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« La pluralité des expériences et des cultures apporte une valeur ajoutée aux achats »

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François Lepauvre a une mission passionnante à remplir : piloter le service achats d'un des grands groupes du CAC 40, Vinci. Ce qui n'est pas une mince affaire quand il faut coordonner les achats en France et à l'international d'un groupe qui réalise 22,6 milliards d'euros d'achats avec 1 000 acheteurs dans le monde.

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Vous êtes diplômé en génie climatique et énergétique et spécialiste de la sécurité incendie. Comment en êtes-vous venu à diriger un service achats ?

François Lepauvre : J'ai intégré le groupe Vinci il y a une vingtaine d'années, et jusqu'en 2007, je remplissais des fonctions opérationnelles dans le métier de la protection incendie. J'ai créé une société de protection incendie en Pologne où j'ai passé six ans (de 1996 à 2002). A mon retour en France, en tant que directeur opérationnel, j'étais également le " directeur correspondant achats" du pôle incendie. L'opportunité de prendre la direction des achats de Vinci Energies s'est présentée à moi en septembre 2007. Je rapporte directement au référent achats au sein du comité exécutif du groupe qui est Jacques Tavernier, p-dg d'Eurovia (pôle Contracting de Vinci).

Un profil d'ingénieur et une pluralité d'expériences, est-ce que c'est cela qui fait une différence aux achats ?

Pour favoriser l'adhésion aux projets achats, coordination et communication sont des axes forts de mon action dans et au dehors de mon équipe.

Ma vision de la fonction achats n'est pas de faire dans l'uniforme. Dans l'équipe rapprochée qui m'entoure (une quinzaine de personnes), j'essaie d'éviter les "monocultures". Je privilégie les profils qui viennent de différents horizons et qui ont des expériences professionnelles très diversifiées. Je crois dans la pluralité des expériences et des cultures pour apporter une valeur ajoutée aux achats. Cela aide à pousser le changement à la fois en interne dans la fonction achats et auprès de nos clients.

Biographie

François Lepauvre, 47 ans, est diplômé en génie climatique et énergétique de l'Ecole nationale des arts et industries de Strasbourg (Ensais/Insa). Il intègre le groupe Vinci en 1992.
Après un passage par les sociétés Wanner Isofi (isolation) et TPI (protection incendie), il part en Pologne de 1996 à 2002 pour créer une filiale et développer l'activité en sécurité incendie.
En 2002, il revient en France. De septembre 2007 à février 2011, il a été directeur des achats du groupe Vinci Energies et depuis le 14 mars 2011, il est directeur des achats du groupe Vinci (France et International).

Comment votre service achats est-il organisé ?

Vinci est un groupe très décentralisé et la structuration du groupe en métiers se reflète dans celle du service achats. Mon rôle est de coordonner les achats pour qu'ils se développent dans l'ensemble du groupe. Pour mener cette mission à bien en France et à l'international, je dispose au niveau du siège d'une structure légère de responsables achats avec lesquels je coordonne les achats groupe. Les achats que nous faisons ici sont complémentaires de ceux faits par les acheteurs des branches métiers. Nous n'avons pas un seul et même ERP groupe mais plusieurs ERP au niveau des métiers. Notre p-dg Xavier Huillard a demandé à ce que nous ayons un outil d'e-procurement commun à tous d'ici trois à cinq ans. Actuellement, nous fonctionnons avec un outil de business intelligence (BI) qui collecte les éléments au niveau des différents ERP pour en faire des bases de données exploitables. Depuis un an, un outil de spend analysis a été déployé avec un travail de fond en parallèle sur les bases de données consolidées à l'aide du BI. Un de mes objectifs est de développer ces outils de spend analysis et de reporting pour obtenir une vision globale des achats. En central, sur les 22,6 milliards de volume d'achats, nous couvrons 5 milliards (achats généraux et génériques). Dès qu'un sujet est traité au niveau de la holding Vinci, il n'est pas retraité au niveau des métiers du groupe. En dépit de la structure atomisée du groupe, les actions sont complémentaires.

N'est-ce pas complexe de faire avancer cette structure de façon homogène ?

J'ai instauré à cet effet un comité de direction achats France dans lequel chaque pôle d'activité est représenté par son directeur achats. Six directeurs achats siègent donc à ce comité car le pôle Construction a deux directeurs achats1. Ce comité me permet d'avoir une vision d'ensemble des stratégies et actions à déployer à l'échelle du groupe qui représente plus de 1 500 sociétés (en France). Fin 2012, nous aurons le pendant de ce comité à l'échelle internationale.

Quel est le périmètre d'intervention du service achats que vous dirigez ?

Je couvre en direct, avec mon équipe, les achats généraux et génériques. Par générique, j'entends les achats que l'on retrouve dans au minimum deux pôles d'activité du groupe. Il s'agit par exemple des achats d'intérim, de la location de matériel, les EPI (tenues exceptées), la flotte d'automobiles et de camions, le voyage, le négoce de matériaux (infrastructures, bâtiments, quincaillerie et produits industriels), l'énergie (eau, gaz, électricité, carburant) et tout ce qui touche à l'IT. Ces achats se répartissent à leur tour entre achats production (intérim, flotte VU, négoce... ) et achats hors production (énergie, voyage, IT...). L'intérim, la flotte de véhicules et l'énergie représentent des familles qui pèsent plus de 500 millions d'euros chacune. Ce sont des achats où la dimension de synergie stratégique, économique, opérationnelle entre les hommes mais aussi entre les métiers est fortement présente. Je m'appuie sur mon expérience au sein de Vinci Energies, le pôle métiers le plus décentralisé du groupe, pour développer des synergies entre métiers et à l'échelle internationale.

Quelle stratégie déployez-vous en matière d'achats responsables ?

A mon arrivée, j'ai présenté au comité exécutif un plan achats sur trois ans. Parmi les axes d'action que j'ai retenus figure notamment l'intégration systématique des critères de développement durable, social et sociétal dans les achats. L'intérim a été un des premiers dossiers que j'ai eus à traiter. Nous avons fait la sélection des fournisseurs, non sur des critères purement économiques, mais sur la base de ces notions sociales et sociétales. Cela nous a permis de progresser sur le panel mais aussi sur le plan économique. Les prestataires qui n'ont pas pris notre démarche au sérieux ne sont plus référencés dans le groupe. Nous nous sommes appuyés sur nos collègues du service développement durable pour intégrer ce critère dans toutes nos familles d'achats. Fin 2011, j'ai mis en place un comité achats dédié à cette thématique. Il réunit des représentants de la fonction achats, du développement durable, des RH, des spécialistes de la prévention et de la sécurité. Sa mission est de donner aux acheteurs en interne une vision précise de ce dont on parle quand on applique les principes du développement durable aux achats. Derrière ce comité achats, il y a des groupes de travail et quelques-uns des animateurs de ces groupes participent aux travaux de l'ObsaR car certains des objectifs sont communs, notamment celui de rendre concret cette thématique.

Comment est structuré votre panel fournisseurs ?

A mon arrivée, j'ai entrepris de le rationaliser car il y avait trop de fournisseurs (100000 dans le monde) en revoyant leur référencement à l'aune des spécificités du BTP où, aux antipodes de l'industrie, on ne fait pas de grandes séries. On s'assure bien entendu que les besoins des chantiers seront couverts. Les fournisseurs référencés aujourd'hui s'y retrouvent mieux puisqu'ils sont plus sollicités, donc ils ont accru leur chiffre d'affaires avec nous mécaniquement. On a une relation plus soutenue. Les achats responsables nous permettront de mener avec les fournisseurs des projets nouveaux qui n'existent pas encore aujourd'hui. Nous n'abordons pas le fournisseur uniquement sous l'angle de la performance économique et raisonnons en TCO (coût total d'acquisition), voire en TVO (valeur totale d'acquisition).

Groupe Vinci

ACTIVITE Concessions (concessions et autoroutes) et Contracting (énergies, infrastructures de transport et d'aménagement urbain, construction)
CHIFFRE DAFFAIRES 2011 37 milliards d'euros
EFFECTIF GROUPE (MONDE) 183000 salariés
VOLUME D'ACHATS 2011 22,6 milliards d'euros
EFFECTIF ACHATS (MONDE) 1 000 acheteurs

Le taux de dépendance croît aussi mécaniquement. Comment gérez-vous ce point?

Je souhaite fixer la barre à plus de 30 %. Mais c'est un vaste sujet: on nous demande de travailler avec des TPEPME mais on nous encourage aussi à ne pas pousser un petit fournisseur car sinon la dépendance est au bout du chemin. C'est un vrai sujet de réflexion achats dont nous discutons régulièrement au sein de la Cdaf aussi. Là où on peut travailler peut-être plus sereinement, c'est quand on veut se désengager vis-à-vis d'un fournisseur et le planifier en douceur sur deux ou trois ans sans le mettre en péril.

Comment évaluez-vous la performance de votre service achats?

Nous avons mis en place des KPI mais, le groupe réunissant une myriade de sociétés et de business units, leur déploiement représente un vrai défi. Contrairement à un groupe industriel qui peut n'avoir qu'un point d'entrée, nous pouvons en avoir jusqu'à 3 000, compte tenu des spécificités du BTP. Dans le cas de l'intérim, nous avons rendu obligatoires les contrats de référencement et nous en avons mesuré le taux de couverture en KPI. On évalue aussi société d'intérim par société d'intérim la réalisation des plans de progrès. Ensuite, ces informations détaillées leur sont transmises.

@ ARNAUD OLSZAK

Quelles formations sont dispensées en interne aux acheteurs juniors? Quels profils privilégiez-vous en matière de recrutement?

Nous avons des centres de formation en interne dans les métiers. On a mis en place l'Académie Vinci il y a deux ans, elle concerne plutôt les dirigeants et les profils à haut potentiel. Concernant mon équipe rapprochée d'acheteurs, j'ai privilégié des profils confirmés pour que le service achats soit performant tout de suite. Ces recrutements se sont faits par vagues successives pour préserver l'esprit d'équipe et intégrer au fur et à mesure les nouveaux arrivants. Par rapport au profil d'acheteur en général, je n'ai pas de préférence pour un candidat senior versus un profil junior venant d'une école donnée. On privilégie la mobilité interne mais les compétences doivent être adaptées au poste proposé. Maintenant que l'ossature du service achats en central est solide, je vais pouvoir intégrer des juniors en veillant à ce qu'il y ait un mix seniors-juniors et un équilibre hommes-femmes.

Avez-vous un droit de regard sur l'achat de prestations intellectuelles?

Pour le moment, j'ai d'autres chantiers prioritaires qui sont coeur de métier. Après, nous nous intéresserons aussi à ce type d'achats.

Vinci est-il signataire de la charte des bonnes pratiques de la médiation interentreprises industrielles et de la sous-traitance?

Nous allons la signer en septembre à l'occasion de notre convention achats. Nous ne l'avions pas signée jusqu'à présent car, certains articles, comme celui qui fixe une politique cohérente de la rémunération des achats, paraissaient déplacés par notre direction. Mais, en interne, nous avons déjà une charte éthique groupe, une charte fournisseurs et nous sommes en train de développer un code de conduite des achats qui deviendra, à terme, une annexe de la charte éthique.

Nous allons aussi mettre en place une charte sous-traitance entreprises (PME). Sur le projet LCG SEA Tours-Bordeaux, des réunions de présentation et d'information sur le projet ont été organisées en partenariat avec les chambres de commerce et d'industrie des zones concernées, afin de favoriser et de valoriser le tissu local de PME, de les associer le plus en amont possible du projet et d'optimiser ainsi la mise en place des partenariats.

Quels sont vos chantiers des mois à venir?

Nous allons continuer le déploiement de notre plan achats en améliorant les synergies entre les différents métiers et pays d'implantation de Vinci et les performances achats. Enfin, dernier point mais non des moindres, ce sera d'étendre à l'international le travail fait en France, à partir du dernier trimestre 2012. En m'appuyant sur des acheteurs qui formeront un comité de direction achats international, relais entre le groupe et les acheteurs déjà en place à l'étranger en commençant par l'Europe (Allemagne, Belgique, Royaume-Uni, Pays-Bas, Espagne, Portugal, Suisse, Europe centrale) puis les Etats-Unis, le Canada, le Brésil, etc

Quelle est votre vision de la fonction achats à l'horizon 2025? Externaliser les achats non stratégiques vous intéresserait-il?

Je pense qu'avant d'externaliser les achats, notre priorité dans le BTP est d'être très proches des opérationnels. A long terme, notre relation avec les fournisseurs va évoluer de façon significative et on doit travailler à son amélioration car, demain, ce seront probablement les fournisseurs qui choisiront leurs clients. Ce sera un facteur-clé de succès.

Maintenant que l'ossature du service achats en central est solide, je vais pouvoir intégrer des juniors en veillant à ce qu'il y ait un mix seniors-juniors et un équilibre hommes-femmes.

 
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Emmanuelle Serrano

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