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"Les acheteurs ont le devoir de pousser le Made in France"

Publié par Aude Guesnon le - mis à jour à

Rencontre avec notre keynote speaker des Trophées Décision Achats / CNA : Arnaud Montebourg , ancien ministre de l'Économie, du Redressement productif et du Numérique, entrepreneur, co-fondateur de la marque Bleu Blanc Ruche; LE porte-parole du Made in France .

Le coronavirus va-t-il être, selon vous, un booster pour le made in France ? Et, pensez-vous que le mouvement en faveur de la relocalisation va être vraiment pérenne ?

Le Covid-19 a rétréci la mondialisation qui est, selon le prix Nobel américain, professeur d'économie à Princeton, Paul Krugman, "un projet plus ou moins fini". Les pays et les Nations ont décidé de réapprendre à produire ce qu'ils consomment et ils le feront dans tout ce qui engage leur sécurité et leur indépendance dans l'ensemble des biens de consommation importants pour leur survie : l'alimentation, le transport, l'énergie, la santé évidemment. Tous ces choix de relocalisation impliquent de se réapproprier des technologies, de maîtriser les coûts de production de ces technologies, leur opérationnalité et de reconstituer ainsi une force productive puissante dans et pour le Made in France. Je crois que ce mouvement est pérenne dans la mesure où nous avons pris conscience de la dangerosité de la mondialisation ; celle-ci est reconnue comme la cause de nos difficultés économiques par la transmission des secousses financières que nous avons connues il y a 10 ans avec la Grande Récession, de nos difficultés écologiques par le fait que la planète est unique et que l'on peut toujours exporter ou délocaliser impunément nos propres atteintes à l'environnement, et qu'en conséquence nous n'aurons pas d'autres choix que de respecter la nature en rétrécissant le monde. Et ce rétrécissement est engagé à travers la naissance des taxes carbone et le retour à la continentalisation des économies.

En tant qu'entrepreneur, quels enseignements avez-vous tiré de cette crise ?

J'ai mesuré à quel point les Français étaient de plus en plus attachés aux circuits courts, c'est-à-dire à la relation existante entre le modèle de consommation et le modèle de production. Dans les deux cerveaux du consommateur, le cerveau droit est celui qui veut les prix les plus bas et économiser son pouvoir d'achat, il se reconnecte de plus en plus au cerveau gauche qui est le cerveau du citoyen, qui voudrait des PME près de chez lui qui font travailler ses enfants, qui veut une agriculture prospère avec des agriculteurs gagnant correctement leur vie, et des lois environnementales et sociales d'avant-garde et généreuses. Il faut bien qu'il y ait un lien entre ce qu'ils consomment et ce qu'ils achètent et le prix qu'ils payent pour les produits qu'ils aiment consommer en circuit court.

Comment, selon vous, l'Etat pourrait-il mieux accompagner le mouvement de relocalisation ?

Le Gouvernement Japonais a pris une mesure tout à fait exemplaire qui pourrait nous servir de modèle : il finance la fermeture des usines en Chine et le retour des usines au Japon en payant les trois-quarts des investissements reconstitués sur le sol japonais. C'est un programme qui mériterait d'être créé en France pour obtenir la renaissance de taille importante que nous appelons de nos voeux.

Que pensez-vous de la proposition de Max Havelaar d'une "TVA réduite pour les produits alimentaires à la fois bons pour les citoyens et bons pour la planète ?" Pourrait-elle exister et être appliquée sur tous les produits qui rentrent dans ce cadre ?

On peut toujours faire le Concours Lépine de la fiscalité en fonction des intérêts des uns ou des autres. Un bon impôt est un impôt qui est lisible, compréhensible par tous, juste et égal. Nous avons déjà des problèmes avec la TVA qui se différencie trop. Comment expliquer que lorsque vous achetez dans un même restaurant un produit à emporter et un produit à consommer sur place, vous ne payez pas le même taux de TVA. Je proposerais que la TVA sur la fabrication locale soit plus faible que sur la TVA des produits d'importation. C'est ce qu'on appelle la taxe Carbone qu'il faudra bien, malgré les propositions des gouvernements constantes depuis 10 ans restées lettre morte, réaliser ce qui n'est toujours pas le cas aujourd'hui.

Les achats se disent confrontés à deux freins : le prix plus élevé des produits (quand il sont fabriqués en France car pour certains produits il n'existe pas de made in France) et les difficultés d'approvisionnement (quantité, pérennité assurée, etc.). Des arguments recevables ?

Quand le prix d'un produit est plus élevé, c'est naturel dans la mesure où on paye la satisfaction de créer des emplois sur place et nos achats sont nos emplois. Un tel effort patriotique sur le prix dans la mesure où il est raisonnable doit être accompli. Est-ce qu'il y a des problèmes d'approvisionnement ? Certes, cela existe puisqu'il y a de nombreuses difficultés d'approvisionnement dans la mesure où les quantités commandées sont encore trop insuffisantes, les échelles de production ne sont pas suffisamment larges, et les prix restent encore trop élevés. C'est une des raisons pour lesquelles les acheteurs ont le devoir de pousser le Made in France pour faire baisser les prix et même échanger volumes contre baisse des prix, ce que les entreprises pourraient parfaitement suivre.

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