Commande publique, traçabilité, fierté : les clés d'une relocalisation durable
Publié par Geoffroy Framery le - mis à jour à
Porté par une vision engagée de l'économie, l'ancien ministre Yves Jégo défend l'idée d'un patriotisme industriel fondé sur la transparence, la commande publique et la mobilisation collective. La souveraineté se construit, au fil d'un projet de société assumé et incarné. Le résumé de sa prise de parole à l'occasion de la matinale d'ouverture des Universités des achats organisés par le CNA ce 18 juin.
Si les entreprises françaises veulent retrouver prise sur leur destin industriel, l'État doit montrer l'exemple. Et cela passe par la manière dont il achète. Avec 2 000 milliards d'euros engagés chaque année dans l'Union européenne, les achats publics constituent un levier d'action économique considérable. Or, selon Yves Jégo, ancien ministre de l'Outre-mer et fondateur de la certification Origine France Garantie, l'Europe continue de tergiverser là où d'autres ont tranché : « Les Américains réservent depuis un siècle la moitié de leurs marchés publics à leurs entreprises. Pourquoi ne pas faire de même en Europe ? »
Ce volontarisme, Yves Jégo le juge non seulement légitime, mais urgent. Il s'agirait non pas de replier l'Europe sur elle-même, mais de permettre à ses industries de massifier leur production, d'amortir plus vite leurs investissements et d'élever leur niveau de compétitivité. Pour y parvenir, il faut réformer les règles d'attribution des marchés publics, en intégrant des critères d'impact économique local et de traçabilité. Car un produit importé peut être moins cher à court terme, mais il coûte plus cher à la collectivité à long terme.
La transparence comme condition d'un choix éclairé
À l'en croire, l'acheteur français - qu'il soit public, privé ou consommateur - navigue souvent à l'aveugle. « On ne sait pas ce qu'on achète, ni d'où ça vient », martèle-t-il. Un constat d'autant plus inquiétant qu'il freine toute démarche de relocalisation. Sans visibilité sur l'origine, impossible de préférer un produit français ou européen.
Yves Jégo plaide ainsi pour un étiquetage obligatoire généralisé. Marquage du pays de production, traçabilité des composants critiques, transparence sur la transformation manufacturière... Autant d'informations que le consommateur est en droit d'exiger. Et une exhortation dans l'air du temps au regard des prochaines legislations sur le passeport numérique des produits. L'ex-ministre cite l'exemple d'une Renault Trio fabriquée en Turquie, ou d'une Toyota Yaris produite à Valenciennes dans les Hauts de France : sans indication claire, l'acte d'achat perd toute portée économique, et la confusion persiste entre un produit d'une marque française produite à l'autre bout du monde et une produit d'une marque étrangère dont l'usine de fabrication réside dans l'hexagone.
Il propose de renforcer la lisibilité de labels comme Origine France Garantie, mais surtout de ne plus laisser à l'initiative des marques le soin de signaler (ou non) la provenance. Cette transparence est, selon lui, le socle de toute souveraineté industrielle.
Produire ici, c'est faire société
Au-delà des outils, c'est un véritable projet de société que dessine Yves Jégo. Produire en France ne signifie pas seulement maintenir des emplois ou réduire le déficit commercial. C'est aussi redonner du sens à l'acte de produire, réhabiliter l'industrie dans l'imaginaire collectif, restaurer une forme de fierté nationale.
Ce dernier évoque le paradoxe suivant. Alors que la jeunesse se détourne des filières industrielles, la République continue d'ignorer ses entrepreneurs et ses ouvriers dans son récit officiel. "Pas un industriel au Panthéon", fait-il remarquer. Il en appelle à une mobilisation culturelle et sociale, pour sortir l'industrie de son invisibilité et la faire entrer dans le champ de l'admiration collective.