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Centre d'appels: vers l'utilisation des enchères inversées?

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L'intervention des achats dans l'univers des centres d'appels ne s'est pas opérée sans heurts. Dans un contexte social et économique plus que fragile, les acheteurs ont surtout cherché à tirer les prix vers le bas. Si le climat semble apaisé, l'idée d'utiliser les enchères inversées pour ce type de prestations pourrait remettre le feu aux poudres.

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@ Graphix Images - Augusto Da Silva

Il aura suffi qu'un seul donneur d'ordres, France Télécom, attribue un marché de centres d'appels, à la suite d'un processus d'enchères inversées, pour mettre en émoi toute une profession. De peur qu'une telle pratique ne se généralise, le SP2C (Syndicat des professionnels des centres de contacts) et l'AFRC (Association française de la relation client) se sont emparés de l'affaire et, dans une charte dévoilée en décembre dernier, demandaient aux entreprises «d'en finir avec les enchères inversées». Déjà, en 2001, le groupe Danone avait suscité la polémique en achetant deux prestations de centre d'appels via un système d'enchères. A la clé: 20% d'économies. Mais surtout une qualité de service jugée déplorable par les observateurs de l'époque et un modèle économique intenable pour le prestataire (Télédirect, ndlr).

La volée de bois vert suscitée par les enchères inversées n'est pas propre aux centres de contacts, mais concerne, d'une manière générale, tous les achats de services. D'ailleurs, le secteur reste relativement épargné jusqu'à présent et ce, malgré les effets d'annonces du SP2C et de l'AFRC. Le principal contre-argument est bien connu des acheteurs.

Pression sur les prix

 

Selon tous les fournisseurs, une enchère inversée est uniquement fondée sur le prix, ce qui revient à choisir l'offre la moins- disante, avec des conséquences irréversibles au niveau de la qualité. Sachant que 70% des coûts des centres de relation client sont liés aux rémunérations, les principaux syndicats de salariés dénoncent ce qui reviendrait, selon eux, à mettre aux enchères les salaires des collaborateurs.

Du côté du SP2C et de l'AFRC, on ne voit pas l'intérêt d'utiliser les enchères alors que les achats se sont suffisamment professionnalisés ces dernières années. «Outre le fait qu'elles sont socialement discutables, les enchères inversées n'apportent aucune valeur ajoutée à des procédures d'achats déjà extrêmement élaborées sur les leviers réels d'optimisation de nos métiers», estime Laurent Uberti, président du SP2C et p-dg de la société Acticall. Ces leviers concernent habituellement des indicateurs de productivité, tels que le temps d'attente, la durée des appels ou encore la satisfaction clients. «Je ne me pose pas en donneur de leçons, mais j'estime que les enchères inversées ne sont pas du tout adaptées à l'activité des centres de relation client, tant d'un point de vue social qu'économique», assène Laurent Uberti. Il faut dire que le secteur reste fragile.

En France, le chiffre d'affaires des centres de contacts externalisés est d'environ 1,2 milliard d'euros (source: KPMG). Les principaux acteurs de ce marché se nomment Teleperformance, Arvato, Sitel, Acticall, Transcom, Armatis ou, encore, B2S. Les entreprises du SP2C, qui représente 80% du secteur, ont enregistré une croissance moyenne de 14,5% sur les trois dernières années. Pourtant, le marché est au bord de la crise de nerfs. Entre 2002 et 2005, la profession a subi une période de trouble structurelle, qui s'est notamment traduite par un vaste mouvement de concentration: parmi les 25 premières entreprises du secteur en 2002, près de 15 marques ont disparu en 2005! Par ailleurs, selon le SP2C, les prix des prestations ont baissé de 30% depuis 2003 alors que, dans le même temps, les coûts ont augmenté de 20%. Résultat, la rentabilité des centres de contacts est de plus en plus faible (résultat opérationnel entre 2 et 6%).

Enfin, le secteur doit faire face à la montée de l'offshore, qui a progressé de 89 % en 2005, même s'il ne représente que 11 ,5% du chiffre d'affaires du marché. «Le Smic horaire en France est de 8,27 Euros, contre seulement 0,8 Euros par exemple au Maroc, s'insurge Eric Dadian, président de l'AFRC et p-dg de la société Intracall Center. Dans ces conditions, comment voulez-vous maintenir des emplois dans l'Hexagone et garantir le niveau de qualité requis? Face à la pression exercée sur les coûts, il nous appartient de mieux informer les acheteurs sur notre métier et les critères essentiels de nos prestations.»

Témoignage
«Il faut raisonner en coût global et non par rapport au coût par appel»

CANDIDO PAVON, acheteur en charge des prestations de centre d'appels, Neuf Cegetel.
Sur un volume d'achats annuel de 500 millions d'euros, les centres d'appels représentent une famille d'achats stratégique pour Neuf Cegetel, l'un des premiers opérateurs télécoms alternatifs français. «La relation client est la vitrine de l'entreprise», revendique Candido Pavon, acheteur en charge des prestations de centre d'appels chef Neuf Cegetel. Son importance n'empêche pas l'entreprise d'externaliser ce type de prestations. «Nous travaillons auprès d'une dizaine d'acteurs du marché mais nous ne sommes pas dans une dynamique de sourcing dans ce domaine, reconnaît Candido Pavon. Nous connaissons les professionnels du secteur, avec lesquels, d'ailleurs, nous avons noué de véritables partenariats. Nos critères d'achats sont relativement classiques. Ils reposent sur la capacité et la rapidité des prestataires à traiter nos besoins dans un marché hautement concurrentiel. Nous sommes également attentifs à la formation et au management des téléconseillers afin de tenir nos engagements en termes de qualité de service auprès de nos clients.»
Le groupe Neuf Cegetel possède ainsi près d'une vingtaine de sites, dont 60% à l'étranger, pour un peu plus de 3000 télé conseillers. «L'off shore possède ses limites car le taux de satisfaction clients n'est pas le même que pour un centre de contacts situé en France, tempère néanmoins Candido Pavon. Tout acheteur doit se poser cette question: combien de fois vais-je être obligé de payer une prestation pour que le client soit satisfait? Il faut raisonner en coût global et non en coût par appel.» Concernant l'utilisation des enchères inversées, Candido Pavon reconnaît que Neuf Cegetel s'est posé la question. «Mais nous pensons que ce type d'outil n'est pas adapté à ce jour à l'achat d'une prestation de centre d'appels», insiste-t-il. Les prestataires seront peut-être rassurés.

Davantage de maturité

 

Comme pour beaucoup d'autres prestations intellectuelles, l'intervention des services achats n'est que très récente. «Nos interlocuteurs habituels sont les directions opérationnelles des entreprises: marketing, communication et commercial, témoigne Isabelle Bussel, dg France et Maroc chez Sitel. Cependant, les acheteurs sont de plus en plus impliqués dans les projets, une tendance qui s'est accélérée à partir des années 2003-2004. Cela traduit la volonté des directions générales d'optimiser l'achat des prestations de centre d'appels, un sujet considéré de plus en plus stratégique par les marques.» Dans un premier temps, les services achats vont surtout chercher à tirer les prix vers le bas, une période évidemment mal vécue par les prestataires. Aujourd'hui, ces derniers mettent davantage en avant la maturité des acheteurs sur le sujet. «Il y avait une certaine confusion concernant notre métier, relate Olivier Carrot, directeur commercial et marketing deTeleperformance France. La plupart des entreprises s'imaginaient que l'achat d'une prestation de centre d'appels était d'abord basé sur la technologie. En décomposant les coûts de nos prestations, les acheteurs se sont vite rendus compte que ce n'était pas du tout le cas.»

En effet, la masse salariale représente en moyenne 95,5% des coûts d'une prestation de centre d'appels! Sachant que la plupart des téléconseillers flirtent avec le Smic, une négociation reposant uniquement sur le prix se révèle donc périlleuse, pour ne pas dire dangereuse. Télévente, télémarketing, services clients, supports techniques... Les centres de contacts recouvrent de nombreuses prestations et quasiment autant de modèles économiques. On distingue cependant trois grands types de contrat. Une prestation peut tout d'abord être facturée à l'heure, quel que soit le nombre d'appels. La moyenne du marché se situe entre 28 et 30 Euros. Deuxième possibilité: la rémunération à l'acte ou au contact. Il s'agit du type de contrat le plus fréquent. Les prix pratiqués sont extrêmement variables. Enfin, une formule plus récente consiste à confier au prestataire une base de données clients dont il aura la responsabilité.

Expérience
L'implication des achats chez Bouygues Télécom

En décembre dernier, Bouygues Télécom devenait le premier opérateur de télécommunications à obtenir la certification «NF service centre de relation client» délivrée par Afaq Afnor Certification, pour le périmètre «Forfait Grand Public». Cette certification vient confirmer le choix de l'opérateur de gérer en interne ses six centres de relation client, tous implantés en France, alors que la tendance générale est à l'externalisation. «La relation client est au coeur de notre stratégie, soutient Laurent Biojoux, directeur de la relation client au sein de Bouygues Télécom. Notre objectif est d'être proche d'eux, de créer une relation de qualité et de confiance que nous avons su acquérir avec notre système de gestion interne.» L'entreprise compte ainsi plus de 2000 conseillers de clientèle en CDI.
Néanmoins, Bouygues Télécom s'appuie sur deux prestataires externes, Intracall et Teleperformance, ce qui représente entre 600 et 800 téléconseillers.
Pour l'achat de ce type de prestations externalisées (télémarketing, actes spécifiques, où le sous-traitant possède un savoir-faire, actes mutualisables avec d'autres clients du sous-traitant, etc.), la direction de la relation client est en contact avec le service achats de Bouygues Télécom. «Nous avons un interlocuteur privilégié au sein de la direction achats de l'entreprise, précise Laurent Biojoux. Il co-rédige avec nous le cahier des charges, mène l'appel d'offres et analyse les réponses avant de nous faire ses recommandations. La décision finale nous appartient, sachant que nous recherchons le meilleur niveau de qualité au meilleur coût.» Jusqu'à présent, les enchères inversées n'ont jamais été utilisées pour l'achat d'une prestation de centre d'appels. «Nous n'achetons pas une prestation au rabais! s'insurge Laurent Biojoux. Je préfère miser sur la qualité de la relation avec les hommes pour bâtir sur la durée.» Ainsi, Bouygues Télécom n'a pas changé de prestataires depuis 2001.

Des critères qualitatifs

 

La maturation du marché pousse aujourd'hui acheteurs et prestataires à nouer des relations «gagnant-gagnant», avec une part variable en fonction des résultats obtenus. «Toute la difficulté est de trouver des critères que nous maîtrisons», précise Isabelle Bussel (Sitel). Par exemple, le prestataire peut s'engager à réduire le temps d'attente - ce qui est facilement mesurable -, et obtenir un bonus s'il y parvient. «Un système de bonus/malus peut être inclus dans les structures tarifaires proposées. Le SP2C recommande de fixer des plafonds équivalents à ces bonus/malus, de manière à éviter les dépassements budgétaires côté client et de trop grands risques financiers côté prestataire», prévient Laurent Uberti (Acticall).

Au-delà du prix, plusieurs critères permettent de juger de la qualité de la prestation proposée par le fournisseur par rapport au cahier des charges. Le niveau d'équipements informatiques et télécoms est un préalable indispensable, mais pas nécessairement un critère d'élimination. Le prestataire peut toujours investir... En revanche, la qualité du recrutement, c'est-à-dire le niveau d'études moyen des téléconseillers, est un premier facteur de différenciation. Celui-ci peut être contrebalancé par les programmes de formation mis en place par le prestataire. La qualité de l'encadrement (expérience dans la fonction, le secteur d'activité...) est également un critère de sélection. Tous ces éléments sont autant d'indices qui permettront à l'acheteur de savoir si le fournisseur a la capacité de maintenir la qualité de la prestation dans le temps. Enfin, la force de propositions et de préconisations du prestataire est un élément important à prendre en compte au moment du choix final. Sans oublier les références clients. «Les acheteurs contribuent à la professionnalisation de la fonction en s'appuyant sur des indicateurs objectifs pour attribuer des marchés et mesurer la qualité des prestations», conclut Olivier Carrot (Teleperformance). S'il n'est pas toujours facile, le contact est au moins établi.

Laurent Uberti, Acticall

«Lésantes inversées n'apportent aucune valeur ajoutée a des procédures d'achats déjà extrêmement élaborées.»

 
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Sébastien De Boisfleury

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