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Le critère social s'immisce dans les marchés

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Dans le cadre de leur politique d'achats responsables, les organisations publiques réservent, de plus en plus, une partie de leurs marchés à l'insertion sociale. Une stratégie encouragée au plus haut sommet de l'Etat. Retour sur les spécificités de cette démarche.

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De nombreux établissements publics tels que la Bibliothèque nationale de France (BNF) ou la Communauté d'agglomération Rouen-Elbeuf-Austreberthe (CREA), ont mis en place des critères d'insertion sociale dans leurs appels d'offres. Figure de proue dans le domaine des achats durables et responsables, le Service des achats de l'Etat (SAE) travaille actuellement en partenariat avec la Fédération des entreprises de propreté (FEP) à l'application de clauses sociales dans les marchés concernant le nettoyage. «Nous cherchons à prendre en compte le turn-over en remplaçant les employés qui quittent leur entreprise par des personnes rencontrant des difficultés particulières d'accès ou de retour à l'emploi», indique Gérard Brunaud, chargé de mission achats responsables auprès du directeur du SAE. D'autres marchés sont potentiellement concernés : les espaces verts, la restauration collective, la gestion du courrier, la reprographie voire la sécurité.

Autre exemple, en 2009, le SAE a créé un marché pour la collecte, la destruction et le recyclage des déchets des équipements électriques et électroniques (DEEE). « Un choix qui a été fait en prenant en considération la montée en puissance de véritables filières professionnelles des Entreprises adaptées (EA) et des Etablissements et services d'aide par le travail (Esat) dans le domaine de la DEEE, et ce sur l'ensemble du territoire national», précise Gérard Brunaud. Un marché exemplaire qui a permis au Service des achats de l'Etat de remporter le Trophée d'or, dans la catégorie Achats durables, lors de la deuxième édition des Trophées Décision Achats le 9 mars dernier (lire Décision Achats n° 133).

Ces initiatives menées par le SAE s'inscrivent dans une démarche globale. D'ici à 2012, les achats publics socialement responsables devront représenter au minimum 10 % des achats courants sous forme d'heures de travail d'insertion bénéficiant à des personnes éloignées de l'emploi (dans les secteurs comportant au moins 50 % de main-d'oeuvre). Un objectif inscrit dans les Grenelle de l'environnement et de l'insertion, en cohérence avec la Révision générale des politiques publiques (RGPP). Il s'agit aussi de l'un des axes majeurs de la circulaire du Premier ministre du 3 décembre 2008 sur «l'Etat exemplaire dans son propre fonctionnement au regard du développement durable».

@ CHARLY POUPLIN

Intégrer un objectif d'insertion de personnes éloignées de l'emploi dans un marché public ne va pas de soi. »
Gérard Brunaud, SAE

L'insertion sociale, un volet oublié

Pour Gérard Brunaud, « intégrer un objectif d'insertion de personnes éloignées de l'emploi dans un marché public ne va pas de soi». Un constat confirmé par le baromètre sur les «achats responsables» mené par les cabinets A2 Consulting, Mazars, le SAE et la Cdaf. En effet, à la question «favorisez-vous l'insertion par vos achats ?», 60 % des organismes publics interrogés se disent peu ou moyennement avancés. Selon Guy Isimat-Mirin, associé responsable du secteur public du cabinet Mazars, « le volet insertion sociale ne bénéficie pas d'un cadre réglementaire aussi contraignant que celui du développement durable. De plus, les indicateurs d'insertion sont plus larges, moins précis et moins vérifiables ». Un avis partagé par Gérard Brunaud (SAE) qui considère que les achats «socialement responsables» sont les «parents pauvres» de l'achat durable : «Là où, pour «l'achat vert», on observe un consensus assez facile entre les techniciens, prescripteurs, décideurs, juristes et acheteurs, on trouve au contraire tous les freins ou obstacles possibles quant à l'utilisation de clauses sociales dans l'acte d'achat. Pourtant, ce sont les mêmes dispositions réglementaires qui les fondent ou en permettent l'usage. »

Pour mettre en oeuvre un achat socialement responsable, le donneur d'ordres doit donc respecter certaines conditions préalables notamment sur le plan juridique, pratique et au niveau de l'accompagnement. Or, la sécurisation juridique des achats durables et socialement responsables est parfaitement assurée. En effet, des guides sont à disposition, notamment des acheteurs. Des formations ont été mises en place pour professionnaliser les donneurs d'ordres sur ce type d'achats afin qu'ils puissent déceler la bonne adéquation de l'expression du besoin avec la réalité du marché (capacité des structures de l'insertion par l'activité économique à mettre à disposition des personnes, juste appréciation du nombre d'heures de travail et/ou du coût global de la prestation... ). Ainsi, tous les donneurs d'ordres publics ont la possibilité de mettre en place leur «éco et socioresponsabilité» dans le cadre de lois et de règlements.

S'appuyer sur des clauses

Les «clauses» sur lesquelles les donneurs d'ordres publics peuvent s'appuyer sont définies dans le code des marchés publics. Il s'agit de l'article 14 qui permet d'imposer la réalisation d'heures de travail d'insertion dans le cadre de la prestation par des personnes en difficulté et/ou de respecter les recommandations fondamentales de l'Organisation internationale du travail (diversité, non-travail des enfants, etc.). L'article 15, pour sa part, autorise la réservation de lots ou de marchés à des EA ou à des Esat qui emploient une majorité de personnes en situation de handicap. L'article 30 vise les marchés passés «en procédure adaptée» dont l'objet est l'insertion. Enfin, l'article 53 prévoit un critère additionnel d'attribution sur la qualité de l'action d'insertion, utilisable en lien avec la condition d'exécution de l'article 14.

Lorsque l'acheteur public est rassuré sur le plan juridique, il doit veiller à bien définir ses besoins. Cela passe notamment par une bonne connaissance des marchés et de ses acteurs, des produits, des services, des process, des prix de référence, du taux et du niveau de main-d'oeuvre. L'acheteur public doit anticiper et se documenter très en amont sur le lancement de la procédure achat auprès des prescripteurs et techniciens, voire d'autres «parties prenantes», pour jauger le bon niveau d'exigence en matière environnementale et sociale, la juste définition des lots ainsi que les indicateurs de résultats qui mesureront la réussite de la prestation. « Les acheteurs sont responsables de leurs achats et ont besoin d'outils concrets pour avancer dans la bonne direction », rappelle Alain Chatenet, expert achats responsables au sein du cabinet A2 Consulting. Enfin, si le donneur d'ordres souhaite faire réaliser des heures de travail d'insertion en utilisant l'article 14, il est préférable qu'il se fasse accompagner par un «facilitateur». Il s'agit d'un spécialiste appartenant à un organisme qui participe au service de l'emploi local, dans une Maison de l'emploi ou dans un Plan local pour l'insertion et l'emploi (PLIE). Il aidera l'acheteur à informer les entreprises et à suivre la bonne exécution de cette partie spécifique du marché. En la matière, le SAE et l'association Alliance villes emploi ont signé en mars dernier, par exemple, une convention pour développer l'intervention des «facilitateurs» de clauses sociales dans les marchés de l'Etat.

Expérience:
La ville de Puteaux s'engage en faveur de l'insertion sociale

La prise en compte par la mairie de Puteaux des critères d'insertion dans les marchés publics de la ville n'est pas un vain mot. En effet, la collectivité exige des candidats que 5 % des heures de travail consacrées à certains marchés publics (propreté, travaux de rénovation dans le bâtiment...) soient réservées aux personnes rencontrant des difficultés d'accès ou de retour à l'emploi (bénéficiaires de minima sociaux, demandeurs d'emploi de longue durée, personnes ayant une reconnaissance de travailleurs handicapés, jeunes de moins de 26 ans, sans qualification). «Lors du renouvellement, en septembre dernier, du marché relatif au nettoiement de la voirie, des marchés forains et des parkings de la ville, la sélection des candidats s'est effectuée sur la base du critère d'insertion sociale», précise Amel Kherchouch-Havrin, directeur de la commande publique de la mairie. A l'issue de cet appel d'offres, la société Sita a été sélectionnée. Elle proposait 10 % de personnel en insertion sociale pour réaliser cette prestation. Mais la mairie de Puteaux ne compte pas s'arrêter là puisqu'elle est en cours de réflexion au sujet du lancement, courant juin, d'un appel d'offres concernant le nettoyage des locaux de la ville. Le critère de l'insertion sociale devrait, là encore, jouer un rôle important dans l'attribution du marché.

 
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Nathalie Costa

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