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Rex CPO : comment LVMH réinvente ses achats

Publié par Geoffroy Framery le - mis à jour à

Partie 1/2. Pilier discret mais central du groupe LVMH, la direction de la coordination achats orchestrée par Christian Galichon articule performance économique, pilotage méthodologique et accélération des engagements environnementaux. De la formation des acheteurs à la mutualisation des audits RSE, en passant par le programme "Life Business Partner", l'approche se veut transversale, collaborative et exigeante. Entretien avec un homme de convictions qui valorise la fonction au sein de son écosystème.

Quelle a été votre premier sujet lorsque vous êtes arrivé chez LVMH ?


Lorsque j'ai rejoint LVMH, chaque maison gérait ses achats de manière autonome, sans coordination ni mutualisation. Ma première mission a consisté à définir un périmètre de catégories d'achats stratégiques à mutualiser et à créer, ex nihilo, un centre de coordination. Nous avons identifié une dizaine de catégories clés - allant de l'informatique au packaging, en passant par la logistique ou les transactions financières - et recruté les experts ayant les compétences pour piloter ces domaines. Nous avons également mis en place une organisation de support, sous forme de consultants internes, chargés d'aider chaqueMaison à optimiser ses processus et à déployer les meilleures pratiques.

Comment avez-vous structuré votre équipe et réparti les responsabilités ?


L'équipe que j'anime aujourd'hui comprend un peu plus d'une trentaine de collaborateurs. Nous travaillons selon une matrice à deux dimensions. Le premier axe distingue la nature de l'achat, à savoir est-ce un achat spécifique ou un achat générique. Par exemple, l'approvisionnement en raisin pour les domaines viticoles du groupe est une activité très spécialisée, gérée directement à Cognacou en Champagne par la Maison concernée. À l'inverse, l'achat de licences Microsoft, standardisé et récurrent, est pris en charge par mon équipe LVMH Sourcing.

Le deuxième axe tient compte de l'organisation du marché fournisseur (fournisseurs locaux, régionaux ou mondiaux...). Dès lors, un contrat mondial est négocié au niveau du Groupe, tandis qu'un partenariat local est conclu au niveau du pays ou de la région lorsque le besoin l'exige. Cette approche nous permet de répondre à la diversité des marchés tout en optimisant nos volumes et nos conditions.L'achat d'énergie est par exemple géré par des contrats mis en place au niveau de chaque pays où notre présence le justifie.

Quelles sont les principales missions transverses que vous pilotez ?


Christian : Au-delà de l'expertise spécifique à chaque catégorie d'achat, notre service assume quatre missions transverses. D'abord la formation. Nous avons conçu et déployé depuis plusieurs années un programme interne destiné à l'ensemble des acheteurs du Groupe, afin d'harmoniser les compétences et d'ancrer les pratiques dans les standards LVMH. Ensuite, nous offrons un conseil interne permanent pour aider les Maisons à structurer leurs achats, définir des indicateurs pertinents ou optimiser leurs outils. Nous animons également la communauté des directeurs achats au travers de différents comités ad'hoc, qui permettent un partage de bonnes pratiques. Enfin, nous pilotons la politique d'achats responsables du Groupe, un sujet devenu central au fil des ans pour LVMH, qui englobe à la fois les enjeux environnementaux et sociaux.

Achats et sourcing responsables

Comment implémentez-vous la politique d'achats responsables au sein d'un groupe aussi vaste ?
Christian : L'engagement de LVMH en matière de développement durable remonte à plusieurs décennies. Dès 1992, nous avons créé un département environnement. Si historiquement, nos efforts se sont concentrés sur les enjeux environnementaux, pour les filières agricoles ou le tannage du cuir, la dimension sociale a pris une importance croissante. Mon équipe a ainsi mis en place une cartographie des risques fournisseurs dès 2018. Nous accompagnons les Maisons dans la réalisation d'audits sociaux et environnementaux, et construisons des référentiels communs pour limiter la répétition des contrôles chez nos partenaires.

Certaines initiatives sectorielles comme Trasce développent une approche plus globale et collective des achats, pouvez-vous nous en dire plus ?


Trasce est une plateforme collaborative rassemblant l'ensemble des grands acteurs du monde de la cosmétique luxe et leurs fournisseurs de rang un ou plus. L'objectif est d'harmoniser les critères d'audit, partager les bonnes pratiques et alléger la charge d'audit des fournisseurs. Chaque Maison n'applique plus son propre référentiel : nous mutualisons les grilles d'évaluation pour construire un socle commun reconnu par tous. Cette démarche améliore la transparence, renforce la fiabilité des données et libère du temps pour les équipes comme pour nos interlocuteurs fournisseurs.

Pouvez-vous citer un autre exemple d'initiative collective ?


Dans l'horlogerie et la joaillerie, nous avons constaté également un phénomène de « fatigue fournisseur » lié aux multiples audits que nous et nos confrères peuvent mener. Nous avons donc exploré la mise en commun d'une plateforme d'audit, qui permet de centraliser les contrôles et d'émettre un « tampon » unique valable pour l'ensemble des marques participantes. Les fournisseurs ne sont ainsi plus sollicités une dizaine de fois par leurs différents clients, mais une seule fois, grâce à un reporting standardisé et reconnu.

Quelles innovations concrètes ont émergé sous l'impulsion de vos exigences RSE ?


L'un des exemples emblématiques concerne nos flacons de parfums haut de gamme. Nous avons développé un concept de recharge. Le client conserve son flacon, qu'il peut faire remplir en boutique, n'achètant que la recharge. Cela réduit considérablement la production de verre et répond parfaitement aux attentes en matière de durabilité de nos clients. Mettre en oeuvre ce dispositif a impliqué de repenser l'emballage, la logistique inversée et la formation des équipes de vente, mais les bénéfices tant environnementaux que pour l'expérience client final sont significatifs.

Comment gérez-vous le scope 3, qui représente la majeure partie de vos émissions ?

Notre scope 3 représente 90% de nos émissions. Nous avons lancé il y a un an un programme baptisé Life Business Partner, inscrit dans notre feuille de route environnementale LIFE 360. L'idée est de travailler avec une soixantaine de fournisseurs stratégiques sur la réduction de leurs émissions, le tout en intégrant la gestion de l'eau et de la biodiversité. Nous coconstruisons des plans de décarbonation adaptés à leur niveau de maturité : certains sont déjà avancés, d'autres découvrent ces enjeux. Nous allons co-construire avec eux des méthodes de calcul, des tableaux de bord et un accompagnement spécifique pour les accompagner dans leurs progressions.

Quel est le principal défi dans la mise en oeuvre de ces plans d'action ?


Le principal défi réside dans la variété des profils fournisseurs. Les verriers, par exemple, maîtrisent déjà bien leurs émissions directes, tandis que des tanneries ou des producteurs agricoles peuvent manquer de compétences techniques pour évaluer et réduire leur bilan carbone. Notre rôle est de faire le lien, d'apporter des ressources méthodologiques et de créer une dynamique de progrès collectif, fondée sur la transparence et la confiance.

Pour aller plus loin : Christian Galichon a débuté sa carrière chez Danone, où il a exercé pendant dix-sept ans au sein de différentes fonctions liées aux achats et à la supply chain, d'abord sur le terrain en tant qu'acheteur opérationnel, puis au siège dans des missions de support et de coordination des achats entre les différentes entités du Groupe. Il a ensuite rejoint Vallourec où, durant cinq années, il en a piloté la fonction achats pour l'ensemble des entités, en charge de coordonner les différentes équipes achats et de mener la négociation et de la performance économique fournisseurs. Depuis bientôt quatorze ans, Christian Galichon évolue au sein de LVMH. À son arrivée, il a eu pour mission de bâtir et de structurer une fonction achats au niveau du groupe, avant d'en prendre la coordination générale.