas envisageable (besoins différents, achat spécifique...), le réseau propose à ses adhérents l'expertise d'un groupe de benchmarking et d'appui (GBA) qui met à disposition des études de marché, ou suit l'exécution des contrats. Cinq GBA sont déjà actifs: nettoyage, restauration, location-entretien de linge, chauffage et fluides médicaux. Autre exemple: en Bretagne, le réseau Achats Santé se présente sous une autre forme, celle d'une association loi 1901. «Nous ne sommes pas un acteur direc tement opérationnel mais plutôt une structure de coopération», précise Benoît Rault, directeur achats du centre hospitalier de Lannion et président du conseil d'administration. Le réseau, créé en 2007 avec appui de l'ARH, accompagne ses adhérents pour constituer une quinzaine de groupements de commandes dans les domaines où les besoins convergent (fournitures de bureau, produits d'entretien, fioul...). En parallèle, il anime et coordonne une plateforme de comparaison de prix et d'échange d'informations.

Des marges phagocytées?

Si ces groupements restent hétérogènes, tant du point de vue de l'étendue de leurs missions que des moyens dont ils disposent, leur premier bilan est encourageant. Par le truchement de la seule massification, les gains obtenus flirtent en moyenne avec les 10% par rapport aux prix «historiques» qu'obtenaient les hôpitaux. Mais, si le champ est encore large, cet exercice a aussi ses limites. «Des gains seront effectués dans les secteurs où la concurrence est réelle, par exemple celui des micro-ordinateurs, analyse Yves Gaubert (FHF). En revanche, il existe de multiples domaines où les fournisseurs sont peu nombreux, notamment sur certains médicaments très innovants. Ces derniers mois, leurs prix ont augmenté de plus de 15%. Au final, il existe un risque que les marges dégagées soient phagocytées.» La logique de regroupement doit donc dépasser le cadre de la simple massification et concrétiser la seconde phase de professionnalisation: structurer la fonction achats pour travailler sur la définition du besoin, partager l'expérience et les cahiers des charges, connaître le marché fournisseurs... tout en se dotant de véritables outils achats.

Plusieurs initiatives récentes montrent la marche à suivre. C'est le cas dans la région du Limousin où, après la création d'un groupement de commandes permanent, une plateforme électronique d'échange sur les achats hospitaliers a vu le jour. «Elle facilite le partage de bonnes pratiques et de cahiers des charges, la comparaison des coûts d'achats et la notation des fournisseurs, en les évaluant sur le respect des délais de livraison ou la qualité du produit», explique Fabien Laleu, chargé de mission achats à l'Agence régionale d'hospitalisation, à l'origine du projet. Cent trente établissements sont aujourd'hui inscrits sur cette plateforme. Depuis 2007, ils peuvent y comparer le prix unitaire de près de 1 000 produits courants et de 300 références pharmaceutiques, mis en perspective avec le volume acheté et la remise obtenue du fabricant ou du distributeur... «L'objectif est d'avoir un benchmark régional des prix afin de mieux préparer son appel d'offres», insiste Fabien Laleu. L'outil va se perfectionner en 2009: les évolutions de prix seront par exemple intégrées dans la base de données.

Il existe aujourd'hui en France une dizaine d'autres plateformes régionales du même modèle. L'outil du Limousin séduit d'ores et déjà les voisins du «grand Sud-Ouest». «Nous étudions la possibilité d'évoluer vers une grande plateforme interrégionale», confie Fabien Laleu. Les hôpitaux d'Aquitaine, du Poitou-Charentes ou de Midi-Pyrénées sont intéressés. La mise en place d'une plateforme nationale recensant l'ensemble des données du territoire est d'ailleurs toujours dans les cartons du ministère de la Santé.

Si les coordinations arrivent peu à peu à un point d'équilibre, reste à diffuser, puis à consolider la culture achats au sein même des hôpitaux, auprès d'agents issus de fonctions juridique et administrative. «Une fois les établissements regroupés, la démarche demande à être structurée et nous devons faire appel à des professionnels de l'achat et du management», résume Michel Hiff, directeur adjoint du CH de Montauban. Cela passe par le volet formation. En Midi-Pyrénées, une cinquantaine d'établissements, dont Montauban, ont ainsi fait appel à l'ESC Toulouse, qui propose l'un des meilleurs masters achats en France. Le programme est divisé en trois parties. D'abord, les enseignants du master ont organisé un séminaire de benchmarking organisationnel. «Il s'agit de comparer notre organisation avec celles d'autres structures ou entreprises ayant le même profil sur notre territoire: comment gèrent-elles leurs approvisionnements, disposent-elles par exemple d'un magasin central pour plusieurs entités? Etc. Nous replaçons ainsi la question de l'achat dans le cadre plus large de la structure et de ses objectifs», explique Michel Hiff. Un premier séminaire s'est déroulé début décembre 2008. Dans un second temps, l'ESC Toulouse fournira un diagnostic des pratiques actuelles dans les hôpitaux, les étudiants du master y travaillant depuis ce mois de février. Enfin, une demi-douzaine de séminaires de deux jours seront consacrés à des échanges, principalement avec des professionnels du privé. Au menu: sourcing et performance, organisation achats et approvisionnement... «Il s'agit de montrer aux agents des hôpitaux ce qui se fait en entreprise, tout en tenant compte de leur spécificité, notamment leur soumission au code des marchés publics», résume Christophe Bernard, directeur du master achats, logistique et échanges internationaux à l'ESC Toulouse.

Coordonner les multiples entités achats

La prise de conscience du levier achats conduit, enfin, à faire émerger la fonction au sein des hôpitaux. La tâche la plus ardue consiste à coordonner les multiples entités acheteuses. Aux Hospices civils de Lyon, par exemple, la coordination de la direction achats a vu le jour en 2008, sous l'impulsion du directeur général. «La première mission consiste à travailler en transversal afin d'assurer une cohérence de la politique d'achats avec les trois entités acheteuses que sont la pharmacie centrale, la direction des affaires techniques et la direction des affaires économiques», explique Pierre Kempf, le directeur de la coordination achats. En parallèle, la direction travaille à la valorisation de la fonction. Cette démarche passe notamment par une très bonne connaissance des besoins et des contraintes des utilisateurs internes. Dans cette optique, les acheteurs ont notamment reçu une formation sur le thème de la qualité. Un prérequis essentiel dans les hôpitaux, au regard de leur mission de service public.

Si l'émergence progressive de ces champions de l'achat est saluée du côté des acheteurs publics, elle est accueillie avec beaucoup plus d'interrogations par les fournisseurs. Ces derniers bénéficiaient jusqu'alors d'une demande atomisée. Désormais, le rapport de force se rééquilibre, d'autant plus sur les segments où la concurrence est faible. «Les fournisseurs ont pu être inquiets devant la mutualisation de nos achats, mais il était nécessaire d'atteindre une taille critique dans certains secteurs de l'économie, comme pour certains médicaments», confie Pierre Kempf (Hospices civils de Lyon et membre d'UniHA). «La massification doit être pratiquée à bon escient, ajoute Dominique Legouge (Resah IDF). Par exemple, nos niveaux de commandes ont fait émerger un troisième concurrent dans le domaine de la gestion des déchets hospitaliers, là où existait un duopole. Mais nous devons nous adapter aux différentes réalités des marchés.»

A lire

Les achats hospitaliers: vers une nouvelle gouvernance Par Dominique Legouge, 290 pages, Editions Berger Levrault, janvier 2008, 45 Euros.

Prudence vis-à-vis des fournisseurs

Les fournisseurs sont montés au créneau sur des segments économiques où la concurrence est grande et les opérateurs de taille moyenne. Et quelques événements ont rappelé aux acheteurs leur devoir de prudence. En Midi-Pyrénées, tous les fournisseurs de produits laitiers se sont par exemple retirés d'un appel d'offres lancé il y a quelques mois par le groupement d'achats, pour cause de manque de visibilité sur leur prix de revient. De leur côté, les fabricants de dispositifs médicaux donnent également de la voix (lire interview page 69). «Nous avançons avec précaution, assure Pierre Kempf. Notre intérêt n'est évidemment pas de détruire la concurrence. Il existe des secteurs où nous devons encore grandir, comme les télécoms, et d'autres où la massification peut avoir des effets néfastes, par exemple pour les médicaments génériques, où il existe plusieurs fournisseurs de petites ou moyennes tailles.» Les contre-feux ont déjà été allumés, à l'image du Resah IDF, qui a adhéré en 2008 au pacte PME (qui favorise les relations avec les PME innovantes) ou a conclu un partenariat avec Biocritt Ile-de- France, pour favoriser l'innovation et la diffusion des technologies médicales innovantes des PME franciliennes. Mais si la mutualisation fait grincer des dents chez les fournisseurs, ces derniers vont désormais devoir composer avec cette nouvelle donnée dans les achats publics. L'évolution des achats hospitaliers préfigure par exemple celle des achats de l'Etat, qui compte multiplier les marchés interministériels. Dans un contexte où les marges budgétaires s'érodent, la question se posera tôt ou tard au niveau des collectivités locales.

 
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Florent MAILLET

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