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Les avocats sont-ils des fournisseurs comme les autres?

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Les prestations d'avocats sont une famille d'achats sensible et difficile à appréhender. Les directions juridiques, et surtout les cabinets d'avocats, vivent très mal l'intervention des acheteurs. Ces derniers, accusés de ne s'intéresser qu'au coût de la prestation, doivent vaincre bien des préjugés.

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Un célèbre cabinet a facturé l'an dernier près de 6 millions d'euros d'honoraires à une grande entreprise française. Un volume d'achats a priori optimisé, puisque la direction générale avait chargé la direction achats de référencer un panel d'avocats et de négocier le prix des honoraires. Et pourtant, pas une seule affaire traitée par ce cabinet n'est passée entre les mains de ce service. La raison? La direction juridique de l'entreprise et le cabinet se facturaient des prestations en dessous des seuils déterminés par la direction achats, pour éviter que cette dernière ne rentre dans la boucle! Dans le jargon des fournisseurs, cette pratique s'appelle le «saucissonnage».

Cet exemple témoigne des relations pour le moins tendues qu'entretiennent directions juridiques, cabinets d'avocats et services achats. Dans l'univers des prestations intellectuelles, les acheteurs s'attaquent ici à un nouveau pré carré. «Les directions achats ont leur mot à dire, mais elles avancent en terrain miné», commente François-Xavier Terny, président de Masaï, cabinet de conseil en optimisation des coûts. Toutefois, le sujet reste délicat. «On en parle, mais relativement peu», tempère Christian Vormus, directeur associé d'Alinitia et président du groupe d'études et de benchmarking prestations intellectuelles à la CDAF (Compagnie des acheteurs de France).

Et pourtant, les services achats interviennent de plus en plus souvent dans l'acquisition de prestations d'avocats. Dans une enquête réalisée en 2005 par le cabinet de conseil Day One, 65 % des avocats interrogés confiaient rencontrer «parfois» les directions achats. «Aujourd'hui, le même pourcentage de cabinets répondrait qu'ils sont «presque toujours» en relation avec les acheteurs», observe Olivier Chaduteau, associé chez Day One. Déjà à l'époque, l'enquête notait que les directions achats des grandes entreprises étaient systématiquement impliquées dans le processus. Près de 70 % des directeurs juridiques avaient toutefois insisté sur le fait qu'ils étaient bien les décideurs ultimes, preuve s'il en est d'une certaine méconnaissance du rôle de la fonction achats: analyser les besoins de l'entreprise, rechercher les meilleurs prestataires, négocier et enfin préconiser. En outre, ce travail repose sur une étroite collaboration avec les autres directions de la société. «Un acheteur qui prend seul en main ce dossier court tout droit à la catastrophe!», prévient François- Xavier Terny.

François-Xavier Terny, Masaï

«Les directions achats ont leur mot à dire, mais elles avancent en terrain miné.»

Un dossier jugé sensible

 

Si le sujet n'est pas abordé régulièrement dans les clubs et les associations d'acheteurs, le cadre des bonnes pratiques est désormais connu. L'intervention des services achats se matérialise par la constitution de panels de cabinets d'avocats, référencés en fonction de leur expertise juridique. Au-dessus d'un certain seuil, les directions opérationnelles de l'entreprise sont tenues de lancer un appel d'offres auprès des cabinets référencés ou de s'adresser directement à l'un d'entre eux. Le recours aux cabinets non référencés est interdit, sauf dérogation spéciale. «L'objectif des services achats, sous couvert de la direction générale, est que 80 % du budget des directions juridiques passe par ces panels», rapporte Olivier Chaduteau.

Sur un dossier jugé sensible, les principaux critères de référencement sont l'expérience, les références, la réactivité, la capacité d'écoute, la personnalisation et le caractère opérationnel des recommandations. En revanche, le prix, autrement dit le taux horaire pratiqué par le cabinet, n'est pas le premier critère de sélection. «Les méthodes traditionnelles d'achat, basées sur le tarif, ne sont pas adaptées, souligne François-Xavier Terny. L'objectif n'est pas uniquement de réduire les coûts mais de maîtriser ce poste de dépenses.» Des propos corroborés par Christian Vormus: «L'achat d'une prestation d'avocat participe à la notion de gestion du risque dans l'entreprise. Or, le premier risque dans ce domaine est de prendre le cabinet le moins cher.»

Des acheteurs pas toujours les bienvenus

 

Comme les instituts de formation ou les agences de communication avant eux, les cabinets d'avocats ont très mal vécu l'intervention des services achats. «Les cabinets reprochent souvent aux acheteurs de ne pas comprendre les spécificités de leur métier et les particularités de la pratique du droit», explique Olivier Chaduteau, qui regrette pour sa part que les services achats ne jugent pas assez les avocats sur la valeur ajoutée que ces derniers sont susceptibles d'apporter. «Les cabinets veulent être reconnus comme des partenaires et non comme de simples prestataires.» Le principe de référencement pose également un problème déontologique. «Les avocats considèrent qu'ils n'exercent pas une fonction commerciale et qu'il ne leur appartient pas de promouvoir leur expertise pour être référencés», affirme Christian Vormus. Dans ce contexte, les acheteurs ne sont toujours pas les bienvenus. D'après certains observateurs, de nombreux cabinets d'avocats ont tenté et tentent encore de discréditer l'intervention des services achats. Et comme le résume non sans humour François-Xavier Terny: «Les avocats savent très bien se défendre...» Les acheteurs sont prévenus.

Expérience
«Nos juristes utilisent 70 à 80 % de notre panel d'avocats»

FREDERIC DE BROUWER, responsable de la politique avocats au sein de la direction des affaires juridiques de la Société Générale.


Rapportés aux 4 milliards d'euros d'achats annuels de la Société Générale, les frais d'avocats ne représentent qu'une goutte d'eau. «Quelques dizaines de millions d'euros», concède Frédéric de Brouwer, responsable de la politique avocats au sein de la direction des affaires juridiques du groupe de services financiers. Ce «petit» volume d'achats n'a pas empêché la Société Générale de s'y intéresser de près. «Il y a six ans, nous avons commencé à référencer des cabinets d'avocats au niveau du groupe et par pays, se rappelle Frédéric de Brouwer. Les cabinets sélectionnés formaient ainsi des panels. Nos juristes internes et les opérationnels devaient donc s'adresser à eux en priorité. L'objectif était de rationaliser, et surtout de mieux contrôler le recours aux cabinets d'avocats, et d'accroître la sécurité juridique du groupe. Dans ce cadre, nous avons travaillé en étroite collaboration avec la direction achats du groupe.» Sourcing, appel d'offres, négociation de tarifs préférentiels..., l'implication des achats s'est fait remarquer. «Les cabinets d'avocats se sont habitués à l'intervention de la direction achats même si, au début, cela a été difficile pour eux», reconnaît Frédéric de Brouwer. Et pour cause. Les panels sont renouvelés tous les trois ans. Idem en interne où les opérationnels de la Société Générale avaient pris l'habitude de choisir en toute liberté les cabinets d'avocats. Aujourd'hui, le taux d'utilisation des panels est compris entre 70 et 80 %. «Un chiffre qui progresse», se félicite Frédéric de Brouwer.

 
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Sébastien de Boisfleury

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