IA & Achats : l'état de l'art en 2025
Publié par Geoffroy Framery le | Mis à jour le
De l'expérimentation collective aux nouvelles capacités déployées par les éditeurs SaaS, l'intelligence artificielle s'impose progressivement dans les directions achats. L'IA amorce une transformation structurelle de la fonction, entre gain de temps, fiabilisation des processus et reconfiguration des rôles. Focus sur ses concrétisations.
Fin 2023, quinze grandes organisations - Crédit Agricole, Enedis, L'Oréal, LVMH, Veolia, Ministère des Armées... - se sont réunies autour d'un projet commun : tester l'intelligence artificielle au service des achats. Initiée par le cabinet By.O en partenariat avec Digitalent, cette démarche inédite a permis d'identifier, structurer et expérimenter dix cas d'usage concrets, allant de la rédaction de cahiers des charges à l'évaluation automatisée d'offres fournisseurs.
« Nous voulions sortir de l'effet d'annonce pour entrer dans une logique d'impact », souligne Matthieu Magné, directeur associé chez By.O Group. L'initiative repose sur trois piliers : un collectif interentreprises mobilisé autour de cas métiers concrets, un objectif partagé de développement de cas d'usage IA opérationnels, et le soutien d'un acteur technologique, Digitalent, via sa plateforme MIA. Celle-ci permet de combiner plusieurs modèles d'IA (OpenAI, Mistral, Meta...) dans un environnement sécurisé et modulable.
Une méthode rigoureuse pour une IA sur-mesure
Pour structurer les expérimentations, une méthode en trois étapes a été formalisée. D'abord, formuler le cas d'usage en partant d'un besoin métier clair. Quelle tâche automatiser, avec quels bénéfices attendus ? Ensuite, qualifier les données nécessaires, leur source, leur fiabilité et leur accessibilité. Enfin, tester la faisabilité, ajuster les modèles et mesurer l'impact.
Premier constat, « Pas de données, pas d'IA », lance Mathieu Magné. 20 % des cas testés n'ont pu aboutir faute de matière exploitable. Deuxième leçon ? Les IA ne se substituent pas à l'humain mais l'amplifient, à condition d'être orchestrées avec méthode. L'un des enseignements phares du programme est la création de véritables agents IA, enchaînant plusieurs tâches de manière autonome pour résoudre une problématique métier.
Le Crédit Agricole mise sur l'automatisation des achats récurrents
Le cas piloté par le Crédit Agricole illustre cette montée en puissance. L'objectif est celui d'automatiser les achats récurrents de prestations intellectuelles à faible montant. En s'appuyant sur une base de 700 projets historiques et des données de référencement, un agent IA a été conçu pour générer un cahier des charges, proposer des fournisseurs, estimer un budget et même anticiper les délais.
« Le gain de temps pour les prescripteurs comme pour les acheteurs est considérable. La qualité est renforcée par l'usage de trames standardisées, et les fournisseurs proposés sont systématiquement référencés », résume Guillaume Duny, head of procurement digitalisation pour le groupe Crédit Agricole. Si ce projet n'a pas encore été industrialisé, il démontre que l'IA peut d'ores et déjà prendre en charge des processus complexes, à condition d'être bien encadrée.
Le SaaS change d'échelle : de la fonction IA à l'agent autonome
Dans cette dynamique de transformation, les éditeurs de solutions achats affûtent également leurs propositions. Ivalua, plateforme majeure du marché, annonce un changement de braquet. « L'IA générative est en train de redessiner le fonctionnement quotidien des entreprises », estime David Khuat-Duy, fondateur d'Ivalua et Chief AI Officer.
Si les premières fonctionnalités IA lancées par l'éditeur se concentraient sur des tâches simples (résumés de contrats, extraction de données), la plateforme se dote aujourd'hui de briques beaucoup plus avancées. En particulier, un module d'analyse de marché automatisée, déjà opérationnel, permet d'étudier une catégorie d'achats avec une structuration fine, et une autonomie croissante des agents IA ouvre de nouvelles perspectives.
Un poste de travail digital réinventé
À terme, le SaaS boosté à l'IA vise une interface en langage naturel - voire vocale - permettant à un utilisateur de dialoguer avec une IA accédant à l'ensemble des données et processus métiers. « L'idée est de déléguer la complexité technique à l'IA, pour offrir une expérience intuitive, fluide et cohérente », précise David Khuat-Duy.
Cette ambition redéfinit les usages du poste de travail digital. Elle s'appuie sur une conviction forte : la transformation par l'IA ne sera durable que si elle conjugue puissance technologique, transparence et contrôle humain. « Notre IA n'est pas une boîte noire. Elle expose clairement ses actions et laisse à l'utilisateur le choix d'intervenir », insiste le Chief AI Officer d'Ivalua.
Transparence, sécurité, évolutivité : les trois piliers d'un déploiement responsable
Dans cette phase d'accélération, l'enjeu ne réside plus dans la faisabilité, mais dans le passage à l'échelle. La maîtrise des données, la formation des équipes et l'ancrage dans les processus existants sont autant de conditions critiques.
Derrière les lignes de code, c'est une nouvelle figure qui émerge : celle de l'acheteur augmenté. Capable de s'appuyer sur des IA spécialisées pour accélérer, fiabiliser et enrichir ses analyses, il devient un pilote stratégique des enjeux de performance, d'innovation et de durabilité.
Loin de se substituer à l'humain, l'IA recentre l'acheteur sur sa valeur ajoutée, celle d'arbitrer, négocier, construire des relations durables avec les fournisseurs. Et in fine, contribuer à une transformation plus large des organisations.
Vers une dynamique nationale structurée par le CNA et ses partenaires
La transformation de la fonction achats par l'IA s'inscrit désormais dans des dynamiques collectives structurées, comme en témoigne la publication du livre blanc « L'Intelligence Artificielle - Nouveau Moteur de la Performance Achats » dévoilé en octobre 2024 par le Conseil National des Achats (CNA), en partenariat avec Ivalua, PwC, Altares Dun & Bradstreet et Dell Technologies. Ce rapport, fruit d'une enquête menée auprès de 64 décideurs, confirme que 55 % des professionnels perçoivent l'IA comme un levier de renforcement stratégique de la fonction achats.
Mais il souligne aussi les freins persistants. Près de la moitié des entreprises interrogées déclarent rencontrer des difficultés à exploiter pleinement les solutions IA, notamment en raison de la mauvaise qualité ou de l'insuffisance des données disponibles. Un constat qui rejoint les enseignements des travaux menés par By.O et Digitalent, sans une base de données robuste, contextualisée et gouvernée, le potentiel de l'IA reste largement théorique. Le rapport insiste également sur l'enjeu croissant de la durabilité, en lien avec les exigences de la directive CSRD. En intégrant l'IA dans leurs pratiques, les directions achats peuvent renforcer leur capacité à tracer, analyser et piloter les impacts environnementaux et sociaux de leurs chaînes d'approvisionnement.