Pour gérer vos consentements :

La blockchain, atout majeur de la supply chain

Publié par Mathieu Neu le | Mis à jour le

© Nuthawut - stock.adobe.com
centralisé - décentralisé

Impératifs RSE, devoir de vigilance, traçabilité des marchandises... Les bonnes raisons de se tourner vers la blockchain ne manquent pas pour répondre aux nombreux enjeux des chaînes d'approvisionnement. Malgré les complexités, cette technologie s'impose dans toutes les filières industrielles.

Voilà plusieurs années déjà que Danone a pris la décision de marquer au laser l'intérieur de certains de ses produits. En flashant un QR code, le consommateur peut ainsi disposer d'informations et de services supplémentaires (date d'expiration, de production, route empruntée par le produit depuis l'origine...). Objectif : mieux se connecter avec les partenaires et le client final, et démontrer la conformité de l'enseigne par rapport à ses engagements nutritionnels. La pratique s'est depuis largement répandue dans le secteur agroalimentaire, pour qui les enjeux de traçabilité et d'écoresponsabilité sont devenus les piliers des nouveaux développements.

Si la nécessité de rendre les données au sein d'une filière communicantes n'est pas récente, l'essor de la blockchain a fortement accéléré la tendance. Cette nouvelle technologie consiste en un registre distribué entre différentes entreprises. Elle représente un tiers de confiance apportant des garanties d'authenticité pour toutes les parties prenantes. IBM FoodTrust est l'une des solutions de blockchain les plus en vogue auprès des industriels de l'agroalimentaire en quête de conformité autour de sujets comme les garanties de température, de localisation ou encore d'hygrométrie.

Des industries de tous horizons tournées vers la blockchain

Si les filières de l'agroalimentaire sont les plus avant-gardistes en la matière, d'autres secteurs se tournent massivement vers ce type d'innovations. « Le groupe LVMH déploie des NFT pour la traçabilité de ses produits de maroquinerie dans le but de prouver la qualité et les spécificités de fabrication à chaque étape de production », décrit Laurent Leboisne, directeur général de Weexa, spécialiste de la digitalisation des flux BtoB.

La blockchain TradeLens, plateforme digitale permettant de piloter les flux de containers dans le monde entier, est devenue un incontournable pour de nombreuses industries. « 75 % des armateurs dans le monde utilisant des containers, comme CMA-CGM, l'ont adopté. TradeLens embarque dans son sillage tous les acteurs des filières, des chargeurs, aux transporteurs, en passant par les ports, les services financiers ou encore les services douaniers du secteur », poursuit-il. Dans l'univers du vin, on peut également citer la blockchain VinAssure, fournisseur de garanties variées à la filière, ou bien Sonoco qui offre ses services dans le domaine pharmaceutique. « Là encore, il s'agit d'un secteur très demandeur de technologies de ce type. Rappelons qu'à l'heure actuelle, près de 30 % des vaccins transportés dans le monde n'arriveraient pas à destination dans les conditions attendues en raison d'un problème de supply chain », illustre Laurent Leboisne.

Des cas d'usage variés

La blockchain se présente comme une solution à des maux en apparence insolubles. Il s'agit de « répondre à des enjeux d'authentification de produits (certaines marques, certaines compositions...), d'améliorer la gouvernance et le transfert de responsabilités relatif à une marchandise qui doit passer de main en main en respectant un cahier des charges précis, ou encore de faciliter le recyclage, traçabilité du cycle de vie, la réexploitation de matériaux particuliers », détaille Brice Hamon-Pourquery de Boisserin, manager dans le département Supply Chain chez Wavestone, et membre du Lab Digital de France Supply Chain.

Les motivations concernent toujours plus souvent le volet réglementaire et les nécessités RSE, « comme dans le cas des filières dépendant de l'exploitation de minerais, dans lesquelles il faut s'assurer de l'absence de travail d'enfant et de la conformité des matériaux utilisés. Le besoin de s'adapter aux changements d'attitude du consommateur final impose une maîtrise de nombreuses données au sein des filières », ajoute-t-il.

Valoriser un écosystème

Déployer une blockchain, c'est profiter d'un audit permanent sur des critères variés, au service de garanties pour le client, mais aussi sur de l'excellence opérationnelle. « Nous avons tout d'abord débuté sur des paquets de farine d'un kg étiqueté Label Rouge, il y a près de cinq ans. Puis nous avons élargi la démarche à d'autres produits. Nous disposons aujourd'hui de références blockchain sur notre filière blé, sur des produits vendus en grande distribution ou auprès de boulangeries artisanales. Ce type d'innovation est clairement un levier de différenciation : il permet de raconter l'origine des produits, leur histoire. Les relations de collaboration entre acheteurs et commerciaux et les différents professionnels peuvent s'enrichir. C'est un excellent biais dans ce but », témoigne Benoit Rousseaux, responsable innovation au sein du groupe Soufflet.

Après la filière Blé, l'industriel explore la filière Malte et Orge : « Nous avons monté un partenariat avec le fournisseur de solutions de blockchain Crystalchain, et avons construit notre propre plateforme de mise à disposition d'informations : il s'agit de données pour les petits brasseurs qui n'ont pas les moyens d'investir dans ce genre d'innovations, ou pour les gros brasseurs qui ont intérêt à s'assurer de certaines garanties. Les différents acteurs s'engagent ainsi sur des critères qualitatifs forts. »

Le défi de l'onboarding

Dans un schéma de développement classique, un consortium d'entreprises d'une même filière créent leur blockchain, de sorte que tous les maillons de la chaîne disposent des mêmes informations. Mais les degrés de maturité diffèrent compliquent parfois les projets. « On a ceux qui sont véritablement acteurs qui se lancent concrètement, et ceux qui sondent simplement le marché », constate Brice Hamon-Pourquery de Boisserin.

Pour Clotilde Hannetel, spécialiste achats et partenaire d'EPSA, « embarquer les fournisseurs dans un tel développement est une des grandes difficultés. Un pilotage global est nécessaire et complexe par définition. Il faut que chaque partenaire comprenne bien les apports de la blockchain, ce qu'elle change par rapport au mode de gestion habituel. On observe des cultures très différentes. L'écosystème dans sa globalité doit être pris en compte, avec ce qui existe déjà. Laurent Leboisne souligne « qu'il ne s'agit pas que d'un projet informatique. C'est l'un des pièges classiques. La partie technique à proprement parler représente peut-être 20 % de l'ensemble du projet. Il ne faut surtout pas partir du principe que ce sont simplement aux équipes informatiques de s'organiser entre elles. Il faut entraîner tout l'écosystème d'entreprises à utiliser la solution. L'enjeu est aussi de prouver sur un petit périmètre que l'innovation fonctionne et qu'elle est intéressante. »

Au sein du groupe Soufflet, le déploiement de la blockchain autour de la filière blé a rassemblé autour de la table une vingtaine de personnes de profils très divers : « ce sont des projets transversaux entre collaborateurs de la qualité, de l'opérationnel, de la communication, de l'IT... La vulgarisation est très importante, afin de s'assurer que tout le monde comprenne bien le projet, que les secrets professionnels sont préservés, et surtout que de nombreux points peuvent être améliorés. Grâce à cette nouveauté, nous savons aujourd'hui réagir très vite en cas de problèmes sur des retours produits », se réjouit Benoît Rousseaux.

Il importe par ailleurs de s'assurer que le projet soit véritablement viable et adapté aux attentes. Le rapport entre les coûts engendrés et les bénéfices n'est pas nécessairement une évidence. « La question de la mesure du ROI est particulièrement complexe dans ce domaine et freine de nombreuses initiatives », indique Clotilde Hannetel. Une évolution digitale au préalable doit également avoir eu lieu. « Lorsque les maillons de la chaîne fonctionnent encore avec de nombreux documents papier, la blockchain n'est pas envisageable », précise Brice Hamon-Pourquery de Boisserin. « Dans notre cas, la traçabilité était déjà automatisée. Il a fallu voir comment extraire les données régulièrement des systèmes d'information, optimiser et automatiser certains flux, et notamment remplacer des fichiers Excel par des outils plus innovants », illustre Benoît Rousseaux.


Combiner plusieurs technologies innovantes

Concrètement, disposer d'une blockchain, c'est détenir un numéro de série et savoir que celui-ci a appartenu à telle entreprise à telle heure et telle date. Il s'agit d'une couche supplémentaire au niveau des systèmes d'information, faisant le lien entre ces derniers, et complètement transparente pour les utilisateurs. La quantité des données à échanger est faible et consiste en informations de certifications cryptées.

Pour une traçabilité optimale et des garanties poussées, la solution est la combinaison de la blockchain et de dispositifs IoT, voire de solutions d'intelligence artificielle capables d'analyser et d'interpréter les données recueillies par les objets connectés. « Dans l'agroalimentaire, des capteurs « marquent » la viande en amont. Dès que la découpe est faite, on fournit l'information relative aux opérations réalisées en même temps que la garantie concernant le type de viande (carte d'identité du produit). La température aux différents stades de la chaîne est un autre exemple d'information à suivre, en plus de la blockchain », explique Brice Hamon-Pourquery de Boisserin.