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Comment vendre la fonction achats en interne

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Dans les entreprises, l'intervention des services achats ne suscite guère l'approbation des clients internes, qui considèrent les acheteurs comme de simples chasseurs de coûts. Face à ce problème récurrent, les directions achats doivent apprendre à communiquer et à présenter leur valeur ajoutée.

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Mettre fin aux critiques et lever les incompréhensions entre acheteurs et clients internes, tels sont les principaux objectifs d'une bonne communication.

@ GETTYIMAGES/G

Mettre fin aux critiques et lever les incompréhensions entre acheteurs et clients internes, tels sont les principaux objectifs d'une bonne communication.

«Les acheteurs sont souvent perçus comme des enquiquineurs», remarque Tony Bocock, directeur associé du cabinet de conseil Better Buying Concepts. Dans beaucoup d'entreprises, ils ne sont pas toujours très bien vus par les autres services. L'image du chasseur de coûts invétéré, qui ne pense qu'aux prix, colle encore à la peau d'un bon nombre d'entre eux. Résultat, l'intervention des achats ne suscite guère l'approbation des clients internes qui restent méfiants. «Les prescripteurs internes ne comprennent pas toujours le rôle de la fonction achats, précise Fabrice Ménelot, directeur associé du cabinet de conseil Crop & co. Il faut donc le leur expliquer.» Problème, les acheteurs ne sont pas réputés pour leur grand sens de la communication. «Ils n'ont pas été formés à cela, se défend Xavier Robaux, consultant associé au sein du cabinet Erics Associés. Les achats sont essentiellement assimilés à la négociation. Or il existe d'autres leviers, tels que la qualité, le travail sur le panel fournisseurs, etc., et c'est sur cela qu'il faut communiquer.» Ce rôle devrait logiquement revenir au directeur achats de l'entreprise. Certains s'en occupent, mais la plupart d'entre eux n'ont pas le temps. Enfin, quelques acheteurs communiquent sans le savoir. Cependant, ils restent encore isoles.

Evidemment, il existe des exceptions. De grandes entreprises, telles que la Société Générale ou Michelin, disposent à l'intérieur de leur direction achats d'une cellule communication dédiée à la promotion des achats en interne auprès des collaborateurs des autres services, et parfois en externe vis- à-vis des fournisseurs. Ces cellules ne sont pas nécessairement composées d'acheteurs métier mais plutôt de professionnels (chargés de communication, rédacteurs internes, attachées de presse, etc.), capables de délivrer des messages clairs et compréhensibles pour le reste de l'entreprise.

Fabrice Ménelot, Crop & co

«Les prescripteurs internes ne comprennent pas toujours le rôle de la fonction achats. Il faut donc le leur expliquer«.

Se racheter une image en interne?

 

«La communication est très liée à la maturité achats de l'organisation, explique Fabrice Ménelot. Au départ, les achats communiquent peu en interne, c'est une fonction essentiellement réactive. Puis, un mode de fonctionnement est défini, ainsi que des pratiques achats. C'est seulement après ces deux premières phases que la direction achats va s'intéresser à la promotion de ses pratiques auprès des clients internes.»

Ces dernières années, certaines directions achats ont également communiqué plus qu'à l'accoutumée, notamment autour des thématiques liées au développement durable. Mais il s'agissait plutôt d'actions de communication ponctuelles, davantage destinées à se racheter une image auprès des clients internes échaudés par les plans de réduction des coûts drastiques mis en place depuis la fin des années quatre-vingt-dix. D'autres estiment que la communication autour des achats durables permet de se faire bien voir de la direction générale. Plus récemment, les directions achats de grands groupes industriels ont organisé des événements destinés à récompenser leurs meilleurs fournisseurs. Même s'il s'agit avant tout de communication externe, l'impact en interne n'est pas neutre. Ce genre de manifestation montre aux autres services que les achats peuvent entretenir des relations constructives avec les fournisseurs, pas uniquement basées sur la réduction de coûts.

En outre, le profil des directeurs achats a lui aussi évolué. Auparavant, il s'agissait surtout d'ingénieurs très peu portés sur la communication. L'arrivée des quadras issus des écoles de commerce à la tête de services achats, au début des années 2000, a changé la donne. Ces derniers sont davantage disposés à communiquer avec les autres services. Enfin, depuis quelques années, les acheteurs s'attaquent à de nouvelles familles, principalement dans le domaine des achats hors production. Expliquer le rôle de la fonction achats était un préalable indispensable a toute intervention, d'autant que clients internes et fournisseurs estimaient que l'on ne pouvait pas acheter des prestations intellectuelles comme «des boulons, des gommes ou des crayons» selon l'expression consacrée.

Pourquoi communiquer et sur quel sujet?

 

Pourquoi un service achats a-t-il intérêt à communiquer? Les raisons peuvent être multiples, comme l'explique Tony Bocock: «Recueillir l'adhésion interne aux projets achats, asseoir l'influence des acheteurs dans l'entreprise, attirer des compétences extérieures vers les achats, etc. Les objectifs sont très variés d'une entreprise à l'autre.» Une mauvaise communication est souvent à l'origine de critiques et d'incompréhensions entre les acheteurs et les clients internes. Résultat, la résistance au changement, à laquelle les achats sont souvent confrontés, n'en est que plus forte. L'intérêt est aussi d'exister. «Si l'acheteur ne communique pas, il risque de se retrouver en bout de processus, intervient Xavier Robaux. Une bonne communication lui permet d'être intégré plus en amont, ce qui est très important lorsque l'on sait que 80 % des coûts sont déterminés au début des projets.»

» Une fois qu'elle a défini pourquoi il lui était nécessaire de communiquer, la direction achats doit déterminer les messages qu'elle souhaite faire passer. «Souvent, les achats se demandent d'abord vers qui communiquer et seulement après sur quoi, reproche Tony Bocock. Dans la pratique, il faut faire l'inverse.» Dans un premier temps, il est nécessaire de faire le point sur les grandes lignes de la politique achats de l'entreprise: organisation, processus et outils, stratégie fournisseurs, périmètre d'intervention, moyens financiers et techniques, etc. Ce travail introspectif peut être complété par un questionnaire adressé aux clients internes, afin de connaître également leur perception de cette politique. Dans un deuxième temps, il faut définir ce sur quoi on va communiquer. «Le danger est de délivrer des messages trop incohérents. Or, on constate souvent, sur le terrain, que les acheteurs en font un peu à leur sauce», reprend Tony Bocock. Organiser sa communication est incontestablement le signe d'une professionnalisation des achats dans l'entreprise. «Il faut s'être mis d'accord sur la valeur ajoutée des achats dans les processus de l'entreprise, la mesurer puis la communiquer», résume Xavier Robaux. Outre les réductions de coûts, le cabinet Better Buying Concept a par exemple listé tout ce que peut «vendre» l'acheteur: l'intérêt de respecter les contrats en place, le choix de nouveaux fournisseurs, dont les idées et propositions pourront être novatrices pour l'entreprise, les initiatives du service achats en matière de procédures et d'outils, des propositions de collaboration interne, etc.

Présenter les achats comme un apporteur de solutions

 

Lorsqu'elle décide de communiquer, la direction achats doit éviter plusieurs erreurs. La première est de se focaliser uniquement sur les succès chiffrés du service achats. «Il faut éviter de ne parler que de chiffres, sinon l'acheteur est trop vite assimilé à un simple négociateur», conseille Xavier Robaux. «En outre, l'acheteur ne doit pas trop tirer la couverture a lui ou verser dans l'autosatisfaction», explique de son côté Fabrice Ménelot. Il ne faut pas oublier que la finalité n'est pas tant de promouvoir la fonction achats en interne que de la présenter comme un apporteur de solutions. «Les acheteurs ont tendance à vendre la fonction achats... comme des acheteurs!, s'en amuse le directeur associé du cabinet Crop & co. Au contraire, ils doivent développer tout un argumentaire autour des services qu'ils peuvent apporter à chaque client interne, comme des vendeurs le feraient.» Selon Fabrice Ménelot, cette prise de conscience est assez violente chez les acheteurs. «Ils perçoivent seulement à ce moment- là qu'ils doivent adopter un autre comportement pour être intégrés», affirme ce dernier. Bref, l'acheteur doit se mettre dans la peau d'un commercial, ce qui implique de connaître ses dossiers (contexte, contraintes...), d'être à l'écoute des acteurs (besoins, directives, stratégies, etc.), de comprendre leurs attentes, de chercher et de proposer des alternatives plus acceptables, et, in fine, de développer des arguments convaincants.

La deuxième grande erreur est de vouloir communiquer de manière identique, quel que soit l'interlocuteur. «Il faut mettre en place une communication personnalisée, estime Fabrice Ménelot. Un dirigeant n'a pas besoin de la même nature d'informations qu'un service marketing ou qu'un bureau d'études.» Tony Bocock abonde dans ce sens: «Chaque interlocuteur possède une vision différente des achats. La direction générale veut des résultats. Les clients internes souhaitent des contrats performants et de qualité.» La communication sera donc différente selon que l'acheteur se trouve devant la direction générale, devant des fonctions supports (marketing, commercial, DRH, etc.), techniques (bureau d'études, recherche et développement, service qualité, service logistique, etc.) ou encore devant les utilisateurs internes.

La troisième erreur est de ne pas s'intéresser, au final, aux prescripteurs internes. «Dans la pratique, on s'aperçoit que les acheteurs ne connaissent pas bien leurs interlocuteurs et qu'ils ne prennent pas la peine de les rencontrer», observe, depuis plusieurs années, Fabrice Ménelot. Pour sa part, Xavier Robaux note que «les acheteurs communiquent beaucoup plus facilement de façon hiérarchique», mais convient «qu'ils ne vont pas beaucoup vers les clients internes.» Un comble lorsque l'on sait qu'ils doivent, en théorie, travailler avec les prescripteurs sur l'expression des besoins, la rédaction des cahiers des charges, etc. «L'acheteur doit faire preuve d'empathie et savoir écouter activement les autres», résume Tony Bocock.

PIERRE-YVES BEAUME, directeur achats France, Johnson & Johnson

PIERRE-YVES BEAUME, directeur achats France, Johnson & Johnson

Temoignage
«Nous avons adopté une véritable démarche de vente»

La création de la direction achats France du groupe Johnson & Johnson remonte à 2004. «A l'époque, personne ne connaissait la fonction achats», se souvient Pierre- Yves Beaume, son directeur achats, qui gère aujourd'hui un budget d'environ 300 millions d'euros, dont la moitié concerne les achats de marketing. Pour expliquer les tenants et aboutissants de son métier, ce dernier a très vite décidé de mettre en place une communication pour «vendre» la fonction en interne. «Nous nous sommes retrouvés dans une véritable démarche de vente, reprend ce dernier. C'est pourquoi nous nous sommes basés sur des méthodologies de pur vendeur. Les acheteurs ont souvent un langage très technique que la plupart des clients internes ne comprennent pas. L'objectif était donc de simplifier notre discours.» Ainsi, une quinzaine de fiches «produit » ont été définies. «Il s'agit d'un solide argumentaire de vente sur les produits achats que nous mettons à disposition de nos clients. Par exemple, nous avons une fiche produit sur «l'appel d'offres» où nous expliquons à nos interlocuteurs que cette procédure n'est pas uniquement synonyme de devis», détaille Pierre- Yves Beaume. La communication s'adapte également au profil de chaque client interne. «Ils sont très différents les uns des autres. Chaque client interne peut se définir sur quatre axes: son niveau de maturité achats, son influence dans la société, ses attentes (de la sécurité, de la nouveauté, etc.) et enfin son degré de conviction par rapport à la fonction achats. Il y a les sponsors, les convaincus, les neutres et enfin les non-convaincus. Nous avons ainsi construit un argumentaire de vente pour chaque profil.» Pour le directeur achats, le bilan est aujourd'hui positif.
«Les clients internes se tournent plus facilement vers nous. D'ailleurs, nous constatons que les acheteurs sont impliqués de plus en plus en amont des projets. Nous mesurons également le nombre de clients convaincus et celui-ci est en augmentation, y compris dans de nouvelles familles d'achats», conclut avec satisfaction Pierre- Yves Beaume.

Johnson & Johnson

ACTIVITE: groupe spécialisé dans les produits pharmaceutique, cosmétiques et dispositifs médicaux.


CHIFFRE D'AFFAIRES: 1,6 milliard d'euros (2006).


EFFECTIF FRANCE: 4100 personnes.

Un plan de communication à l'année

 

La communication d'un service achats ne doit pas être ponctuelle mais s'exercer tout au long des process achats. Lors de l'expression des besoins et de la phase de sourcing, le département doit informer les clients internes des initiatives qu'il met en oeuvre et des enjeux qui en découlent. Par exemple, les prescripteurs internes ne voient pas toujours l'intérêt de changer de fournisseurs. Une communication adéquate permettra d'expliquer pourquoi il peut être intéressant pour l'entreprise de retenir un autre prestataire. Pas nécessairement pour une question de coût, mais aussi pour la qualité, l'innovation ou la flexibilité de tel ou tel nouveau fournisseur. Lors ae l'appel d'offres, il ne faut pas hésiter à partager les premiers résultats issus du dépouillement. Une bonne communication permettra de valoriser les recommandations des acheteurs et de contrer les objections. Enfin, lors du déploiement des contrats, le service achats s'attachera à recueillir satisfactions et insatisfactions des clients internes, puis à les informer dès que des actions correctives sont susceptibles de modifier un ou plusieurs aspects du contrat.

Présentation générale de la politique achats de l'entreprise, journal interne, intranet, plaquettes «commerciales», séminaires, formations... Les moyens de communication à la disposition des acheteurs sont nombreux. «Il faut trouver celui qui convient le mieux, explique Tony Bocock. Sur le fond, c'est facile. Mais sur la forme, l'acheteur trébuche souvent.» Une collaboration étroite avec le service communication peut s'avérer nécessaire. L'objectif est de détecter et de mettre en oeuvre une communication qui marche. «Il faut bâtir un véritable plan, assène Fabrice Ménelot. Quelle cible? Quel message? Quel support? A quelle fréquence?»

L'important est aussi de coller à la culture de l'entreprise. Si cette dernière est adepte des newsletters, inutile de se lancer dans la réalisation de petits livrets expliquant les tenants et aboutissants de la fonction achats. Dans la pratique, la communication écrite se veut toutefois plus efficace, y compris là où on ne l'attend pas. «Tous les documents écrits sont l'occasion de communiquer, intervient Tony Bocock. Par exemple, lors des appels d'offres, les notations multicritères des fournisseurs deviennent un outil de communication et de travail collaboratif. Cela permet aux achats de démontrer qu'il n'y a pas que le prix comme critère de sélection d'un prestataire.»

Permettre aux achats de sortir de l'ombre

 

Toutes les organisations achats sont concernées. Il n'existe pas de taille critique pour commencer à communiquer. Même un service achats composé d'un seul acheteur a tout intérêt à mettre en place un plan de communication, dans la mesure de ses moyens, pour ne pas se retrouver isolé. Dans les directions achats composées d'une dizaine de personnes, l'organisation de la communication du service pourra revenir soit au directeur achats lui-même, soit à un responsable achats. Pour les très grands groupes, la création d'une cellule communication spécialement dédiée peut se justifier. Le retour sur investissement reste cependant difficilement mesurable.

Selon Fabrice Ménelot, les services achats qui ont mis en oeuvre un plan de communication pour vendre la fonction en interne ne le regrettent pas aujourd'hui. «A posteriori, on constate une vraie demande de la part des autres services, affirme-t-il. L'image des acheteurs est très différente et ils sont intégrés plus en amont des processus. Le succès d'un plan de communication peut d'ailleurs poser des problèmes en matière de ressources internes. Certaines directions achats ne peuvent plus faire face aux demandes de collaboration!»

Pendant des années, les directions achats, en mal de reconnaissance, se sont évertuées à se rapprocher des directions générales pour exister. La mise en place d'un véritable plan de communication, à l'année, se révèle aujourd'hui une alternative efficace, et surtout bien plus rapide. Les achats vont-ils enfin sortir de l'ombre et se mettre à communiquer? Les acheteurs y auraient tout à gagner. «Il faut communiquer. Cela ne se négocie même pas!», conclut avec humour Xavier Robaux.

 
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Sébastien de Boisfleury

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